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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

Rêve 72 La mort des Schtroumpfs

Publié le 29 Juin 2009 par Luc dans Hacadences (du 16-2 au 9-7-2009)

En cette nuit sombre, les Schtroumpfs et moi-même sommes attablés silencieusement. C’est bien une ambiance inquiète qui règne pour ce dîner, que même les vertus euphorisantes de la salsepareille ne parviennent à atténuer. Quel peut-être l’objet de cette angoisse palpable chez les petits hommes bleus ? Je me retourne vers le Grand Schtroumpf, qui ne cesse de produire des sons étranges, des « Hem », des « Hum hum », des « Mmm... ». Je vois son œil rond, énorme et injecté de sang, s’agiter d’une lueur lacrymale lorsqu’un Schtroumpf lui adresse respectueusement la parole. Il dodeline de la tête, et continue d’émettre les borborygmes inquiétants. Son visage vacille souvent vers l’avant, entre peur et sénilité, Parkinson et Alzheimer.

Soudain un autre son, un sifflement strident mais étouffé provoque l’animation générale et la levée en masse des petits Schtroumpfs qui se précipitent hors de table jusqu’à la clairière voisine. Je suis encore dans le sous-bois lorsque je constate qu’un cercle lumineux se révèle concentrique sur le groupe des Schtroumpfs, que rejoint bientôt le Grand Schtroumpf. Tous sauf lui lèvent alors le nez au ciel et gèlent peu à peu. Si leurs bonnets et pantalons blancs restent de cette couleur, le joli bleu de leur peau vire rapidement au blanc, un blanc de plâtre mal lissé, une minéralisation peut-être plutôt qu’une cryogénisation. Peu après, je ne vois plus que des statues dépolies baignées de lumière, les jambes fléchies et le regard probablement planté dans les cieux noirs, puisque je n’en décèle plus que les cous et nez. On dirait presque une rangée de pâles menhirs, un soir de lune dans la lande de Quiberon. Le Grand Schtroumpf déjà chenu se blanchit néanmoins encore plus, la taille de son œil augmente encore et il pousse un dernier « Hum hum » angoissé avant sa complète pétrification.

 

Il me faut donc partir, en bénissant ma haute taille de m’avoir empêché de progresser dans le sous-bois aussi vite que les Schtroumpfs, car dans le cas contraire, le rayon lumineux circulaire m’aurait peut-être atteint aussi.

 

Deux baisers sauvages échangés avec deux inconnues plus tard, le jour s’est levé. Je garde en mémoire les événements de la nuit passée, puis la rencontre avec cette fille aux longs cheveux frisés auburn, qui me souriait sans mesure dans des poses alanguies lorsque les premiers rayons de l’aube m’ont mordu et interrompu, puis sur le chemin avec cette jeune fille brune coupée au carré qui s’est fougueusement jetée sur moi dans le halo trouble du petit matin languide pour m’embrasser comme un adieu. Le soleil est haut dans le ciel maintenant et je dois rejoindre le bureau d’incorporation.

Je gare ma vieille Métro Sport sur le parking de terre sèche, la ferme, puis entre au bureau. Je suis déjà habillé en kaki, comme à mon habitude, de pantalons de treillis et d’un tee-shirt TTA. La pièce est immense, surmontée d’un dôme de verre imposant, où courent de multiples escaliers circulaires, découpant la lumière en cercles concentriques. Cela me rappelle les pauvres Schtroumpfs de la nuit. Accoudé sur une rampe chromée, je prends ma respiration et me prépare à me diriger vers le bureau pour finaliser mon incorporation.

Je m’aperçois alors que j’ai oublié mon sac dans la voiture. Me maudissant de mon inconséquence, je prends une inspiration encore plus forte, faisant saillir mon torse à défaut de mes pectoraux de poisson plat, et marche calmement vers la sortie, d’un pas lourd et cadencé certainement très impressionnant. Je me sens grandir d’ailleurs à mesure que je m’approche de la porte auréolée d’une lumière vive. Celle-là s’ouvre d’ailleurs seule, à ma grande surprise, puisqu’elle n’est pas électrique. Non pas ! Quelqu’un vient de l’ouvrir : un homme minuscule, une cinquantaine de centimètres tout au plus, que je ne vois que de dos, du dessus. Je prononce un merci clair mais peu amical, militaire en un mot. Je me rends compte à ce moment que le nabot brun n’ayant pas daigné se retourner suite à mon remerciement porte un uniforme bleu marine et une casquette de la même couleur, mais dotés des cinq lignes des colonels. Cette taille infime et la couleur de l’uniforme me renvoient encore aux Schtroumpfs défunts, au Grand Schtroumpf infirme. Il n’a pas réagi à mon assaut de mépris, sort et se dissipe vite dans la poussière.

Je regagne ma voiture, y prends mon sac, reviens et me retrouvé encore accoudé à la même rampe chromée pour reprendre un souffle court, ainsi qu’un courage à deux mains.

J’y suis, je me présente au bureau, mon nom était bien sur les listes, on m’invite à poursuivre en passant la ligne de démarcation jaune peinte sur le sol clair.

Je m’aperçois alors que j’ai à nouveau oublié mon sac, par terre à côté de la rampe. C’est un signe. Je ne peux poursuivre. Oublieux de mon angoisse obsessionnelle de bien paraître, c’est piteux que je m’en retourne, prenant mon sac à la volée et regagnant mon véhicule sous le soleil de plomb, un ciel bleu schtroumpf, et le rêve de retrouver des baisers sauvages.

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L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise (1.63)

Publié le 26 Juin 2009 par Luc dans L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise

  Ce dernier, la trentaine établie, n’était, aux dires mêmes de l’ensemble de l’équipe et en son absence naturellement, pas un foudre de guerre en matière de disponibilité et d’esprit de service. Marié et deux enfants (rien à voir avec l’excellente série new-yorkaise donnant lieu aux ébats de la famille Bundy et de la sublime Christina Applegate), la voix traînante du lyonnais, une timidité dévorante qui le rendait souvent pivoine, étaient les caractéristiques qui définissaient le mieux ce personnage. Il était plus particulièrement chargé de l’intégration du novice dans le milieu professionnel et des points nécessaires aux recadrages successifs dans l’activité sacerdotale de celui qui avait choisi de porter la croix du droit.

