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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

Le Couple (1.51)

Publié le 17 Mars 2008 par Luc dans Le Couple (essai satirique)

V

 

20-25 ANS : LE COUPLE TORRIDE

 

32100 Condom sur Baïse

 

 

  Cette charmante localité du Gers est le but final, et non la destination des vacances, de ces cinq années, vécues en aventure ou concubinage, ce qui revient au même… Les cieux chargés exhalent dès lors une légère teinte rosée : amour ou lointain incendie de forêt ? « Sang des Dieux », soupirerait le Parnassien. Et dans l’instant suivant, à l’image du sage contemplant les funestes ramages du temple copulaire, choit la pluie, sans rage.

 

  Vingt ans demeure un cap, celui qui dépassé fait pour la plupart d’entre nous disparaître le perfide et humiliant « Jeune homme » ou « Jeune fille » au profit, fier détroit, des « Monsieur » et « Madame » (tandis que l’on se mettra à regretter l’étape précédente après 25 ans… Allez comprendre…). Un simple élément linguistique, dialectique même, fonde la nouvelle fierté. L’état adulte se pressent sur l’année civile et se ressent sur la carte d’identité. A partir de là, bien des choses se joueront sur papier, alors que, encore un paradoxe, les correspondances se font plus relâchées, jusqu’à s’évanouir définitivement, comme la lecture. Les lettres dans un couple par hasard ou délibérément éloigné, revêtaient une grande importance à la période de l’adolescence : qui ne s’est jamais senti dans la peau d’un grand auteur d’un illustre poète, dont chacun sait qu’ils nourrissaient un abondant et passionnant échange de missives.
  L’obsession de susciter l’intérêt du lecteur, dans des buts inavouables le plus souvent, avait pour conséquences la recherche, la réflexion, le travail stylistique, en tout point différentes des fameuses cartes de vœux ou de vacances [1].

  Tout cela est révolu… La main devient ferme pour guider non plus la plume mais le vit vers le puits des délices fermé à ces nuits de calice à la lueur d’une bougie [2]. Les lignes se noircissaient droitement, lorsque aujourd’hui elles ondulent sensuellement dans la courbure d’une épaule, d’une hanche, d’un sein ou d’un dos musclé.

  L’écriture était le plus parfait exutoire de l’amoralité, de la perversité, masquées sous l’épais fard des métaphores, maintenant fardeau lorsque l’on doit s’y consacrer. Archaïsme du tracé littéraire ! La disparition des correspondances exprime la détresse des concrétions concrètes que le couple subit, au son uniforme et hachuré de la première fréquence de la bande F.M., laquelle marque les inquiétantes cycloïdes de la courbe de l’hydre.

  Quelle que soit la démarche d’un couple, sa courbe demeure toujours axile  à une bien ennuyeuse droite (xy = 0). Le couple n’est donc pas mathématiquement une addition de deux êtres, nous l’avons démontré sociologiquement par ailleurs, mais bien une multiplication confuse bien que simpliste, dont l’un des facteurs est nécessairement l’élément absorbant de l’autre : il en résultera la nullité à tous les coups. En soi, la vertu de l’expérience ne suffit à fonder de telles assertions : il faut y ajouter ce « shimmy » de métaphysique phénoménologique pour s’en persuader. Le stade linguistique abonde en notre sens : il est impossible d’entendre prononcer sans assouplissement de la parole, sans traîner sur les mots, le prénom du conjoint du moment ou les sobriquets dont on l’affuble souvent. Ces douceurs abêtissantes (qui ressemblent étrangement à la fameuse « gnangnan attitude » s’adressant aux bébés) créent un infralangage composé d’inductions paradigmatiques et de syntagmes simplistes à la sémantique étrangement inexistante, proche du grognement primaire finalement. Peut-on réellement penser plutôt que ressentir l’éloignement de ce babil avec la tristesse du baryton des « Chants et danses de la mort » de Modeste Petrovitch Moussorgski, sur les mots de Golenischev-Koutouzov ?

 

  Mais vingt ans, n’est-ce pas aussi le plus bel âge de la vie, comme se plaisent à le répéter des vieillards à l’œil humide, alanguis en gisants sur leur chaise à bascule ? Certainement si l’on se réfère à ce jeune couple responsable et amoureux qui décide de son avenir commun dans le même appartement. Le début des mesquineries sonne la joie de se revoir. Encore transis de l’éveil sensuel, ils se résolvent au confort du sexe facile et régulier. La présence, envisagée comme concept vital, remplace l’aspiration au bon et le « faute de mieux » la quête ontique.

 

  Ils se trémoussent comme deux fesses d’éléphante autour d’un évier ou d’une chambre à coucher, regardant les émissions animalières le samedi après-midi et « Questions pour un Champion – Spécial Vedettes » le dimanche soir (les intellectuels préférant le film de TF 1 ce même soir aux éclairs bleuités du regard de l’impayable Julien Lepers), le tout sur FR 3 (pardon, France 3), l’alibi culturel du service public, avant de s’engoncer dans des nuits interminables comme cette damnée phrase, tellement la découverte de l’autre s’est achevée depuis longtemps. Le sommeil est alors un doux réconfort et la négligence écrase désormais le besoin de séduction. Le baiser se fait moins langoureux, l’éjaculation moins retenue et la simulation toujours plus hypocrite. Les soirées amicales, merveilleuses entre toutes, se déroulent aussi passionnément que le ruban de l’autoroute. Des exceptions annuelles avec gueules de bois et sexes délurés… Putains de vieux…



[1] Le lecteur pourra s’étonner de cette curiosité que peut constituer aujourd’hui le fait de parler de relations épistolaires s’agissant d’adolescents. Ceux-ci ne sont-ils pas plus friands de SMS ou d’e-mails, de chat (prononcez, bande d’ignares, [∫at] : les jeunes préfèrent les chiens d’ailleurs…) ? Ne sont-ils pas la pire génération d’écoliers (en termes d’orthographe notamment) depuis le Cro-Magnon ?

Leurs principales aspirations ne sont-elle pas d’acquérir le plus grand nombre de biens matériels et de se faire une place au soleil ?

Ne sont-ils pas habillés comme des sacs à leur image, mous et peu portés à l’effort physique ?

N’ont-ils pas une conception odieuse du sexe (théorie de l’expérimentation plutôt que sacralisation) et de la sensualité (piercings-tailles basses ras-le-bonbon-et-couture-du-G-string-bijou-au-dessus-du-tatouage-de-papillon) ?

Si fait ! Il n’entre nullement dans mes intentions de secourir cette génération de trépanés catatoniques pour qui Dostoïevski doit être une marque de vodka orange, Charlemagne un roi du 14ème siècle, Spinoza un joueur de foot brésilien ou encore, apogée lacrymal, Werther un professionnel allemand du tuning…

Non, rien de tout cela, je parlais de nous, anciens adolescents de la trentaine et plus, qui ne sommes pas nés dans le numérique et le sans-fil (pardon, le wi-fi)… 

[2] « La lueur d’une bougie » est une excellente chanson de Jean-Pascal Schaefer (1985), vieux compagnon de route à qui cette jolie image me permet de rendre un hommage mérité.

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Le Couple (1.42)

Publié le 14 Mars 2008 par Luc dans Le Couple (essai satirique)

   Les bras visqueux de ces pieuvres m’enlacent, affligeantes ventouses sur ma peau. Celle-ci est sale, mais la fille ne peut m’échapper [1]. Le soin maniaque apporté à la conquête par l’indifférence me pèse, et la différence devient trop grande. Le noir s’obscurcit à mes yeux voilés. On a violé la maison de l’huître et a mangé cette dernière. Telle est mon âme, j’espère simplement qu’ils sont repus.

