Raymond Barre est mort.
Je m’en réjouis absolument.
Débutons par une courte hagiographie : la grande utilité de Raymond Barre aura consisté, pour tous les étudiants en droit et en
économie, dans son essentielle contribution à l’équilibre de ces derniers, dans leur vie privée la plus intime. Les sols souvent peu académiques des studettes occasionnaient des difficultés
certaines pour équilibrer les meubles Ikea. Raymond Barre sortit alors, soucieux du sort des bières universitaires, son fameux Traité d'Économie Politique, dès 1959, et réédité 15 fois, les problèmes de logement des étudiants allant empirant. Cette production en grand nombre de cales pour meubles fit
de lui le digne héritier de son père, escroc notoire.
Sa sensibilité naturelle au sort des étudiants déshérités se comprend aisément, puisqu’il passa son enfance malheureuse dans les frimas
de la Réunion dans la chiche case Déramond-Barre (et non « de Raymond Barre », comme certains se sont plu à le laisser accroire).
Puis comme tout créole des Hauts, il fut logé pour ses études parisiennes à la Cité internationale universitaire jusqu'en 1950. On nous dit qu’il décrocha une
agrégation de droit et de sciences économiques, ainsi que le diplôme de Sciences Po Paris. Mazette pour un mangeur de chouchous !
Mais ne nous-y trompons pas : déjà sommeillait en Raymond Barre l’aberration du libéralisme. En
effet, dès 1953, il traduit l'ouvrage du très gauchiste Friedrich von Hayek, « Scientisme et sciences sociales, Essai sur le mauvais usage de la
raison ». « Le mauvais usage de la raison », quel génie ce von Hayek ! Il annonça dès son œuvre fondatrice le caractère
parfaitement irrationnel, voire religieux, du libéralisme économique.
Après quoi, son parcours s’obscurcit (il dégotte une petite hongroise, est nommé professeur d’économie, devient
directeur de cabinet du ministre de l'industrie, puis
vice-président de la Commission européenne).
Ce dernier mandat fut marqué par son action en faveur de l'union économique et monétaire entre les États
membres. On doit à son labeur acharné depuis 1968… le passage béni à l’euro et les politiques monétaristes désastreuses… les rigueurs budgétaires que nous sommes les seuls au monde à pratiquer…
Raymond Barre premier Ministre suite à la démission de Chirac ! L’avènement pour la tit bébèt !
Cela ne l’empêche pas de faire preuve d’une modestie touchante : lorsque Giscard le qualifie de
« meilleur économiste de France », Raymond réplique le 27 août 1976 : « le meilleur
économiste français ? En tout cas un des tout premiers ».
De fait, ses résultats sont probants : il ne parvient pas à juguler le chômage ni l’inflation.
Peut-être appliqua-t-il trop son Friedman illustré, au détriment de ses premières amours d’outre-Manche, von Hayek.
Il tenta néanmoins de se rattraper en supprimant plusieurs dizaines de milliers d’emplois dans la
sidérurgie, un signe fort de modernité donné à tous les opérateurs du marché ! Mais pas au peuple, puisque la popularité du meilleur d’entre nous
(surnom ensuite donné à Juppé par Chirac : rappelez-vous toujours que si quelqu’un vous qualifie ainsi, vous avez tout à redouter de l’avenir).
Raymond Barre ne renonça jamais à son idéal libéral, marqué par son élection à la Mairie de Lyon (dont l’amour des habitants les poussa
à élire ensuite M. Collomb, un maire de gauche, dans une ville froide et bourgeoise où le socialisme est aussi absent des mentalités que le souci de la prosodie à Montreuil sous Bois !).
Comme tout retraité, on le vit s’aigrir, fréquenter d’autres petits vieux ressassant sans cesse les mêmes plaintes et gémissements sur la nécessité de plus libéraliser encore l’économie, comme ce
fut le cas aux côtés du révolutionnaire Michel Camdessus au Forum économique
mondial de Davos, maison de retraite pour vieillards enrichis, spongiformes et
bovins.
En un mot, Raymond Barre est mort et je n’aurais jamais cru que Giscard lui eût survécu. Enfin, ce décès aura du moins permis à François
Fillon, météorique trou noir de la politique, d’exister à la télévision durant quelques secondes.
Pour les amateurs de scènes accablantes d’hypocrisie et de recherche médiatique, ses obsèques seront
célébrées demain à Paris.
Une dernière question se pose toutefois : est-ce que Claude L., Enrico M., Serge, Beate et Arno K.,
Arthur et Estelle L., Yvan A. et Charlotte G., et tous leurs amis nécessiteux du cénacle people de Sarkozy et Kouchner, de la sinistrement sioniste UEJF, du CRIF et du Consistoire iront pour
autant pleurer sur sa tombe malgré leur commune admiration pour le seul chemin du libéralisme et la religion de l’argent, la vertu de l’expérimentation et le théisme de l’action ? Rien n’est
moins sûr, puisqu’il semble bien que sur ses vieux jours (enfin, durant presque trente ans quand même…), l’ami Raymond a donné à sa rondeur habituelle quelques angles aigus d’un béton armé aux
bonnes odeurs de cendres et de Zyklon B (V. Le Canard du 7 mars 2007, Libé et Le Monde du 6 mars 2007, Le Parisien du 11 mars 2007).
Ni rires ni crachats.