  Pour le jeune homme, marri de ces entretiens informels de « recadrage », ce dernier mot était une abomination sémantique. Au-delà de sa signification réelle, il s’interrogeait sur son étymologie. Si ce mot venait du substantif « cadrage », il fallait l’entendre d’une mise en place du sujet par rapport au cadre du viseur d’un appareil photographique ou d’une caméra (qui a dit dans la ligne de mire du supérieur hiérarchique ?), sans s’étendre sur ses autres sens, liés à l’imprimerie ou au soutènement des galeries. Si en revanche, ayant pris le préfixe <re-> indiquant une nouvelle fois, il était issu du verbe « cadrer » (être en rapport avec, concorder), il signifiait un accord hiérarchiquement imposé sur le travail à faire : remettre en accord, re-concorder. Dans les deux cas, que le viseur sanctionnât l’interpellé ou que l’accord fût imposé, il existait nettement une situation de subordination dont toute déviance eût entraîné la mort professionnelle. Il convenait donc de pas sous-estimer cette notion de recadrage, notamment lorsque l’on s’en trouvait le malheureux objet. Il ne tombait pas dans le piège fallacieux de l’intérêt organisationnel, de la bonne marche du service. Pour l’Entreprise, il le savait, un recadrage n’était en aucun cas un acte collectif visant à une amélioration quelconque, mais bien un danger individuel et immédiat. Fort heureusement, l’avocat chargé de ces basses œuvres s’avéra plus gêné encore de cette mission inhabituelle que son apprenti… Son avenir aurait pu être tracé linéairement, en vue de l’association future aux destinées du cabinet une fois la quarantaine atteinte, si n’avait existé son plus jeune collègue aux dents longues.

 

  Il s’agissait d’un méridional ayant soigneusement gommé les effets hilarants dans un prétoire bourgeois de son accent originel. Sans jovialité aucune, l’homme attendait ombrageusement que survienne enfin la trentaine libératrice, garante du sérieux et de l’expérience indispensable à toute promotion dans un secteur qui ne serait pas le commerce. Il roulait évidemment en Golf GTI, mais s’était adapté à la couleur lyonnaise en adoptant un gris métallisé bon teint au détriment du rouge vif Canebière plus connoté. Ses chemises souvent canari contrastaient toutefois étrangement avec les modes vestimentaires abordées plus haut. Le café était son plus fidèle allié, avec le présentéisme absurde. Il fumait aussi… Le problème étant qu’aucun des associés n’avait versé dans le tabagisme d’une part, et que la nicotine manquait souvent de manière intenable à notre avocat d’autre part, il se réfugiait hors le cabinet pour se livrer à l’acte innommable. Pour sûr, faire un tour du pâté de maisons, une cigarette à la main, en plein été, voilà une pause bien agréable… mais une fois la froidure humide revenue (vers début septembre à Lyon), il n’en allait plus de même. Alors la feinte totale : les paliers des escaliers de secours menant au parking souterrain de l’immeuble, où notre néophyte le rejoignait quelquefois. Comment ce dernier aurait-il osé fumer dans le bureau nu qu’on lui avait gentiment mis à disposition, lorsque même les établis n’en auraient pas eu l’idée en présences des Pères associés ? Dès lors, lui aussi se fondait dans les parois, dans une hébétude pas vraiment sereine.

 

  De retour dans les entrailles, dans les sous-sols, je m’assois, excédé mais impotent. Tel un animal effrayé, chaque bruit me fait bondir. Alors je m’accroupis pour être prêt à la fuite ou au détachement devant l’imprévisible. J’ai cru à ma violence quand il ne s’agissait que de dépit.

 

  Paralysé, tentant d’accélérer le mouvement, je ne parviens qu’à trépigner sans raison. Certains jours voient l’entendement succomber à l’oppression intérieure.

 

  J’avale avec hâte une dernière bouffée de fumée, pour m’offrir une maîtrise de la chose… en vain. Je tourne enflé, à une vitesse folle, rotativement à un axe désordonné. Je dois regarder le ciel… Il le faut… mais inexorablement il m’échappe et mon nez s’écrase sur la paroi métallique qui accueille ma chute.

 

  Le tabagisme… Il était alors pourchassé par delà le monde civilisé, plus que les terroristes, les chauffards (ces « barbares » selon le Chi, que l’on classait donc entre les terroristes et l’homme criminel de Lombroso selon la mode de l’époque… Hurluberlubuesque !), les criminels et la raison.

  Le jeune homme s’amusait de ces publicités radiophoniques pas si bêtes par ailleurs. Notamment, le docteur Anne Borgne, tabacologue (il ignorait l’existence de cette spécialisation) avait déclaré sadiquement : « lorsque vous êtes dans une soirée et que pris par votre addiction, vous devez aller rejoindre les quelques autres pauvres fumeurs sur le balcon par moins cinq degrés… ». Il le savait et l’assumait, cet ostracisme américain, ce qui ne l’empêchait pas de temps à autre de revendiquer sa liberté par la violation consciente et jouissive des interdits. Il s’accordait avec ce médecin en revanche sur le fait qu’une personne ayant au moins une fois manifesté, même en plaisantant, le désir d’arrêter de fumer ne serait jamais plus en état de « fumeur heureux ». Pour sa part, il demeurait fumeur, pas vraiment heureux, mais trouvant dans l’acte machinal une réelle distanciation du monde, une inspiration, un concevoir empreint de recul sur le concret. Fumer régulait sa respiration, laissait son cerveau droit reprendre son dû, lui qu’il taisait, qu’il méprisait pendant l’activité professionnelle. Fumer était ventral, profond, essentiel.

 

  Il les connaissait tous et toutes désormais, puisque chaque matin, il souhaitait le bonjour dans ce même ordre. Lui, il n’était ni employé, ni confrère, juste un demi-ton sans réelle teneur ni fonction précise. Il se hasardait d’un bureau à l’autre, souvent pour demander du travail, dans la mesure où personne n’avait réellement assuré son management. Son autonomie naturelle pouvait laisser croire et penser que chacun des autres Pères ou Frères lui avait confié des tâches diverses et nombreuses. Il n’en était rien, et il avait donc le temps de s’instruire encore sur le fond, et d’observer toutes ces personnes qui ne se connaissaient pas, ne se rencontraient pas, se contentaient de vivre les uns à côté des autres.

  Il constatait que la galerie de portraits qu’il avait en conscience ne pouvait être plus que cela, faute de pouvoir établir quelque relation que ce soit entre les différents tableaux. Cependant, il ne mit guère de temps, sinon à réfuter, du moins à nuancer cette sensation, car il existait bien une relation émotionnelle au sein du monastère : l’avocat méridional et lui-même.

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Trop moi

Publié le 25 Juin 2009 par Luc dans Corps rompu (du 8-8 au 13-10-01)

Encore emporté dans les tourbillons de l’amitié, j’en avais presque fini avec toi, dont le silence de l’appel a cruellement fait écho une fois passé le temps des réjouissances. Les striures du plâtre morcelé courent toutes vers la même direction d’éloignement ; les bulles de peinture blanche, plutôt que de s’envoler, restent obstinément attachées au mur maculé de misérables toiles d’araignée brunies par le temps et la nicotine. A l’instar de mes doigts tordus, fatigués, ne se lassant plus de presser le point douloureux des muscles du corps replet.

 

Et le cri retentit, insoutenable autant que régulier. Il transperce le mur taché, les photos jaunies, de son rythme lent et acerbe.