 

  Encore des lumières, qui s’ébrouaient bizarrement dans un contraste de pénombre et de clartés trop fortes. De la terrasse, à travers la baie vitrée, l’on pouvait apercevoir, tels des hybrides anadyomènes [2], quelques couples danser mollement au son ouaté d’une musique nègre. J’étais assis, sur la chaise la plus dure de l’endroit, volée à la cuisine, et l’homme qui observait les jeux infatués de la moiteur sur les mains étreintes n’était autre qu’un autre moi… Une sorte de compagnon d’infortune que l’ennui paralysait, dont l’évidente inutilité de ce non-événement festoyé entachait la conscience du lourd fardeau du mépris. Je regardai ma mémoire : je revis cet autre moi, et, à peine le temps que l’obturateur fermé qu’étaient mes yeux conserve les traces de la lumière impure, il disparut. A travers un clignement de cils, je tentai la tricherie : l’homme était non déclaré disparu, mais mort, sur la fraîche terrasse, à demi-allongé sur une chaise longue, un verre et une cigarette entre les mains. Il bougeait, parlait, mais ne pouvait être que mort, car il venait d’inviter une autre garce à danser !

 

  Trois fois deux ne font parfois que trois… J’ai vu cette nuit là les couples ne pas oser consommer, un dans leur prime esprit d’indécision. Oui j’ai observé ces attitudes nocturnes dont usaient, affectés, les trois couples si persuadés de leur bonheur.

   Idiotie, Stupidité et Superficialité ont traversé les rues qui s’ouvraient devant elles, comme l’on offre un animal à une petite fille sachant qu’elle finira par le faire martyr. Abêtissant, Lourdaud et Bernique ont suivi, comme à leur habitude, ainsi que des aveugles au centre d’un îlot entouré de sables mouvants… Oh le couple !?

 

   Où peut-on trouver le regret ? L’aventure est enfin déçue, le petit conte d’un goût sûre, d’un arrière-goût aigrelet. Oh ma chérie, tu es partie, sans même me faire cocu. Comme une grande, tu t’es vaincue, alors que ton cul et tes pis me restaient quand même en mémoire. Depuis que je ne t’ai plus vue, grosse marâtre du terroir, devinant le petit trapu qui se pavane dans tes bras lorsque tu lui montres ton nu, ma fierté mise à nu m’affirme que tu n’es qu’un rat.

 

  Parfois, je me sens dépité, inquiet, autant que l’on puisse l’être, sans y trouver de raisons valables… C’est le cas aujourd’hui… Je vois un jeune homme laid, le visage gourd, les traits épais. Il a de petits yeux chafouins situés trop près l’un de l’autre, un nez épaté et assez court s’évasant vers une bouche lippue dont les commissures à peine marquées accentuent l’impression de balourdise qui se dégage en premier lieu d’un tel faciès. Sa peau s’avère, sans être foncièrement jaune, d’un blanc-cassé tirant sur le jaunâtre, dépourvue en revanche de tout tempérament maladif. Pour achever de  définir le morphisme général du personnage, je pourrais le qualifier de petit, ni gringalet, ni râblé : somme toute quelqu’un de bien ordinaire, confinant à la médiocrité tant intellectuelle que physique.

   Ce commun individu, aussi bizarre que cela puisse paraître, entretient une liaison charmante avec une jeune fille dont les multiples pots de peinture cosmétique n’arrivent à dissimuler une peau de mandarine qui doit probablement l’effrayer elle-même le matin au lever, devant le miroir. Il s’agit d’une brunette, banale elle aussi, les yeux cerclés de Rimmel, ce qui ne parvient cependant pas à donner au regard morne l’effet de profondeur attendu. Son nez grossit de la même manière ses traits que celui de son acolyte passager ; ses lèvres, bien que charnues, ne dégagent aucune sensualité, n’incitant guère à la gourmandise ou à la gâterie de cinq minutes. Quel couple ! S’ils ont un jour des enfants, qu’ils ne m’en gardent pas un ! Dieu que l’euthanasie et le contrôle de naissance me semblent justifiés !

 

   Qu’importe après tout, ils se complètent à merveille, et cela me fait penser que je n’ai toujours pas trouvé chaussure à mon pied. Las ! Je suis seul, et ne le montre plus. Une discrétion qui demeure tout le contraire de l’effacement et de l’humilité, une discrétion confinant à l’exhibition. Demain, je vais rejoindre un groupe d’inconnus, de non-sus, de copinages abstraits… Nous ne pouvons même pas nous aimer, nous ne nous connaissons pas !

 

   Alors tout le monde va danser le long des supports éreintés. Nous sommes en train de lâcher prise, et plus rien ne nous retient. Si nous nous trouvons à fonder quelque chose, c’est pour mieux le voir sombrer. Tout le monde danse le soir et brave la rue. Ne pas bouger, c’est reculer, et la danse de cet aujourd’hui rouge est immobile…

 

  Le dépeçage des pensées se continue flasque dans l’atmosphère huileuse des baisers de passion corrompue. Les vacances, ou les week-ends, ne font qu’accentuer la dysharmonie, grossir le trait.

  On ose maintenant les jeux pornographiques, la domination et on se fout du SIDA et autres chaudes-pisses comme d’une guigne. La vie devient orgiaque, où l’homme se dit qu’il est lesbienne et la femme insatisfaite aussi. La proximité la plus affolante provoque l’éloignement des âmes.

  L’entente va s’avérer pragmatique, voire matérialiste, et les petits mensonges un mode de vie. Les suées bouchent l’espace, la luminosité baisse, et j’ironise sur mon sort lorsque je constate le ventre noué toute l’influence que le temps exerce sur mon mental, toute la friabilité de mes constructions. Bien souvent l’on croit tomber en amour à cet âge, et même après (!), mais il ne s’agit ici que de compensations d’inhibitions affectives, guère plus. Sans verser dans le technico-médical, il va de soi que l’amour est un dérèglement hormonal, qui cède devant le retour à la normale, à l’équilibre des niveaux, au juste milieu. La respiration se fait malaisée et le ciel de plus en plus oppressant quand l’angoisse du « Je n’en ai rien à foutre ! Qui êtes-vous d’abord ? » s’impose comme seul système de pensée, lequel s’applique à toute situation, et là est sa létalité. Il s’exerce sur un groupe de collègues : le phénomène grégaire n’implique pas nécessairement l’amitié ni la collégialité l’attrait mutuel, le fameux affectio societatis appliqué dans la société des hommes…

  Ce système de pensée s’opère aussi sur le conjoint : que sais-tu de qui il (elle) est ? Pas grand chose au fond. L’éventualité de mettre fin à ces jours trop longs lorsqu’ils sont courts se calque sur une phrase : je ne parviens pas à prêter importance à quoi que ce soit, sinon à mes fébrilités, mon hypocondrie et mon manque d’assurance.

  Le couple de 18-20 ans se perd dans les stroboscopes des boîtes de nuit sans saisir sa hideur.



[1] Lord Cornwallis avait bien imprudemment déclaré lors des guerres canadiennes, s’agissant de Monsieur de Lafayette, « the boy cannot escape me ». On connaît la suite. Et bien s’agissant de la jeune fille en question, au moment où je me disais la même phrase, je devais aussi avoir revêtu mon uniforme de homard… 

[2] L’ami Villiers de l’Isle Adam eût écrit plus joliment « d’hyprides Andyomènes »…

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Le Couple (1.41)

Publié le 13 Mars 2008 par Luc dans Le Couple (essai satirique)

IV

 

18-20 ANS : LE COUPLE EN OSMOSE

 

Nikatôr [1]

 

 

  La Faculté et la faculté que chacun a de se croire vainqueur dans la sainte cause du sexe facile et sciemment organisé…

 

  La première ligue réelle du couple, c’est le Bac. Des sensations communes et simultanées (d’anxiété plus que de plaisir en l’occurrence), des horaires identiques, des attitudes similaires, en bref une symbiose… qui se concrétise par une séparation pour les besoins de la cause secondaire (si, rappelez-vous, quoi, le travail !). La formalité achevée, viennent la Faculté et la volonté de se faire reconnaître comme adulte à part entière. Sexuellement parlant, et le sous-titre hellénique s’avère de moins en moins innocent, la multiplication des rapports semble s’imposer à l’être normal.

  Cependant de cette heuristique de rites orgiaques, une branche qui ne cesserait de se développer pousse déjà gaillardement : le couple commode (ou bien rangé), qui ne sort pas, ne boit pas, ne fume pas, n’est rien…. Mais en toute logique, cet état de légume ne survient que postérieurement. Demeurons donc dans la normale, c’est à dire l’anomal. Nous en étions à l’addition, dont le résultat doit être le plus haut possible, de partenaires au rythme ternaire : c’est la valse des couples, comme j’utilisai à cette période la traître et douloureuse technique de la valse des masques. Elle avait le mérite de me faire paraître sinon intelligent, du moins rusé mais, universelle araigne, m’avait aussi privé de liaisons coupables avec les jeunes filles dites saines qui, admettons-le sans remords, se sont toujours méfiées de moi. Dans les rares cas d’exception, c’est que leur stupidité dominait même leur appréhension…

 

  Nous voici enfin à l’apogée des dragueurs moyens, des petites allumeuses médiocres et des couples brefs en leurs durée et champ intellectuel. Paradoxalement, l’on s’aperçoit que dans la brillance clinquante et artificielle de cette époque, l’univers s’assombrit mollement en une suite logique de conquêtes minables et de ruptures égales.

  Mes mains ont commencé à trembler périodiquement lorsque la seule clef demeurait le bras d’honneur, puisque ce dernier était perdu. Les essais de position remplacent concrètement ceux de création. Le préservatif, qui décidément ne sera jamais un objet sexuel ludique, se déroule maintenant avec une assurance détachée et précise, naturellement, presque seul semblerait-il… Le silence d’une nuit isolée, lequel eût naguère incité à la lecture ou à la musique, ne pose aujourd’hui que des questions bien pragmatiques : « Pourquoi n’ai-je personne dans mon plumard ce soir ? Suis-je plus laid que les autres ? Mon sexe est-il trop petit ? ». C’est pourtant sur ces interrogations peu propices à la métaphysique, qu’un métalangage de séduction va poindre le bout de son groin immonde. Bien loin des traditionnels et rigolos « Vous habitez chez vos parents ? » ou « Un dernier verre ? Chez vous ou chez moi ? », voire « C’est à vous ces jolis yeux ? », l’amorce se pervertit sous des dehors plus engageants, moins directs : avoir de la conversation. Séduction et mercatique directe. J’y suis aussi tombé, mais il m’a toujours manqué le sourire, ce sourire enjôleur de camisole et parallèlement niais, qui marche et fait courir. Les méthodes d’embauche et de vente fondent la nouvelle séduction. Tel est le livre blanc au contenu particulièrement gris de mes correspondances, par lesquelles je parvenais enfin, à mon tour, à arborer deux rangées de dents à l’émail blanc et diamantifère. A chacun ses expédients. Ma plume mentait tout autant que leurs rictus… L’effet souhaité se révélait atteint mais il eût alors fallu le courage à la présence physique : je ne la goûtais guère, et préférais ne demeurer qu’idéel, contrairement à ces jeunes couples d’une semaine, fervents lecteurs des résumés de quatrième de couverture de bouquins signés Sartre, Vian ou Camus. Les existentialistes au service de ceux qui n’ont pas vécu ! Parce qu’ils n’ont pas la méthode. L’addition des génitifs insultants est inutile ; on ne s’insulte pas soi-même…

  Les premiers frémissements de caractère se décèlent dès lors : le petit con de 18-20 berges assis à une table de café, avachi, écartant vulgairement ses jambes de jeans faussement délavés ou carrément sales, n’accordant en société aucune importance à sa dulcinée du moment mais attendant le contact physique soumis de cette dernière.

  Tout cela, si l’on prend patience dans l’observation, pour aller jouer au caniche à sa mémère une fois refermées les portières du petit coupé sport : dans cette alcôve, la femme se relève et domine, pour l’équilibre de ce qui n’existe qu’en apparence. Et cet autre, là, assis à la même table de bar, agglutiné à sa congénère dans une polenta informe, dont la conversation se limite aux quelques bruits poisseux et gloutons de jeux de langues incessants, dans lesquels le langage n’a rien à gagner. Le poulpe est de retour avec sa pieuvre. Néanmoins, verser du sel sur des limaces pour les voir se dissoudre est indigne. Et là encore, on l’avait oublié(e) tellement il (elle) est discret(e), celui ou celle, seul(e) et mue(te), attablé(e) aussi, à qui personne ne parle et qui observe tout, triste et envieux(se), et/ou affligé(e) du spectacle qu’offrent ces couples absurdes…. J’étais de ceux-là.

 

  Dans une grande pièce, je regarde la lumière, qui ne m’atteint plus, pour la première fois. Oui, nous, vers le progrès, je soupire lourdement sous les coups. Regarder la lumière sous les bruits repoussants pendant que le fracas résonne dans la nuit. Hélas la détresse ! Voici que cela commence enfin. Nous voyons les combats, pour la première fois, nous, sans la nuit et les contacts qui me laissent seul et atterré. Nous pouvons encore la victoire ! Les cris, hélas ! Chantent et rient les femmes et du haut de la voie nous constatons les morts de la guerre, là pour que la leçon porte, en emportant les bris de sang, hélas jonchant notre sol.

 

  Quelques rencontres agréables, parfois tout au moins, mais toujours gênantes. Sous une lumière basse, dans une pièce où les têtes essuient le plafond de leurs larmes, sont de ces rencontres fortuites. Souvent, le monde est là, entier, total et envahissant, ne se contentant pas d’être, mais de surcroît d’être bruyant. Après tout, n’est-ce pas le printemps ? Non, pas de rixes sous les toiles d’araignées, où perlent quelques gouttes d’une sueur d’effort, celui de parler avec ce monde peu porté à l’écoute. Pas de combat ni de haine. Nous sommes donc bien aveugles…

  Le visage commun et débordant de graisse de mes anciennes conquêtes s’impose à moi, dans ses postures hasardeuses, secoué d’un rire vulgaire. Elles toutes en un visage, les dents écartées par les interstices desquelles une langue putride se déverse lentement. Comment ai-je pu ?



[1] Décidément, je sombre dans l’horreur du calembours… Nikatôr signifie bien sûr « vainqueur » en grec ancien (ce surnom ayant même été donné à Séleucos Ier ou Démétrios II, rois séleucides de Syrie), mais sonne également comme une sorte de Terminator du sexe, un Don Juan de boîte de nuit...

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Le Couple (1.33)

Publié le 12 Mars 2008 par Luc dans Le Couple (essai satirique)

  Aveu insensé sonnant comme un remugle d’infans sensible et aliéné mentalement ! Car là, dans l’amourir, ne bouillonne pas l’essence du couple, ne tourbillonnent pas les sens du poulpe. Vestige du passé, ils marchent toujours main dans la main, mais l’étreinte se dénude de toute innocence, et parfois ce simple frôlement de peau suffit à déchaîner les orages fantasmatiques dans lesquels, pic de brume, un éclair phallique s’érige vers les cieux encombrés. Un camarade avait pu me raconter que le simple fait d’avoir parlé à cette fille lui avait provoqué un orgasme rare [1].

  Sans tomber dans ces travers extrêmes, remarquons que le couple lycéen, que j’abordais autrement il y a quelques années de cela [2], vit par et pour le sexe non assumé. Cette « inassumance » s’avère le mot-clé de la relation de couple des 16-18 ans : la dramatisation heuristique de l’acte aboutit à une maïeutique ambiguë. Pour le coup, l’obturation de la conscience critique et des facultés de raison par la recherche de la sensation, et non pour celle-ci en elle-même, est notable. Le plan va se trouver bi-dimensionnel, dont une dimension est super-développée : sexe et travail scolaire. Comme toujours, les dimensions se heurtent, s’entrechoquent… Regardons un beau visage bi-dimensionnel, ajoutez-y la troisième dimension et le résultat est souvent moins fameux !