 

Ce soir encore, l’esprit tranché de restes de présence, j’ai désiré ton appel, je t’ai désirée. Il n’y aura pas de mais à mon affirmation, c’eût été trop facile, trop vraisemblable, trop moi.
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Saule des tempes

Publié le 24 Juin 2009 par Luc dans Les rêves se terminent toujours (9-4-31-7-01)

L’œil lourd de rêves stupides, je tentais de déceler la voie à cheminer, si embrumée, obscurcie et pluvieuse ce matin. Je baillais volontairement  pour entendre mieux les plaintes de l’eau filant sur mes tempes. Des nuages de vapeur bondissaient à mon approche, au regard de laquelle ne s’offrait qu’un panorama gris, gris-noir, gris-blanc et gri-gri. La malchance, ou mieux, un sort devait s’être abattu sur moi. Les nouvelles insolentes de grandes et fines blondes dont je ne parvenais pas à m’approprier l’image me contraignaient à ouvrir la bouche plus encore, jusqu’au claquement espéré, là, entre les mâchoires et les tempes, qui ferait s’évanouir ma surdité nasillarde.

 

Oui, de l’eau sur les tempes, à l’imitation d’un pleureur allongé, mais quoiqu’on en dise, je ne suis pas saule ; mes sens cependant se délitent ou s’asphyxient de vouloir représenter les nuages bouillonnants de l’eau vaporisée. L’enveloppe est faible et ses branches déclinent au sol à la recherche du bras quiet de rivière où les tempes paraissent battre plus lentement, et le temps s’écouler moins rapidement, un léger rais de soleil flattant le mouvement impulsif de la veine sous pression.

 

Je ne suis pas saule, mais comme le temps est liquide, je bois peut-être trop. Le silence gargouillis de la pluie me cerne et je suis une saule traquée.

 

Ce soir j’aurais voulu reconnaître un appel qui n’est pas venu... Alors dans le souvenir d’une cécité de nuées grisâtres, mes bras viennent entourer mon tronc tremblant sur l’oubli d’un rayon de lumière jaune.

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Distorsion

Publié le 23 Juin 2009 par Luc dans Un beau rêve (du 1-8-00 au 31-3-01)

Ta voix a perdu son sens dans les grésillements de la mécanique. Les volets mobiles s’agitent le long de leur axe... Puis tu es revenue, telle que tu as pu être, avec un semblant de ce qui me fait vibrer sourdement [1].

 

Au-delà de ta voix éreintée d’une sonnerie synchronisée et de souffles distordus, que je percevais hachurée sans que cependant le ton m’en échappe, à défaut des mots, la véritable cacophonie vient du dehors, qui ne cesse de me hurler que je ne pourrais bien qu’être l’avatar du destin, l’alibi du gâchis...

 

La prémonition de notre destruction à venir ne suscite guère de doute en moi : ne suis-je pas ce devin altruiste volant au secours de la veuve et l’orphelin ?

 

Il vaut mieux en rire : parce qu’il s’est passé un presque rien, ne me fais jamais confiance. Parce que la pensée se trouble dans ses volontés de raisonner les fautes ou l’erreur, ne me fais jamais confiance.

 

Le péché étale sa mélodie surchargée sur les portées de mes pas, une redondance baroque. Je ne saurais croire en ce mot, car dans la chaleur montante (ma grand-voile de fuite s’affalant dans le même temps) m’emporte, m’évapore, m’en abstrait tant que je n’emmène que quelques images dans ma sueur indigne.

 

Tu as touché ma peau et la trace de tes doigts y brûle encore.



[1] Début de notre histoire avec Pascale Auger.

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Post-anniversaire

Publié le 22 Juin 2009 par Luc dans Deuil emmuré (du 4-5 au 27-7-00)

Une discussion avec quelqu’une m’a convaincu par antériorité de ce que nous avons vécu durant ces deux jours. Cela dit, rien n’avance, ne se meut autour de moi. Il faut bien dire que j’écris dos au monde, tout en vivant dans un schéma ne me convenant guère.

 

Dans les brumes des rires, des airs enjoués, je t’ai vu plantée, là, souriant de toutes tes dents, incapable de prononcer un mot. Ta gêne inhabituelle te rendait superbe. J’attendais que tu vinsses vers moi, directement, dans un prime élan de nostalgie... Cela n’a pas été le cas, mais ta manière de serrer mon bras quand enfin survint mon tour de bonsoir, ne me laissa pas de glace.

 

Il faudra bien, l’idée m’a traversé comme une lance d’Uhlan, que je me décide à poser le dilemme tel qu’il se présente. Soit nous renonçons au recul que nous décidâmes (pardon... j’en ris), que tu décidas voici trop de mois, auquel je consentis par fierté contrainte ; soit je devrais me séparer de toi à tout jamais. Dans ce dernier cas, te voir encore me serait par trop insupportable... Comme montrer une cigarette à un ancien fumeur de fraîche date, un œuf dur mayonnaise à un éthiopien...

 

Je devrais te rayer, te balayer, t’écarter de ma vie sans retour. J’ignore si je pourrais devenir ton ami... Mes bons conseils m’affirment le contraire... Je suis tenté de les croire, dans la mesure où à ce jour, en ta présence, aucune femme ne compte. Trouverais-je main que si nous nous croisions, je la laisserais choir, s’abattant sourdement sur la chair molle de la hanche, mon oubli s’assénant avec la force d’un marteau-pilon. Cela rendrait ma main malheureuse, reprochant l’inconséquence de son époux. Non, en portant les images dans les numéros qui nous caractérisent, j’espère que nous aurons à faire un choix. Fasse qui veut que tu m’aides à la décision...

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L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise (1.62)

Publié le 17 Juin 2009 par Luc dans L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise

  Hors ses fonctions par nature subordonnées, cette femme démontrait d’une attitude bien peu miséricordieuse envers les autres collaborateurs n’appartenant pas à la caste des avocats, pour ne pas parler de mépris. Ses choix vestimentaires aux senteurs d’argent frais, pour être classiques, ne relevaient pas du goût le moins douteux…

 

  Le factotum, c’est ainsi que la précédente le surnommait, était le frère du Père supérieur. De haute taille et presque décharné, il promenait sa nostalgie teintée d’une lueur d’ironie au travers des rayonnages de la bibliothèque en vue d’y exécuter son œuvre de classement et d’archivage. Telle était la fonction du documentaliste, pour cet ancien professeur de français à la chevelure blanche déstructurée, à la moustache poivre et sel. Il constituait le seul pôle d’originalité vestimentaire, avec ses chemises à carreaux entrecoupées de cols pelle à tarte, ses pantalons élimés montrant une tendance soudaine à la patte d’éléphant, ses vieux souliers… et une nonchalance contrastant singulièrement avec la rigueur de l’équipe en place. Naturellement, ses opinions politiques n’allant pas sans rappeler les J.O.C., sa tenue, son allure, n’en faisaient pas à proprement parler le paradigme du collaborateur d’un cabinet d’avocats. Aussi ne devait-il sa survie passagère en ce lieu qu’à son lien de parenté avec le Père supérieur. Quelquefois néanmoins le népotisme ne suffit plus, quand l’expression malencontreuse d’une idée personnelle, d’une information confidentielle vient heurter le système dans son ensemble.