 

  Un couple qui se cherche donc, entre deux interrogations écrites ou métaphysiques (celle des mœurs surtout…), deux couloirs ou deux joints. La bipolarité simpliste, völkisch, fait exister la voûte d’un monde. Heureux qui comme Ulysse… se tape Pénélope l’infidèle. L’histoire du long pull qu’elle tricotait à son mari parti outre-mer n’est qu’une supercherie, puisque chacun sait que la machine, la technique, suppléant aux maugréements passéistes d’un Jünger [3], évitèrent à l’infortunée épouse isolée dix-huit ans d’ouvrage quant audit pull, dont les manches n’étaient, paraît-il, au demeurant pas parfaites, mais les gabarits ont pu faire des progrès depuis… Les adolescents d’Ithaque n’eussent jamais du se perdre de vue un instant seulement. L’effet héliotrope d’une jeune fille seule fait s’amasser les papillons de nuit autour d’elle. Soumise à la tentation sans avoir dénébulé l’obscurcissement de sa conscience, elle cède, et doit là jouer à coup sûr. Ulysse le renard dut s’en douter lorsque sous son casque fleurirent des bois neufs aux ramifications duveteuses et odoriférantes, de ce parfum que seul l’alcôve lui avait rendu jusqu’alors. 16-18 ans est cet âge béni où l’inconscience tient lieu de mode de vie, comme je me retrouvai moi-même ivre mort, alangui dans un confortable fauteuil de cuir devant la salle des professeurs, ou encore me retrouvant un couteau dans le flanc pour avoir mis une certaine mauvaise volonté à me faire dépouiller de mon blouson… en cuir lui aussi.

  Mais ma peau ne se tanne pas aussi vite, et dans les haleines fétides d’un matin embrumé de cannabis et d’alcool, les langues du couple se chevauchent encore, par habitude, sans souci du dégoût des muqueuses pâteuses.

  En revanche, les émois érotiques, qui ne restent qu’érotiques, prennent toute leur grandeur, que la pénétration, mode de vie ultérieur, ne permettra plus peu de temps après. Les gestes fébriles, se voulant professionnels, pour déboutonner une chemise ou un corsage, ou pire, dégrafer un soutien-gorge, se perdent dans une main qui frôle un sein, caresse une poitrine et un ventre, s’atermoie sur un cou tremblant. La vulgarité prend part intégrante aux jeux sans conséquence car le sexe est omniprésent, et ne rien faire en songeant que la possibilité est là, offerte, voilà l’excitant ! On peut passer des nuits entières, enlacés, dans un état pré-orgasmique, à se poser la question qui justement entretient cet état : « Vais-je oser ? », et poser l’affirmation fantasmatique « Allez ! Vas-y ! » silencieuse. La mutité de ces contacts, aujourd’hui lointainement enfouie, constitue l’éveil de la sensualité, et malgré la frustration due à la non-perpétration de l’acte, il faut la regretter…

  C’est aussi le temps où le couple s’embrasse sans pudeur dans les lieux publics, comme pour crier au monde, ou plutôt lui jeter à la face un amour supposé éternel et débarrassé de toute contingence matérielle.

  L’heure des rendez-vous « bruéliens » sonne : « Alors c’est d’accord ? Dans dix ans, on se retrouve au « Philosophe », boulevard Voltaire ?! ». Naïveté encore, mais le plus surprenant demeure que l’on repense encore à ces paroles à l’approche de ces dix ans et même après ! Les « Mais moi je t’aime ! » succèdent dans l’atmosphère frelatée des chambres d’un soir ou des tables de bar. Ce qu’ils aiment, c’est plus l’idée de l’amour que la personne qui est sensée en être l’objet…

  Et puis… commence l’insondable : les « sorties couples », présageant de ce qui deviendra l’échangisme, vers le cinéma, les soirées ou les terrasses de bistros. Restés là, plantés en queues de pelles, à se regarder énamourés et cois, et à s’écouter, non pas chanter et puis rire, mais saliver dans l’organe digestif de l’autre. Le baiser tient alors un rôle plus social que sensuel.

  L’amour se mesure à l’aune de la surface de contact physique : plus vous écartez les lèvres, plus loin vous enfouissez votre langue, plus vous serrez le conjoint, au plus vous êtes « amoureux ».

  La présence physique est le seul et précaire fondement du couple lycéen. Faute de quoi l’absence est une garantie d’échec puisque cette disponibilité, flexibilité de tout instant, produit une accoutumance que n’importe quel ersatz, donc le premier quidam venu, pourra soulager. Le cocuage, c’est la méthadone du couple !

  Il importe cependant de noter que la qualité prime encore le nombre des conquêtes. L’on peut demeurer célibataire et honorable si l’on démontre d’un acharnement à séduire l’inaccessible petit canon du coin. Il est aussi loisible, et même vu de manière bienveillante, de vivre des historiettes à épisodes, dans le plus pur style « Je casse – On reprend – tu casses – on reprend – etc. ». L’un de mes amis réussit même la performance de sortir avec la même fille jusqu’à huit fois. Elle le trouvait insipide ; il la relançait pour le confort et le connu. Ils auraient du terminer ensemble si le hasard géographique des études supérieures n’en avait décidé autrement.

  Il convient maintenant d’abandonner le ton neutre et objectif, voire bonasse [4], qui a marqué la première partie de nos développements, car dans l’affaire, il faut bien admettre que la partie féminine mène la danse, qu’elle soit suppliante, autoritaire ou mièvre.

  Le manque de confiance qui caractérise le mâle de cet âge, comme en attestent l’éjaculation précoce ou la volonté tenace de rester avec la même fille « faute d’avoir la certitude d’en retrouver une autre à l’issue », fonde son infériorité et sa faiblesse devant une jeune fille mûre (ou pas, mais le principal consiste dans le fait de n’en rien laisser montrer) et sûre de ses atours-atouts, qui sait que claquer des doigts vaut bien mieux qu’une déclaration éloquente ou enflammée pour rompre sa courte solitude.

 

  L’hydre se trouve atteint de grands élans romantiques : pleurs et déchirements ; réconciliations et pantomimes sexuels, avec la sensation de ne plus être dans la norme, de sublimer tout ce que le vivant peut avoir d’austère, banal ou décevant.

  Bannir l’utilitarisme, dans une explosion épicurienne, hurler Carpe diem ! comme cette bande mythique de « poètes disparus » dans laquelle toute génération qui a eu un jour dix-sept ans pourra se reconnaître, sauf peut-être les ouvriers agricoles et les mineurs de fond. Elever l’ambroisie jusqu’à l’absinthe et la passion jusqu’à l’obsolescence… Si la vie n’existe plus qu’en tant que sensation, mais cela nous ne le découvrons que plus tard, on se range au niveau de l’animal. Loin de moi l’idée d’affirmer péremptoirement que l’homme est la mesure de toute chose, puisque c’est l’Être (postulatum per postulati), mais l’immensité frénétique et irreprésentable de ce jeune couple confinerait plus à la violence d’un pistil et d’une corolle aux étamines doucement ondulées par le vent qu’à la saine massivité de « La Critique de la raison pragmatique ».

  Le monstre de l’Erne ou d’ailleurs aime à s’attarder devant une télévision allumée, assistant sans trop y prêter attention, à l’affligeant spectacle de séries américaines dont on ne gardera paradoxalement que nostalgiques souvenirs.. Au bout du compte, 16-18 ans, c’est le pied de nez monumental et ultime qu’envoie l’enfance à la marche inexorable du temps, avec lequel tout s’en va.



[1] Il s’agit ici, une fois de plus, du célébrissime P. Giraud, que je remercie encore pour ses bonnes histoires autobiographiques.

[2] In « Amourettes lycéennes », 1989-2004. 

[3] In « La Cabane dans la vigne », trad. Henri Plard, 1945-1948.

[4] Non, ami marseillais, « bonasse » ne signifie pas une jolie fille, mais plutôt un état de faiblesse, de bonté excessive.

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Le Couple (1.32)

Publié le 11 Mars 2008 par Luc dans Le Couple (essai satirique)

ET ses douces lèvres se sont plissées comme un drap dont les blanches soyeuses eussent pu être éteintes ; son visage s’ouvrit dans une longue plainte, illuminé comme une rampe d’opéra. Cheveux jais, le jour qui s’avance pendant que je fume dans mon lit, que la nuit s’éclaire, amère comme la lie.

  Ses lèvres rosées, d’un cadavre embaumé, m’envahissaient de leur splendeur spectrale, profondeur sculpturale d’un sourire hiémal, aux senteurs humectées froidement parfumées. Ses yeux brillaient de l’impureté et m’avaient consumé dans un éclair de rage, et ses cils, droits et forts, restent là, cuivrant soudain le ciel et les dorures de sa peau. Ses oreilles recouvertes par le voile sombre de sa chevelure sont demeurées fermées à mes lèvres sanglantes, par elle dévastées… Le néant et moi, marasme de la pénombre.

  Les gouffres ombreux des terres se sont perdus dans tes yeux où voguent mille lueurs narquoises, agitées de tant de scintillements, lorsque je m’y reflétais, déjà vaincu.

  Ta pupille quand le soleil s’y reçoit, s’affine jusqu’à ne plus devenir qu’un trait, comme une crevasse tenaillée.

  Tu franchiras mes enceintes. Tu m’es une lune qui rit son hébétude, un froid qui vit son éternel retard. Me voir dans tes iris est mon plus grand bonheur ; voir mon reflet déformé par l’amour, voir mes yeux aimer, incohérents, sans retour. Tu es l’onde qui se noie et la femme aimée, les ravages de l’océan. Tu es la chrysalide qui éclot en flamme, le port de ma tempête, la matière volage qui se scinde, frêle mais incarnant la puissance. Tu es l’arbre qui pousse et la sève de mes sens, sanscrit, ma mémoire arienne de l’Inde. Tu es la chatte qui survole mes créneaux, l’air volatile que j’ai respiré pendant l’Eternité donnée à nos anneaux, les nuages de mes ciels d’empyrée.

   Tu es l’horizon qui s’arrache de la mer où tant de fois je t’ai aimée et déifiée. Tu es la montagne qui s’arrache de terre, la lave d’amour qui m’a statufié. Tu es tout, même ce que les Dieux n’eussent jamais osé souhaiter. Et pour cause…

 

  MAIS non assez touchée par la pâleur de mes mots, pas assez touchée pas assez longtemps, trop tôt… Nous n’avons pas véritablement eu de temps, moments spécieux, moments livides des amants. Et comme d’habitude, elle s’en va très loin…

  Mais jusqu’à ta fin, en fidèle pèlerin, je te suivrai, je garderai tes pas gravés, et même quand l’eau aura déplacé le sable entraînant ainsi tes traces en nuages incertains. Toujours plus loin de moi, mes chemins dérivés… L’eau a tout emporté… Je sais pourtant la direction, je m’en souviens et me remémore ta disparition dans l’éther, flammes en volutes. Je me rappelle la géante chevauchée des mers qui m’a surpris lorsque j’essayais de te suivre.

  Tellement fatigué, lourd, las, la pièce tourne autour de moi et les murs se dérobent sous mes doigts…

  Se tarir malgré les boissons, les atrocités des saisons, capillaires éclatés et ganglions de fièvre. La lèvre est devenue malléable, chaque fois que mon pied foule le sol friable, c’est une chute qui m’entraîne plus loin vers le dégoût.

  Elle ne parle plus, ne parle donc plus ; elle devient muette, affable comme une porte.

  Et même lorsqu’elle parlait encore, je ne comprenais pas ses paroles incohérentes. Je la cracherai avec les yeux du mépris, qu’il ne reste d’elle que cendres ! Regarde-moi ! Du haut de ta bassesse, du bas de ta misère…

 

ET j’ai peur, ses réactions m’effraient… Elle m’étreint. Tout reprendre en quelques mots, en quelques gestes : trop simple et trop beau. Est-ce qu’il reste ne serait-ce qu’une chose à défendre ? Recommencer, ne pas refaire les mêmes erreurs, commettre de nouveau les mêmes cassures, sans cette fois les couleurs ensanglantées. Etre enfin sûr de quoique ce soit devant le mur où nous nous ébattîmes d’un plaisir de roi, alors avec les crimes de la naïveté.

  Un nouveau départ, à supposer que tout cela ait vraiment commencé, à supposer, par hasard, qu’il y eut une fin assénée ou un début coi… Re faire les mêmes pas, nos mains blêmes serrées comme l’on étreindrait la corde qui nous empêchera de chuter quand nous deviendrons fous. Ensemble jusques aux fins fonds des gouffres aventureux et des Enfers luxuriants, des jours ténébreux et des nuits de cercles sons jouant en souriant…

   Là, à travers le silence et la mort, je te trouverai, toi que je n’ai jamais vraiment cherchée ; outre le temps et l’opprobre, je t’enlacerai pour une première bouffée d’air pur comme le sang. La scène où les deux rideaux rouge sombre s’ouvriront est noire ; deux candélabres de cuivre supporteront la cire échaudée par la flamme jusqu’au petit matin. Et le lit, saupoudré d’un voile noir aux impies du silence et rouge à son revers, où nos corps immobiles contempleront une nudité pure, fera s’évanouir les mensonges dans un dernier relent de rancœur, en exorcisant nos peurs. Notre naissance est tellement proche que je ne puis même plus la rêver ou la penser. Nous nous cracherons au visage.

 

MAIS les murs s’enlisent de paroles mesquines, de promesses… Le verre brisé sous les pieds, les meurtrissures paraissent bien douces. L’échec ne vaut-il pas mieux qu’une réussite ternie par la solitude des couples ? Les jeunes cœurs sont naïfs, sur le soleil et le sol, les jeunes cœurs sont naïfs.

  Nous nous reverrons, bientôt… Sous un espace vert joliment garni de petites croix, ombragé, où les feuilles des chênes insinueront leur foi sur les dalles, les plaques commémoratives… Une rencontre, après tant d’années, dans ce cadre enchanteur où les racines nous embaumeront de leurs douces saveurs, celles des pissenlits surtout, où notre ciel sera terre et notre terre eau. Nous sourirons d’une bouche bien dégagée, s’entrouvrant comme le four de l’autre monde, des ailes sulfureuses sur nos têtes. Les mauvais se retrouvent au paradis ; que les médiocres restent là-bas, entre eux. Nous pourrons infecter l’eau et la terre de nos dépouilles, mais l’air nous est définitivement interdit. Mais alors comment brûlerons-nous ? Comment nous consumerons-nous sans air ?

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Le Couple (1.31)

Publié le 10 Mars 2008 par Luc dans Le Couple (essai satirique)

III

 

16-18 ANS : LE VRAI-FAUX COUPLE

 

Genus irritabile vatum [1]

 

 

Sotêr [2]

 

  Il m’a fallu adopter un parcours social (ou un cursus scolaire, ce qui revient au même) exemplaire, sans redoublements intempestifs, pour les besoins de la démonstration affligeante de partialité que je peux faire de l’inanité de ce qui nous meut dans cette vie non moins décevante. Quinze-seize ans : voilà la seconde et le moment où tout doit changer. Cette fois, nous y sommes, devant les femmes… qu’aussitôt nous devons nous contenter de regarder, puisque les premières et les terminales ont déjà jeté leur dévolu sur le fret le mieux pourvu. C’est donc l’instant, méditatif entre tous, à choisir pour regarder derrière soi, et non plus, comme cela fut le cas depuis toutes ces années, au-dessus de sa tête. La vengeance dernière arrive ! Il suffit d’aller faire la sortie du collège et d’emballer ! Exactement à l’identique de ces grossiers que nous haïssions voici quelques mois !

 

  Oui mais voilà, je n’ai jamais pu me résoudre à une telle fatalité, préférant un onanisme second à une facilité insatisfaisante. Quoiqu’il en fût, je n’osais même poser les yeux sur les filles de ma classe, alors les plus âgées, vous pensez ! J’ai entre-temps beaucoup emprunté de vêtements à ma sœur, me suis discrètement maquillé pour creuser un peu ces traits désespérément engoncés, engourdis dans l’enfance alors que ma pensée effleurait déjà la trentaine aigrie.

 

  Mais là n’est pas le problème, qui résidait dans la fille, avec tout ce que le terme peut avoir de méprisant : quelle était-elle ? Que pensait-elle ? Et d’abord, pour tout dire, en conscience pensait-elle ? Il ne paraissait guère qu’elle se fût transmutée en quelque chose de meilleur, de plus intelligible. En définitive, elle piétinait intellectuellement, la seule évolution notable demeurant un plus large choix de comburant à l’insatiable machine à palots qu’elle était devenue.