  Alors même le Père n’y peut plus rien. Le béotien s’en souvient clairement…

 

  On me gratifie d’un bel uniforme, et l’on me fait monter un large escalier marbré. Levant le pied vers la marche suivante, j’entoure de mon regard la vaste pièce centrale. Marqueterie, lustre aux mille cristaux enchevêtrés d’or, confortables fauteuils en merisier brocardés de velours bronze, riches tapis ottomans, tentures, toiles de maître, guéridons en noyer décorés de motifs d’ébène, hautes fenêtres aux embrasures travaillées d’innombrables bas-reliefs sculptés…

 

  Le cadre de l’archevêché Barreau est magnifique, et je détonne..

 

  Ayant gravi l’escalier, un couloir s’offre à nous. Je continue de suivre l’huissier qui m’enjoint maintenant de m’asseoir. Cela me rappelle mon intronisation, en plus impressionnant. Là doit se tenir le fameux entretien auquel j’ai été convoqué, unique cause de ma présence en ces lieux, dont j’ignore tout des causes l’ayant légitimé.

 

  Dans le cabinet à la paroi extérieure duquel je m’adosse, j’entends tout d’abord une voix parfaitement reconnaissable : il s’agit du Père supérieur, de mon patron, de mon boss, de Big Brother. Je l’écoute reprocher au factotum, son propre frère, dont la voix apparaît dès lors, de trop parler, notamment à moi, esprit malléable et influençable en tant que novice.

 

  Son discrédit ne fait plus aucun doute, le mien est sur la sellette. La paranoïa galopante, que j’avais remarquée depuis mon arrivée au monastère, atteint un paroxysme inégalé.

  Puis une troisième voie s’immisce dans ce que l’on ne peut même plus considérer comme un débat : l’âme damnée du Grand Frère, l’exécuteur des basses œuvres, le jeune avocat se met à rédiger un acte à voix haute, comme s’il dictait. L’éjet « rupture à l’amiable, d’un commun accord » est très audible et peu cordial. Il ne va pas accepter ça ! – me révolté-je silencieusement… C’est le silence, justement, qui succède. Je recherche le bruit froissant des plumes sur le papier granuleux, celui, crissant, des chaises déplacées sur le parquet ciré après conclusion de l’acte de rupture… Mais rien ne se produit. A moi d’attendre seul avec mon angoisse que mon tour vienne… Putain que c’est long…

 

  Celui que le précédent appelait affectueusement le vieux, était le doyen de l’entreprise, la sommité de la plaidoirie. Une expérience incomparable ajoutée à une absence de mobilité durant toute sa carrière, en faisait le phœnix du Barreau, et son âge avancé contraignait au respect les jeunes canidés (cave canem…) formant sa cour dans les allées du Palais. La sauvegarde de la tradition de l’avocat et de son plaid se mariait à merveille avec ses tenues classiques. Sous la robe noire, hermine blanche à destre, l’habituelle veste marron en laine peignée, probablement écossaise, les pantalons sombres et les chaussures vernies entouraient une chemise au coloris incertain, une cravate aux tons fort peu débridés. Un sourire sympathique éclairait souvent son regard perçant et attentif aux choses alentours. Sa voix calme et apaisante, sur les vagues de laquelle se mouvait un tremolo anachronique, volait comme une caresse sénile dans la vaine et sournoise agitation de ses jeunes confrères débiles. En un mot, il représentait la sagesse et la quiétude d’une retraite éloignée des basses contingences téléphoniques qui rompaient avidement le maigre silence des autres bureaux.

  Il se trouvait bien aidé dans la préservation de son havre de paix par une secrétaire qui se pensait au service unique de l’idoine, au grand dam du Père supérieur et du Père directeur général. Cette grande et solide fille aux cheveux roux et regard bleu avait la détestable habitude de s’attribuer une partie de la célébrité de son maître, en plus de porter au bas des tissus serrés faisant ressortir abominablement sa large croupe. Au surplus, elle gonflait démesurément ses capacités et entretenait volontiers par sa supériorité l’exécrable ambiance régnant dans le staff ou pool des petites mains du cabinet.

 

  Ces quatre mains appartenaient en fait à deux personnes… Une militante gauchiste sur le retour, âgée d’une quarantaine d’années dont la présence plaisamment surprenante rassérénait le jeune homme, et une préretraitée doucereuse plus portée à la minauderie hypocrite qu’à rendre service. Pour ne s’entendre cordialement que dans un mou consensus, ces deux femmes mûres composaient une union sacrée pour conspuer leur consœur rouquine, sa mégalo-mythomanie, ses airs orgueilleux, sa morgue haineuse… A tour de rôle, elles allaient donc toutes trois quérir le Père principal et lui exposer leurs doléances respectives, toujours dirigées contre l’une ou les autres… Sans résultat, ces emportements féminins parfois violents étant parfaitement dédaignés par le maître de céans, par ailleurs extrêmement méfiant envers tout ce qui avait trait à la féminité, portion diabolique, et étrangement muet quand survenaient ces événements.

 

  Le mutisme était aussi un caractère essentiel de l’avocat secondaire le plus âgé. L’homme se révélait plutôt de haute taille, la quarantaine grisonnante et les yeux cerclés d’or. De son visage gargouillesque n’émanait aucune sympathie particulière quand sa voix calme, grave et posée égrenait sans conviction les tumultueuses réactions sociales qu’il ne connaissait que par l’écrit. En matière relationnelle, le malaise s’avérait incontournable. Il avait pris son temps pour tutoyer le jeune apprenti, ce qui avait causé grand plaisir chez ce dernier, lequel ressentait dès lors dans toute sa réalité son acception véritable au sein de la confrérie. Mais un vouvoiement ressurgit soudain, qui sonna mal. Un tutoiement lui succéda quelques jours plus tard, puis de nouveau le vouvoiement, dans la même heure peut-être. Il remarqua que le tutoiement s’exerçait uniquement lors de conversations à bâtons rompus sans implications professionnelles, tandis qu’il s’entendait vouvoyer lorsqu’il s’agissait de travailler au service de l’individu. Qu’il se représentât ou non la teneur profonde d’un tel comportement, comme toute incompréhension, comme tout étonnement, une indicible souffrance le mut, dans sa gêne grandissante, son renoncement apparaissant… Il tenta de se forcer à sourire de sa faiblesse : toujours lorsque le malaise s’accentue, le désespoir se fraie un chemin, doucement, sans heurts ni brusquerie. Il vient, affectueux et paternel, l’entourer de ses longs bras, lui offre sa chaleur languissante. Il humecte ses yeux, alors que ceux-ci prennent dimension en se cerclant de sombre, que les joues se creusent. La tendance est à l’affaissement ; le regard plonge vers le sol, tandis que le corps s’emmitoufle plus encore. C’est dans cette couverture qu’il s’était entendu vouvoyé, par une personne connue, dont il lui sembla qu’elle ne l’était plus. En se tournant vers l’intérieur, il vit le désespoir sourire jaune. Il s’efface… disparaît… L’homme de la quarantaine, mon jeune ami, est souvent difficile à cerner, ce que nos gentilles femmes mariées (ou en instance de ne plus l’être à l’été de leur vie) ne démentiront pas. Sans revenir sur les extras que s’offrent de tels mâles à l’apogée de leur verge créatrice, le susnommé, dont les capacités ne devaient pas être mises en cause au motif d’une certaine manière d’aborder la relation humaine, démontrait néanmoins d’une certaine ferveur dans son déplacement bi-hebdomadaire à la salle de musculation située non loin du cabinet, où l’accompagnait l’un de ses jeunes collègues.