 

  Dites à une jeune fille qui n’a rien demandé que vous ne voulez pas d’elle, c’est la faire tomber dans vos bras à brève échéance. Posez-lui le contraire, que vous la voulez et désirez, et elle se pâmera au bras de votre meilleur ami… Les choses sont ce qu’elles sont : « les jeunes filles respirent l’honnêteté, malheureusement elles ont le souffle court » [3]… Et notamment en matière copulative…

 

  Et si ce couple n’était finalement que… Elle… Dès lors, de l’hydre bicéphale équitable l’on parviendrait à une tête majoritaire, autoritaire quand la seconde se verrait atrophiée et incapable de mener seule sa barque. Du conflit à la symbiose, le couple devient féminin et l’hydre perd son caractère hermaphrodite pour n’être plus que femelle. La matérialité de l’absurde s’approche alors et le déséquilibre cosmique s’accentue : le monstre penche d’un ovaire, pense d’un cervelet, encense l’écervelée ! Devant la face rachitique du mâle inférieur s’étale désormais la puissance de mante religieuse du féminin. On ne dit plus « Mon grand amour » mais « ces amours mortes » (ou « mornes », mais c’est déjà plus neutre), « mon sucre » mais « ma sucrette »… « Ma sucette ? » – interroge l’ignare masculin avec une candeur qui le dispute à la bêtise. « Ca va pas, non ?! » est la réponse de la dominatrice. Et la face cachée de la lune, le Rantanplan de l’affaire, le niais Docteur Jekyll s’écrasant dans l’ombre distordue des tourments de l’onde sournoise qui stridule entre les tempes : l’homme se lamente de son amour, mais finira par apprendre à réfléchir…

 

  MAIS le fantôme solitaire s’est imposé, alors que s’est profilée l’horreur de la mort blanche, hantise d’une existence décapitée qui tue sa propre revanche. Alors que je me noyais dans mon monde blanc, une brèche détruisit la source tarie, une lueur aveuglante me stria les yeux : elle m’avait offert ses contours arrogants, ses sentiments dans une atmosphère effilée.

  Je jalouse leur amour béat, lorsque j’exhale cet ersatz surfait qu’est la vie, dans le soupir de ce sourire calicé. Paradoxe de l’aliénée et de l’amante, tu es mes Enfers, l’agonie souffreteuse, la rupture imminente. Le prince et le fou, alors souvent réunis, n’auront plus à exister dans l’aphonie d’avoir tant hurlé le rien. La blanche vierge se voit gésir, maculée des souillures de mon irrésistible envie. Les yeux clos, notre vision touche le ciel, l’âme immortelle et la virginité de l’esprit à jamais gravées sur nos corps, nos seules stèles. La confiance est aveugle ; j’ai vu clair en toi ; lorsque tu pars, mon esprit domine tes toits.

  Au centre d’une ville dans l’obscurité, où toutes les voies doivent un jour se croiser, je t’attendais dans une rue vide. Chemin droit et tortueux, lisse et rocailleux, chacun de mes pas m’y fait souffrir davantage ; près de moi, toujours la même borne railleuse alors qu’en vain j’attends l’ultime message. Je suis un mort qui marche dans le néant, la requête primordiale et le gouffre béant.

  Tu as ce pouvoir, le pouvoir de la putain. Tu as été mon poison, je te détruirai. Rappelle-toi ton corps vibrant, sous moi étendu ! J’eusse du l’étouffer à force de serrer. Tu m’as obsédé mais tu me révulses. Le dégoût de ton ingratitude s’éructe de mes mains. De ma gorge à mes mâchoires, tant que de mes doigts à chacun de mes muscles, tout s’est serré en moi, le mortuaire cairn, isolé dans des monceaux de vulves obscènes, dans des multitudes de phallus fièrement dressés, l’ultime image que je puis me faire de toi, plus forte que la détresse.

 

  ET nidifiés dans ce lit doucereux, noyés d’un rose hideux, allongés et plus troublés qu’il n’y paraissait, l’orage passait sous notre linceul. Tournés l’un vers l’autre, sans nous regarder et pourtant si clairs dans la confusion de nos adieux, elle resta tout de même.

  Ses bras anxieux m’entourèrent ; enlacés, nos corps dévots et inertes… Un éclair de peur fulgurant lacéra ses yeux, puis elle gémit… Oublier la mort de l’hymen sur nos peaux, pour nous aimer… Et nous nous regardâmes pour mieux nous aimer.

 

MAIS une main est sortie du néant ; elle n’était pas pour moi. Une fois de plus, je suis perdu, elle n’a plus le contrôle. La tour monte et descend, ne se déplace plus dans le même repère que ses créneaux, plus rien ne sera jamais pareil. Il l’aime et elle ne l’aime pas, tout cela est banal et ridicule.

  Quand le soleil baigne l’encens de ma mansarde, quand la neige m’éveille de ses premières morsures, je n’en ai que faire ; je l’aime, voilà tout ! Pourquoi le hurler à s’en détruire la voix, puisque je deviens le seul auditeur de mon spectacle, touchant de naïveté.

  Les murs ne tombent pas et elle en construit d’autres entre nous, cette main se heurte à ces remparts. J’ai vu un feu dans tes yeux qui s’est éteint. Je te regarde et me regarde, nous ne sommes pas si différents ! Laisse la mort faire son office ailleurs que chez nous. Mais maintenant, tu sais que c’est la fin, le début pour nous.



[1] « La race irritable des poètes », Horace in Epîtres, II, 2, 102. 

[2] Honteux jeu de mots, je l’accorde, entre le très honorable « sauveur » grec (V. notamment le règne sur la satrapie d’Egypte de Ptolémée 1er Soter, 365 env. – 282) et le sens figuré plus cru du verbe français « sauter »… Désolé…

[3] Ah ! Merveilleux Labiche ! Il convient de souligner que cette citation peut également se décliner sous la variante « Ma femme respire l’honnêteté, malheureusement elle a le souffle court ».

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Le Couple (1.22)

Publié le 7 Mars 2008 par Luc dans Le Couple (essai satirique)

  Pour la jeune femme, puisque l’on peut désormais ainsi la nommer, il en va différemment. Son allant va dans le sens d’un vieillissement artificiel par de multiples procédés ; la linotte, bombe mammaire s’il en est, devient son animal fétiche. Il est tout de même étrange de constater cette volonté à tout prix de posséder une grosse poitrine lorsque le bonheur de l’honnête homme se trouve plus sûrement dans un fruit mûr qu’il enserre d’une seule main. Quoiqu’il en soit, les tenues s’affriolent et se minimisent. Les jeans taille basse laissent entrevoir la couture du string ficelle et une bonne partie du bas-ventre, et les hauts laissent le nombril récemment percé s’offrir aux regards, de plus en plus concupiscents d’ailleurs quand ils remontent sur les deux seins fermement soutenus et gonflés de désir par l’effet Wonderbra… Le visage peinturluré, du coup de crayon pute sur le contour des lèvres aux yeux de biche à la truelle, se garnit également de décorations inattendues, qu’on croirait tout droit sorties d’une trousse de bricoleur : les fameux piercings, dans le nez, sur les lèvres, la langue… La mode est au rivet pop. De surcroît, le régime alimentaire hors de propos des petites gourdes a notamment eu pour conséquence d’offrir aux regards indécents des téléspectateurs de « Perdu de vue » [1] voici quelques années, la vision de jambonneaux, cuisseaux de tourmente. C’est à ce niveau que se situe le (la ?) moral(e) du garçon, sorte de hollandais volant humant au sortir d’une lourde brume les odeurs siréniennes de bivalves avariés, échoués sur les cales d’un port sidaïque.

  Mais hourra ! Certaines jeunes filles ne cèdent pas : ce sont les premières de la classe, merveilleusement inchangées depuis Mme de Maintenon et son école de Saint-Cyr. Celles-ci se marieront après un rallye réussi, chiarderont en infâmes pimbêches acariâtres et surliftées, botoxisées et DHEAïsées du XVIème arrondissement. Inutile de préciser que la majorité de nos préados nauséeux n’auront pas à connaître de ce milieu si protégé et clos…

 

  La survenance d’une relation concrète s’éloigne tellement de l’esprit kleenex du garçon que de l’orée à la fin d’une occasion, d’une ouverture dès lors manquée, il ne croit pas en ses chances et encore moins dans ses atouts. Voyons… Recalons l’image… Nous y voilà : l’adolescent se trouve à déjeuner dans l’arrière-salle d’une sandwicherie située non loin du collège où il suit de brillantes études. Au menu, jambon-beurre avec une pointe de moutarde et une barquette de frites. Le jeune homme, notons-le, a su accommoder les us français et américains. Et… Rosemine (j’ai choisi ce prénom ridicule car il est vrai), qui vient s’asseoir en face de notre petit bonhomme, qui manque d’en avaler de travers. Oh Rosemine n’est pas vraiment belle, ni même charmante, à l’exception, peut-être, de sa voix, douce et compréhensive. Et pourtant, en un instant, un flot d’images traverse le cerveau endolori par la rougeur du visage de cet homme en devenir. Il repense, bien naturellement et alors qu’il s’accorde à la pivoine, à sa gomme, ignoblement volée l’année précédente par Yann Menez.

  Il songe alors à la colère qui s’était ensuivie lorsqu’il frappa du poing sur une table pour assurer la valeur d’une remontrance immédiate, et manu militari si nécessaire. Incident : la table était en fait une plaque chauffante en cours de cuisine. L’écho du coup se perdit dans le hurlement de douleur (car de surcroît, la plaque n’était pas en téflon, ça attache…) que notre ado avait de nouveau la furieuse envie de pousser dans le but d’éviter l’aveu de son impuissance à contrôler la situation que Rosemine, en s’asseyant, avait contribué à rendre intolérable. La certitude avérée des magazines perchés à deux mètres de haut dans les rayonnages des librairies s’envolait (et je parle d’un temps que les « bébés www » ne peuvent pas connaître). Suivit une conversation que le mime Marceau n’eût pas reniée, bucolique puisque volant au ras des pâquerettes. L’échange fut donc mémorable : à la pourtant très significative entrée « Je peux te prendre une frite ? », édictée langoureusement par une Rosemine aguichante, le p’tit gars rétorqua par un tonitruant « Hmmmm… » d’acquiescement en dépassant le stade le plus critique du rouge « KarlMarxstadt », violacé et visagier. Feignant de ne rien remarquer du trouble adverse, la vaillante et ayant de la suite dans les idées jeune fille lâcha une meute de canidés aux trousses du malheureux :

- Tu veux bien me raccompagner au bahut ? -

 

  L’apoplexie menaça dangereusement la fin du repas. Suivant en cela un orgueil toujours identique chez les jeunes mâles emplis de fate assurance, un « Moui… » hasardeux forma écho à la supplique à peine masquée de la Malgache (ça me revient, un prénom aussi ridicule… Cela vaut bien Antananarivo…). Dès lors, j’imagine le lecteur SM saliver à la suite… Si tant est que le musée Grévin puisse chez lui provoquer une érection quelconque (particulièrement depuis la date maudite du 3 septembre 1998, qui vit Lara Fabian immortalisée en statue de cire), qu’il en soit ainsi ! C’est avec une démarche ambulatoire d’automate kraftwerkien que le pauvre, veillant bien à ne pas frôler la douce, s’acquitta de sa mission d’escorte, se jetant à vive allure sur un ballon salvateur sitôt franchi le portail d’entrée du collège, sans plus prêter d’attention à l’éplorée Rosemine…

 

  In-com-mu-ni-ca-bi-li-té vous dit-on ! Et point n’est besoin de grossir encore le trait pour ne pas utiliser les plus grosses ficelles sur un fer déjà battu à plates coutures [2].

 

  En fait, cette période est sombre, car là se forgent les personnalités et l’avenir d’un peuple. Un peuple inhibé, complexé, démuni, spermophobe et érotomane par simple déduction. Voilà ce qui, à l’aube des seize ans, parvient à décrocher une place dans un lycée, en espérant à demi-mot non la réussite de la communication homme-femme ou de ses études, mais une relation sexuelle, et d’amour si affinités.



[1] Allez savoir pourquoi, j’étais persuadé que Jacques Pradel était mort ! Alors même qu’il vient de recevoir, pour son labeur acharné à la radio commerciale Europe 1, l’Opal d’Or, récompense suprême pour son action en faveur du respect dû aux animaux de laboratoire… Si ce n’est pas malheureux que ce respect, il s’en soit départi pour les participants abrutis de « Perdu de vue » !

[2] L’expression « à plates coutures » ne signifie pas, non-lecteur peu sensible, « à plat-ventre » ni « à genoux » pour ceux dont les jeans possèdent des coutures apparentes. Merci au Giraud pour cette réaction folle d’ignorance qui me fit tellement rire : ayant causé notre perte dans un jeu de société où nous jouions dans la même équipe, il me dit « Esseucuseu-moi ! C’é ma fôte. Oñ a perdu… ». Je répondis « Ouais… A plates coutures ! », ce que le Giraud rapprocha du « Excuse-moi » et non du « On a perdu », et il s’insurgea alors de son accent marseillais si peu subtil : « Tu rêveus là ! Je ne te ferai jamé d’esseucuses à plateus coutures !  Je m’alloñgerai jamé devang persônneu, tu m’eñteñds ? ».

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Le Couple (1-21)

Publié le 6 Mars 2008 par Luc dans Le Couple (essai satirique)

II

 

LE NON-COUPLE

 

Ou comment les choses auraient bien pu commencer

 

Ignoti nulla cupido [1]

 

C’est tout le contraire ! [2]

 

 

 

  Avec le duvet qui s’assombrit, la fatuité et la virilité s’acquièrent progressivement. Le premier coup de rasoir, tranchant plus les centimètres d’épaisseur de la mousse à raser qu’un roide poil de barbe, représente plus qu’un symbole : les parents vieillissent, et, autre conséquence, je dois me raser tous les jours maintenant ! (exclamation plaintive) qui assure l’orgueil dégénéré du coq naissant de sa nourriture que sont bravades et rodomontades.

 

  Le premier apprentissage des trucs de femmes, au-delà du simple grimage des années précédentes, les premières coulées de sang, de celles qui surprennent et paniquent, comme le maquillage ressenti comme ridicule mais outrageusement indispensable, s’avancent en ce qu’ils constituent la matérialité nouvelle des prémices du devenir femme. Et pour tous et toutes, la première masturbation, souvent ratée certes, mais apoplexie orgasmique les chanceux(ses).

 

  On entend partout courir le bruit : à treize ans, les jeunes filles sont plus mûres que les garçons, qui sont toujours des enfants. Dans un sens, c’est faux, quant à l’évolution sensible des lectures par exemple.

 

 

  De « Pif le chien », on passe à « Newlook » ou « Playboy », tandis que les filles restent généralement fidèles à leurs magazines favoris (on ne parle pas de journaux ou de presse écrite en la matière…), « O.K. » avec poster géant de la trapette (fém. de trappeur) canadienne Voisine ou de Golum-Obispo), en nuançant le jugement, puisque nos charmantes jeunettes ne restent pas insensibles à des canards pseudo-cul dans la mouvance « 20 ans » ou « Max ». Mais honnêtement, quelle apprentie salope digne de ce nom achèterait « Gai Pied » lorsque nous titillent l’asticot les artistiques lesbiannités de « Penthouse » ?