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Peu de pas pas grand-chose

Publié le 16 Juin 2009 par Luc dans Rupture (du 1-11-99 au 26-4-00)

« Joyeux Noël ! » : cette éructation imbécile s’étouffe dans mon corps blessé. Par esprit de sacrifice, en nouveau jésuite, j’ai pris le blâme sur ma personne, la solitude quand je ne croisais que visages heureux, béats, stupides... « Beati pauperes spiritu », disait-il, et là je deviens vraiment jésuiste.

 

Il me faut pour la millième fois, quitte à lasser le lecteur virtuel, projeter le malaise, comprendre ces envies d’en finir qui traversent mon univers durant quelques minutes, le dégoût qui m’agite lorsque des yeux tant inexpressifs que convaincus (bizarrement) m’assènent que « Noël, c’est la fête des enfants » et bla bla bla... Tout pour les enfants... Bli bli bli... Rien que les enfants... Blug blug blug... ‘Faut pas toucher aux enfants... Bla di bi di bi da bla... Que répondre ?

 

(voix mielleuse)

 

« Voir la vie avec des yeux d’enfant ? Bien sûr, c’est possible...

 

(voix sèche et métallique)

 

... Pour 3.000 $ la cornée, 4.500 $ les deux, servez-vous au Brésil... ».

 

Noël, fête des enfants ! Incongruité historique, théologique et connerique. Généralement pourtant, je ne déteste pas cette période...

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Lettre à Emilie

Publié le 15 Juin 2009 par Luc dans Deux ans de reconstruction (1-98-31-10-99)

Après une journée de dépit et une nuit de réflexion, dont je finis par me poser la question de l’utilité, je n’ai finalement abouti qu’à un constat incertain.

 

Tu me pardonneras tout d’abord d’avoir dactylographié cette lettre, ce qui sied bien peu à la situation et surtout au contenu de ce qui va suivre, mais cette précaution s’avérait nécessaire dans le souci de m’assurer la lisibilité de ces lignes.

 

Ensuite, je ne reviendrai pas sur la froideur dont j’ai dû faire preuve au téléphone hier, soufflé et abattu que j’étais, à la fois devant une réaction physique incompréhensible, matérialisée dans un manque d’air passager et un cœur battant la chamade, et de par ta gêne si tactile, sensitive... Ici encore, tu me donneras l’absolution pour avoir quelque peu lâchement coupé court, pour avoir nié la sensation terrible que j’éprouvais dans un illusoire masque de force, et force d’orgueil.

 

Je m’étendrai en revanche sur les questions soulevées lors de notre discussion. Comme tu le sais toutefois, étant foncièrement incapable de procéder à l’osmose de la raison et des sentiments, suivront deux autres lettres, toutes aussi vraies l’une que l’autre, agressant ma nature couarde et menteuse de ces deux manières. Elles viseront à faire ce que je n’ai jamais pu dire : si je me révèle impuissant à articuler la vérité, résolvons-nous à l’écrire...

 

Entre-temps, l’interrogation engagée plus haut mérite de trouver un chemin de réponse. Ce qui va suivre est-il vraiment utile ? Pour être franc, j’en doute, tes décisions t’appartenant et ma mâle fierté mise à mal ne m’enserrant pas dans la bêtise à un tel point que je pourrais imaginer un instant avoir quelconque influence sur elles. Je pourrais dire “Ce qui est fait est fait, et plus à faire”, ou autres banalités, en me contentant amorphe et subissant ratificateur d’accepter la chose sans effort de l’appréhender. Je ne puis m’y résoudre.

 

Le but est double : je cacherai pour le moment le premier, pour ne révéler que le second, à savoir la tentative d’une forme de libération, peut-être la tienne, plus probablement la mienne.

 

Que violence se fasse à un menteur impénitent.

 

Raisonnable ?

 

Que dire de raisonnable lorsque ton obstination à ne pas parler me laisse dans les tourments de l’indécision.

 

Faisons l’effort de reprendre le cours du temps (rappelle-toi que tu as aimé l’histoire par exemple...) : nous nous connaissions bien, depuis quelques années, et en vînmes presque naturellement à céder aux pulsions.

 

Je dois dès ici avouer ma peur panique des passions, de la sensualité, du sexe, qui se traduit par une apparente indifférence au mieux, à un mépris sans cause et renfrogné au pire, qu’en tout état de cause mon orgueil m’empêche d’expliquer. A cela s’ajoute une honte profonde de ce que je suis, représente, sur le plan intellectuel, et de mon corps en général, trop affecté à mon sens d’une surcharge pondérale à propos de laquelle j’ai continûment craché ma haine. La déduction est aisée : je ne m’interroge pas, me connais trop et déplore de laisser échapper tout indice pouvant mettre quiconque sur la trace de ce que je suis, de cet ego haïssable. C’est en luttant contre l’amour à l’orée d’une vie d’adulte et d’échec que je me suis perdu, moi l’affreux timide, sentimental à en vomir, le rouge vif de l’humilité pointant trop souvent à mes joues rebondies et mes grandes oreilles... Dans ce combat vain, j’ai cru m’endurcir en conscience, devinant dès les premiers verres la faiblesse de cette cloison en contreplaqué rongé aux mites. L’amour n’était-il pas regardé comme insuffisant, puisque à cette époque adolescente il s’était trouvé incapable tout d’abord d’empêcher la rupture, et ensuite de survivre, purement et simplement ? Idéalisme, romantisme... Mon horreur de ces mots se rattache évidemment à l’expérience gâchée, à la sensation réfutée de ce que je suis. Amour... Ma terreur de ce mot ressemble à l’attirance paniquée d’un animal devant le vide, d’un Luc ahuri devant sa véritable quête, se crispant dans un magnifique réflexe d’orgueil infondé et détournant la tête, dédaigneusement en apparence, avec souffrance aux tréfonds.

 

Je te l’écris parce que je n’ai plus rien à perdre ni à te cacher, malgré la peur de la vérité et des risques pour mon image (quelle dérision !) qui m’étreint encore. Tu comprendras alors combien il était âpre de jouer le rôle d’un séducteur attentionné, mû d’une assurance de lui contre nature pour ma part.

 

Continuons de reprendre : après les pulsions, ma faiblesse dévorante devant les événements de la vie et le quotidien.

 

Crémieux, Lyon : chaque jour davantage frustré en mes profession et esprit, n’osant en parler pour ne pas avouer la faiblesse, par égoïsme et manque de confiance mais pas d’amour, tu as commencé à partir, quels que fussent par ailleurs tes sentiments à mon égard. La rigidité de comportement, une sensualité réduite bien sûr conséquente (comment aurais-je pu, au vu de mes réactions, réclamer la tendresse que je ne donnais pas ? Comment aurais-je osé te demander d’assouvir mes quelques fantasmes sexuels lorsque tu me cachais les tiens, pour des raisons ignorées à ce jour ?), doivent avoir mis à rude épreuve tes nerfs à l’évidence, ta conscience et tes sentiments aussi, j’en demeure persuadé. Cela dit, il paraîtrait injuste de ne pas partager la responsabilité : tes réactions indifférentes ou agacées, liées à ton absence de volonté de communiquer, ont été ressenties comme un injuste abandon, au moment où, même si j’étais incapable de le formuler, j’avais le plus besoin de toi.

 

Le quotidien... Refuser plus encore l’étroitesse des rapports et la sexualité : honte toujours. Victime de suées nocturnes après le football, que n’allais-je t’approcher ! La voiture haïe, cause de tellement de disputes absurdes que mon seul cerveau ne suffit pas à les compter. Tout est lié, ces week-ends cloîtrés, cette inactivité, le manque de présence amicale, d’argent...

 

Le temps dépressif et le mauvais Luc, ou l’inverse... Les mycoses rebutant toute tentative de rapprochement. Songeant de nouveau à cette époque avec un sourire jaune, je ne peux même pas imaginer notre endurance, mais aussi notre résignation à la défaite.

 

Marseille : nous savons tous deux ce que nous pensons de cette ville, et l’erreur peut-être salutaire de l’avoir rejointe. Des rapports de mal en pis, une frontière que tu franchis en me doublant sur le fil quant au niveau de malaise, si tant est que celui-ci peut être quantifié. Je n’ai jamais supporté le quotidien, la présence de quelqu’un au réveil, l’amour n’y changeant rien, mais malheureusement, ce quotidien me pétrifie, obscurcit mon jugement. Non pourtant, je ne suis de nature ni casanière ni exclusive du corps ou du voyage. Si fait, je n’ai rien fait pour la montrer !

 

Puis ton départ sur Paris, que dans l’inacceptation de mes sentiments, j’ai opéré à la valorisation exagérée de mon raisonnable mêlée de sens du sacrifice pour l’utilité de ta vie... Et peut-être un peu d’hypocrisie tant le quotidien devenait difficile à supporter.

 

Mon caractère insidieux a toujours préféré la distance, et les relations d’amants plutôt que celles d’époux, nécessitant plus de concessions, de dévoiler plus de faiblesses et d’occasions de faire rejaillir cette honte, fil rouge de mon existence. Je croyais intimement, sûrement le crois-je toujours, qu’une séparation temporaire nous permettrait de nous retrouver, notamment du fait de l'équilibrage de nos vies professionnelles. Il me semble me rappeler que je t’ai poussée à partir, lorsque tu hésitais encore entre un stage estival et une embauche définitive. Je puis te jurer que mes sentiments profonds n’étaient pas en cause dans cette manifestation de volonté.

 

Le chômage, Aix en Provence : peu à peu, je t’ai sentie t’éloigner, peu à l’écoute de ce que je considère comme un désespoir. Or ce dernier absorbe les restes d’humanité ; il ne se partage pas pour qui conçoit à destination de l’être aimé du respect. Victimisation me diras-tu !? J’ai poussé de la manière la plus honnête qu’il me semblait le sens de ce sacrifice jusqu’à refuser d’aller te rejoindre à Paris, pour ne pas précipiter notre chute.

 

Lyon était si proche, mon état d’esprit pire encore que là-bas : comment aurais-tu pu me supporter ne fût-ce qu’une semaine dans ces conditions ? Aucune réponse ne s’est imposée, et j’acceptais stupidement renonçant la croissance de la distance qui nous séparait de plus en plus. Physiquement, certains week-ends “dépensés” sur Paris et non consommés malgré mon désir, par ton refus à demi-mot, ta maladie, ton allergie naissante à ma personne ? Le plus dur serait de me convaincre du contraire...

 

Idiot et frileux que je fus de me livrer moi aussi au non-dit en cette matière si sensible ! Mais la honte et l’orgueil font très mauvais ménage : il s’avérait absurde, dérangeant, inconvenant de demander quoi que ce fût, et il fallait te prouver à la fois ma capacité et ma volonté de te retrouver en obtenant un poste à Paris. Là encore, conscient mais en refusant le principe même, j’ai fait fi de la sensation de négligence que tu éprouvais de ma part envers toi, espérant te revoir tête haute et amoureuse, une situation en mains... Orgueil, naïveté et stupidité sûrement...

 

Travail, de nouveau : mieux... Mais à Annecy, mais trop tard. Une vie sentimentale de plus en plus convenue par notre raidissement conjoint sur nos positions respectives d’incommunication. Une vie sexuelle sporadique et pour ta part teintée d’une douleur feinte ou réelle, que seul le manque d’amour peut à mon sens expliquer, jusqu’à ce jour fatal où ma tête a bourdonné, mon cœur cessé de battre alors que le sang montait violemment jusqu’à mes tempes.

 

L’ensemble de mes défauts, avarice ou tempérament économe selon la vue des choses compris, dont la conscience exagérée et parfois travestie est une caractéristique personnelle, ne m’avait pourtant pas préparé à ... ça, faute d’autre mot traduisant ma sensation.

 

Week-end parisien subséquent : excellente fin de semaine où j’ai cru te retrouver telle que je t’avais connue naguère, le tout pour une fois encore devoir prendre lors de l’ultime déjeuner l’initiative de la violence que tu n’assumais pas, que peut-être tu ne voulais m’infliger en cédant au souvenir. Initiative forcée se résumant aux larmes à la fois nerveuses et synonymes d’échec, de défaite, de regret que mon tempérament nostalgique fortifie plus encore. Mais il demeurait une lueur d’espoir : si par ton comportement tu m’avais contraint à prendre l’initiative, je n’allais tout de même pas te faciliter la tâche jusqu’à assurer celle de la rupture consommée. Dès lors, j’avais envisagé, ce avec quoi tu t’étais accordée, une séparation provisoire, “jusqu’à ce que l’on constate si l’on peut et veut vivre l’un sans l’autre” ; tels étaient mes mots dans le texte... Inutile de t’avouer désormais que je ne souhaitais qu’une chose, c’est que tu reviennes sur ton incertaine décision (incertaine était uniquement mon ressenti).

 

J’ai été renforcé dans cette opinion par certains faits, jusque très récemment, par Laure (“Elle t’aime encore”), par Stéphanie (“Emilie te considère comme l’homme de sa vie”) ... Je t’en supplie, ne t’en prends pas à elles pour m’avoir fait part de tes questionnements d’alors. Alors j’avais beau jeu, en tant “qu’offensé”, d’attendre ta repentance à bras ouverts, d’autant plus que les mois passant depuis décembre, l’analyse de nos erreurs et souvenirs m’avaient dirigé de nouveau vers toi. Cette sensation se confirmait lors de chacune de nos rencontres ultérieures, où le plaisir de te revoir sourire et la volonté de te séduire à nouveau se cachaient difficilement derrière une attitude simplement amicale, une joyeuse humeur de façade. Je ne patientais depuis le 6 décembre que pour toi ; l’évidence était là, malgré toutes ces bonnes paroles du type “Quand c’est fini, c’est fini” ou autres !

 

Attendre sans agir le “tout-cuit”, accroché comme à une planche de salut aux ouï-dires complaisants, voilà qui était bien présomptueux. Que n’avais-je pas imaginé que ces dizaines de jours s’accumulant comme un classement en retard qu’on ne pourrait bientôt plus récupérer, laissaient s’amoindrir la chance espérée ? Avais-je envisagé cette durée comme possiblement éternelle, au point de te voir nonne ou vestale d’un feu sacré de cendres désormais froides ? Je crois que oui, malgré l’espacement croissant de tes appels, à mon grand dam.

 

Dimanche 8 août : il me rappelle fortement le 6 décembre. Souviens-toi, quatre jours avant cette date tu me réclamais d’urgence à Paris pour une discussion qui s’annonçait comme bien sombre ; trois jours avant j’apprenais que j’allais me retrouver au chômage, de la manière la plus indélicate qui soit après tant d’espoirs misés, et à cette date du 6 décembre tu m’annonçais ta volonté d’en finir. Dimanche 8 août : deux jours avant, j’apprends que je dois être opéré et que mon avenir professionnel s’assombrit, aucun renouvellement de mon contrat n’étant prévu après le 31 décembre ; au 8 août, anéantissant mes espoirs ridicules, tu m’apprends que tu nourris depuis un mois et demi une liaison, avec qui plus est un séducteur attentif, modèle de ce que je ne serai jamais, comme si tu t’étais trompée totalement durant les plus que trois années, dès lors gâchées avec moi. Ce doit être, de manière lucide et repoussant toute pitié, ce que l’on nomme la loi des séries...

 

Dans cette sorte de mienne pathologie complexée, j’avais regardé comme valorisante une fidélité après rupture, ce qui ne devait finalement être qu’un deuil...

 

Je pourrais me contenter de remarques acides, aigries, tenter d'augmenter tes parts de responsabilité, d’accroître ta culpabilité... Quitte à te surprendre doublement, non seulement je n’en ferai rien, mais en outre il me faut garder espoir.

 

Mais j’ai toujours été mythomane.

 

Sentimental ?

 

Tant de choses à avouer, identiques au fond mais plus fortes en tête... Tant d’images se bousculent devant mes yeux lavés. J’avais bien commencé dans une lettre que je t’avais expédiée en juin 98, mais si rappelle-toi, y était joint un élément allégeant (une photo de Camel avec la mention “Qui aime partager les bons moments ?”). Mais mon écriture incompréhensible avait nui au message... Sauf à considérer que tout était déjà achevé, consommé...

 

Que dire du piètre amant que j’ai été, ce que dans ta bonté ou plus cruellement ta sollicitude ou ta pitié, tu n’as été jusqu’à me l’asséner à pleine face. Les raisons, les excuses devrais-je dire, n’y font rien. Quelle inconscience lorsque je me vois périr dans un sourire absent, l’air béat devant la tombe que j’ai creusée, où ne manquent que les fleurs que je ne t’ai pas offertes. Quelle sublime douleur lorsque je ne sais si les larmes me montent aux yeux, si les palpitations désespérées qui soulèvent cœur et corps ne sont que subtils soubresauts de nostalgie. Ce corps débile et contrefait que je hais tant, qui n’a su que te rejeter loin, faute de pouvoir te donner, arrive à son terme. L’odeur de la peur et des étreintes dans la sueur, les nausées d’une simulation, laquelle ne serait peut-être pas qu’imaginaire, s’effacent, et ne demeurent plus à la surface de la peau que les tremblements du vent.

 

Les lignes célestes sillonnées de nuages sombres et légers ne me parlent plus, de la même manière que toi, s’affadissant dans les langueurs d’une relation impersonnelle. Qui aurait cru qu’il suffirait de douces paroles chantantes et ânonnant la comptine mille fois répétée d’une séduction volage et futile pour te faire céder ? La joie est mienne, celle de te voir t’égarant dans les méandres des apparences les plus grossières, dans les détours de la recherche d’un plaisir sans lendemain. Et là, haletante, la jalousie...

 

Ne me parle plus, jamais.

 

Je ne peux renoncer à ma quête, celle par les chemins tourmentés de laquelle je ne saurais qu’avancer jusqu’à la raison finale de tout. Sous les lignes évaporées se fait le jour, dans les grincements d’une vieille charrette. J’exécrerai encore ces bonjours obligés qui nous rendent débiteurs du monde ; je mourrai un peu dans les voix suaves et acidulées des rendez-vous nocturnes où je ne suis qu’étranger ; je me baignerai une fois de plus dans les soies mauves du couchant, en toute solitude et buvant la tasse salée de l’absence de sérénité. Mais aussi, je trouverai encore la force de la hargne, de la pique inamicale, de la critique facile, puisqu’il m’est donné de jouer le rôle du bouffon dans cette mauvaise farce, dont nos amis oublieront vite l’acteur un peu creux et vaniteux que je fus ; je ferai sourire d’autres gens en m’en prenant à leurs voisins, inventant des récits rocambolesques, de vaudeville, tragi-comiques, puisque là encore, il est écrit que mon chapeau doit être orné de clochettes tintinnabulantes. Mon habit gris fera ressortir les couleurs mensongères de ma langue fleurie, et le retour se fera plus vain. Pas de plainte pourtant. Et là, piteux et pendant, m’embrassant jusqu’à me confondre, le regret...

 

Parle-moi encore, aime-moi.

 

Même lorsque j’étais raisonnable, aveugle et sans recours, je ne me livrais pas. Que pour la première fois une leçon me serve. Ne vois aucun appel ni rien d’autre dans ce que je viens de te confier que ce que tu pourras en retirer à ton seul profit.

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L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise (1.61)

Publié le 12 Juin 2009 par Luc dans L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise

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  Au sein du cabinet, la matière vestimentaire se trouvait au sommet du convenu. Quand Jean Marais arborait fièrement ce fameux pull jacquard gris clair à liserés jaunes, l’incorrigible classicisme de l’uniforme de rigueur au sein de l’Entreprise devenait plus criant encore. Le jeune catéchumène ne trouva nul courrier d’admiratrices déchaînées réclamant passionnément le patron de ses tristes costumes. Il ne s’en trouvait pas plus mal, lui que l’on avait souvent surnommé « garçon de café », « représentant chez Roblot » et autres douceurs.

  Le Père supérieur se hissait naturellement au-dessus du lot, en portant avec un panache certain la chemise claire recouverte tantôt d’un gilet de laine jaune pâle, fin et léger, tantôt du traditionnel pull en V, virant du bordeaux au rouge le plus éclatant. Sa longue silhouette s’alanguissait et ses fines épaules paraissaient se faire plus étroites encore avec cette tenue. Dût-il se dépêcher vers l’extérieur que l’ensemble se voyait affublé d’un long imperméable bleu marine, augmentant sa taille gigantesque que son visage sempiternellement pincé et contrit imprégnait d’une aura de respect forcé.

  Ses adjoints se répartissaient curieusement les rôles pour aboutir à la nécessaire sensation d’équilibre du groupe, indispensable à la stabilité de l’Entreprise. Le Père chargé de la gestion des comptes clientélistes, étrangeté des destinées, s’octroyait le pôle sportif et décontracté, ce qui n’avait pas échappé à notre néophyte lors du second entretien d’embauche. Malgré sa surcharge pondérale, il se vêtait souvent d’étroites chemises bleues, pantalons de toile et mocassins peu habillés, tout en démontrant d’une activité qui confinait à l’agitation confuse. Le visage mafflu se révélait souriant et, semblait-il, de manière sincère, ce qui ne laissait d’étonner le scolastique… si n’avait été ce regard d’acier en totale contradiction avec la bonhomie du personnage. Les catacombes affreuses, la sensation terrible d’une pure présence de l’UIMM en ces murs ourdissaient derechef leur trame arachnéenne dans le cœur de l’humaniste.

 

  De l’administration était chargée la femme du rejeton du prophète Denis Kessler, un moment injustement soupçonné de soutenir le Vieux de la Montagne et sa secte des Assassins, ainsi qu’Alain Madelin. Le prophète Kessler, songeait-il, était désormais maudit puisqu’il préféra la réassurance à la sainteté. Le cardinal Ernest-Antoine avait dû l’évincer pour le salut de la noble cause qu’était la « défondation sociale », poursuivie par la suite par la première papesse, Pie XIII, autrefois connue sous le nom de Laurence Parisot, mais ceci est une autre histoire. Mais après tout, pensait-il, l’abbesse Notat elle-même n’était-elle pas partie pantoufler dans la notation sociale (avec Vigeo, elle aurait dû déposer le brevet de l’idéelle « firme propre » et éthique). Qu’importait, le jeune homme parlait encore en songe à Denis, en lui affirmant qu’il n’était pas un extrémiste, qu’il cherchait à ne plus se moquer de tout et de rien, pour commencer à construire, à réformer, puisque c'en était la tendance… Il reprochait toujours à ses interlocuteurs nocturnes d'être enfermés dans leur logique libérale et bourgeoise, alambiquée et surfaite, de n'avoir pas la moindre idée de la démocratie, ou plus exactement, de la citoyenneté. Que ne se le reprochait-il à lui-même, arc-bouté sur des principes politiques et préceptes moraux pas vraiment choisis en libre conscience. Tout cela lui rappelait de ses connaissances, enfants chéris et turbulents de la tolérance, mugissant des colères impétueuses de l'intolérance sitôt que les représentations caricaturales de cette dernière (Le Pen, Mégret) s'érigeaient fulminantes devant leurs yeux. Pas de tolérance pour l'intolérance, qui sonnait aussi faux que Trop d'impôt tue l'impôt. Et puis vivait-on réellement dans une démocratie quand Suprême NTM se retrouva derrière les barreaux, pour un outrage chanté, même s’il devait avouer que comme ami, Joey Starr lui eût foutu la trouille et les miquettes. Cependant, la disproportion relevée entre l'atteinte à l'ordre et aux pouvoirs publics d’une part, et de la sanction infligée au chanteur d’autre part, était flagrante (trois mois fermes, trois avec sursis).

  Quoiqu'il en fût, dans un trouble mélange de révolution citoyenne et de pudeur extrême, de violence contenue et de renoncement apeuré, le jeune homme savait être un homo-politicus abrupt à la fameuse pensée unique... pour mieux y substituer la sienne. Grandeur et contradiction des belles idées. Cela étant, le principal souci de ce jour là demeurait tout de même cette satanée chaudière SD 220/05F qui s'obstinait à perdre son sang sur le glacial carrelage de sa cuisine, et bien sûr... à ne pas accomplir son oeuvre de chaleur. Mieux valait alors revenir au cabinet, et passer comme tous les matins du monde devant le bureau de Cerbère, la femme du directeur général, en oubliant le népotisme de tout organe dirigeant de Madame E. Cela dit, la situation démontrait que cette affligeante pratique existait jusqu’en les plus modestes ramifications de la dame patronnesse, de la mère maquerelle. Il s’agissait d’un petit bout de femme aux mollets puissants, bronzée tout au long de l’année à l’instar de son employeur de mari. Sa peau ridée par l’excavatrice des temps ensoleillés se celait derrière une large paire de lunettes cerclées d’argent, qui faisaient reluire davantage les boucles d’oreille scintillant d’or et de diamant. La finesse de ses lèvres donnait à un insidieux frisson d’angoisse l’opportunité de parcourir l’échine, tel qu’il est commun de réagir devant le symbole de la méchanceté. Le caractère marqué de l’exécution, du concrétiser, dans son activité ne semblait pas satisfaire son incommensurable besoin d’importance, elle qui avait probablement dû sacrifier sa carrière dans l’œuf pour l’éducation américanophile et tennistique de ses enfants.  Cette femme, admirative des idées de lutte, de positivisme, d’argent… Elle le faisait penser… Il ne fallait pas se laisser abattre, ni vaincre par le sommeil ou l'abandon. Il ne faisait rien, sans en avoir envie, ce qui ne signifiait pas qu’il ne faisait rien que ce qu’il avait envie de faire, mais bien qu’il ne faisait rien, sans avoir l'envie de ne rien faire ou de faire quelque chose.

  La veille s'était élevé de manière cruciale le problème général de l'envie en tant qu'elle eût induit la lutte, l'espoir, l'ambition, et tous autres principes ou qualités issus des eighties. Il soutenait qu'il était parfaitement concevable et plausible d'avoir une prise sur les événements dans une conception purement défensive, exclusive de l'ambition, et sans que cela permette d'y connoter quelconque concept de lutte ou surtout d'espoir. Son interlocutrice lui affirmait, assez justement dans l'apparence, que toute défense constituait un combat. Le jeune homme tenta alors de détruire l'argument par une maïeutique toute socratique ("Tu as dit que... Et alors quoi ! Ne pourrions-nous pas dire que... Ne nous accordons-nous pas sur ce point... Alors ne seras-tu pas d'accord avec moi pour poser que...", etc.), en instillant dans le débat l'idée d'un désespoir machinal. En une telle hypothèse, la pseudo bataille se déroulerait en sachant fort bien que l'on en sortirait vaincu. Alors il s'agissait d'une bataille dont le combat n'était autre que la lassitude et le dépit, dans une sorte de réflexe mécanique. Il conclut donc en affirmant que l'espoir et le combat, donc l'envie, ne s'attachaient pas irréfragablement à la notion de défense ou encore d'immobilisme, réactionnaire voire conservateur.

  Cela dit... il ne convainquit personne, et sa magistrale démonstration était déjà tombée dans les oubliettes de la conversation lorsque le dernier mot fut prononcé. Il ne prit pas la mouche : pourquoi l'eût-il fait, puisque ce défensif sans envie, qu’il décrivait si admirablement, n’était autre que lui ? A l’antithèse de la femme du D.G…

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