 

  L’évolution est donc plus notable chez les garçons que chez les filles… En deviennent-ils plus matures que ces dernières pour autant ? Malheureusement non… Ils ne restent, malgré l’incarnation à laquelle ils procèdent du Grand Masturbateur de Dali, que des gamins facétieux et belliqueux. Si l’on ne peut comparer mentalement les deux visages de l’hydre sans nom, des points communs, bien physique ceux-là, subsistent. Voyons encore ce faciès mutilé, ravagé par les assauts incessants des commandos du sébum, qui tient le même rôle que le sang dans la génération précédente : la fascination du bouton, du spot, les émois de la scrofule squirreuse, du point blanc spumeux ou noir jouissif à faire sortir comme un couteau de la vasière, les plaques érubescentes puis rubéfiées de la peau grasse. Voilà le dû de ces pré ados plein de soucis. Alors c’est la charge, c’est la foudre, c’est l’assaut dans le sang et dans la poudre. L’ennemi s’enfuit, l’épée dans les reins, laissant tous ses morts sur le terrain [3] : c’est « Biactol », « Normaderm », le stick « Klerasyl », « Denivit », « Email diamant », « Plax », les chewing-gums « Hollywood », les casquettes retournées, les baggy trousers, les chemises plus bariolées que le visage (cela masque, mais attention au ton sur ton, toujours de mauvais goût), la transformation des fermes cellules adipeuses de l’enfance en bon gras bien tendre (pour parvenir quelques années plus tard au mou et flasque, à la cellulite, mais nous le verrons ultérieurement).

  La fille a coupé sa natte. Le garçon a hérité ses bourses. Elle a grossi. Il la désire désormais. Les pôles d’intérêt se focalisent sur le même but, mais de façon différée.

  En effet, la fille de treize-quatorze ans, pour des raisons sociologiques aisément compréhensibles (collège puis lycée) ne s’intéresse qu’au mâle clinquant et débarrassé sinon de ses problèmes épidermiques, du moins des inconvenantes hésitations locales dues à la mue. Le garçon, plus modeste dans son aspiration, centre son point d’attache sur les filles de sa classe. Et nous la voyons arriver grosse comme une péniche avec la grâce d’une rame de métro, l’incommunicabilité, une fois de plus caractère essentiel de la relation masculin-féminin !

  Voici venu le temps, non pas des rires et des chants, mais des demandes gênées, des invitations rougissantes et des premiers refus, des claques amorties par l’infâme et brun duvet tenant lieu de pattes et de moustache, des râteaux terribles, de ceux qui vous clouent au mur comme un curé blanc de Vendée sur une porte de grange [4]. La réaction est claire : les types de seconde, voire de première, prennent les nanas de troisième, qui après tout, admettons-le, n’étaient pas aussi jolies que cela. La solution est la fantasmatisation de l’élément féminin par l’allégorique intermédiaire des… bouquins de cul. Les modèles y sont soigneusement triées sur le volet, parfaitement épilées, mises dans des postures suggestives et/ou humiliantes qui vengent le jeune homme refoulé de sa solitude forcée et impérieuse. Les vies de couple se déroulent alors derrière les portes closes… des salles de bain et des toilettes ou des rares chambres fermant à clé (pour la porte cochère, un peu de patience sera nécessaire…). La vie du couple bat son plein dans l’imagination perverse et solitaire du seul garçon, qui efface le visage du modèle, en garde le corps et se livre à une enivrante valse photographique dans les pas de laquelle le corps nu prend les visages réels des compagnes souhaitées, si proches et lointaines à la fois.

  Ces deux ans, sauf pour les êtres frustes au physique exceptionnellement avancés, font de l’existence de l’adolescent une logue idéalisation du rapport homme-femme ; il se trompe lourdement : un illustré à caractère pornographique sera toujours plus disponible qu’une femme, et le papier glacé vaut mieux qu’une femme frigide.



[1] « On ne désire pas ce qu’on ne connaît pas », Ovide in L’Art d’aimer, III, 97. 

[2] Luc Tironneau in Le Couple, 1, II, 9.

[3] Refrain de « Les Cuirassiers », chant en canon traditionnel.

[4] A cet égard, n’oublions jamais le proverbe breton « Après le râteau vient la fourche » (Goude ar rastell e teu ar forc’h) !

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Le Couple (1.12)

Publié le 5 Mars 2008 par Luc dans Le Couple (essai satirique)

  Une fois acquises l’hypocrisie béate de la petite fille et la combativité naïve du petit garçon, quelles peuvent bien être leurs relations de couple ? Regardons ensemble cette image d’Epinal : un fin brouillard (ou un filtre à la David Hamilton, peu importe…) emplit le parc d’où émergent les silhouettes fantomatiques et endimanchées de feuillus effeuillés. Dans l’allée de graviers crissant sous les pieds tentant de feindre l’assurance, de dos, immobile et son regard joint voguant de concert vers le point où les parallèles se rejoignent, le couple.

  Oh il n’est pas bien haut, mais gâche déjà le désert du jardin public, même s’il reste silencieux. Arrive l’ineffable prise de la main, d’un commun accord lorsque la buée s’échappe plus rapidement des bouches enflammées, malgré le froid humide de ce petit gris. L’ombre du corbeau porté par son corps noir ne se lit pas (et en fait, il s’agissait vraisemblablement d’un ramier…).

  La partie féminine de la première hydre bicéphale et hermaphrodite voit sa tête recouverte d’un bonnet de laine rouge duquel une natte blonde descend jusqu’à ses reins.

 

  De son corps on ne distingue guère qu’une veste fourrée de couleur sombre surmontant une épaisse jupe grise chutant au-dessus du genou. Ses mollets grêles sont celés par de grosses chaussettes blanches coupées en leur fondement par des chaussures plates en cuir noir et brillant.

 

  La partie masculine croule quant à elle sous un bonnet bleu-marine en grosses mailles, d’où ressort une étiquette nominative malencontreusement cousue à l’extérieur par la mère du monstre, qui recouvre ses oreilles et laisse entrevoir des joues rebondies et rosées par l’air hiémal. Il porte un anorak sombre, des pantalons noirs et élimés et se trouve chaussé de baskets sales, rappelant le blanc originaire.

 

  Le passant matutinal ne les dévisage pas ; il n’en a ni le temps ni l’envie. Les envies de suicide ou de meurtre prennent trop violemment à la gorge l’imprudent qui s’attarde, d’humeur bucolique ou scientifique, devant ces deux Méduses de macadam. Et la chose reste là, seule, demandant à chacune de ses personnalités à quoi elle pense quand elles ne peuvent se rétorquer que des questions sans intelligence du monde… Là réside toute l’atrocité de cet âge de non-copulation masquée, d’aveux dirigés et manœuvriers, dont ceux qui s’y laissent prendre ne sont autres que leurs auteurs et leurs parents irresponsables. Naïveté des naïvetés !

 

  Outre l’image d’Epinal, on peut envisager les jeux dont sont friands les gamins avides de sensations nouvelles. Les premiers frissons d’un plaisir qui ne viendra que quelques années plus tard peuvent déjà parcourir l’échine dans une onde électrique étrange et tellement agréable, presque autant que, lors d’un tête-à-tête, de ne souffler mot et de n’entendre parler que de soi. Tous les jeux de gages, la danse du tapis, « Action-Vérité », les cabanes en forêt (dont l’odeur semble indéfinissable, entre humus et liqueurs de plaisir), les aventures urbaines ou campagnardes dans lesquelles le preux chevalier doit libérer la belle princesse aux cheveux …………….[1].

 

  Tous ces jeux ne sont que prétexte à la kinesthésie, aux contacts physiques et sensuels. Lorsque le câlin parental devient ennuyeux au moins, suspect au pire, la déficience de contact s’avère. La compensation devient alors nécessaire, mais malaisée, voire maladroite : les petits se trouvent projetés, à corps perdus, dans un monde inconnu dont ils ignorent les limites manichéennes, ainsi que la nouvelle signification des attouchements, tout en en ayant la prescience cependant. Leur sexualité est florissante, pas encore débordante, mais ils n’ont pas les moyens de l’assouvir, et tout le problème se situe dans ce syllogisme dont l’alliance de la mineure et de la majeure ne trouve pas de solution. C’est d’ailleurs pour cette impuissance de la logique en la matière que l’abbé de Bernis écrivait, dépité, « delicat juventutis meae ne memineris » [2] !

 

  Une telle situation ne saurait perdurer quand on constate le trouble ressenti à la première érection, par exemple à la piscine au travers d’un maillot de bain subitement ridicule et trop petit, lorsqu’on n’en connaît pas l’utilité en conscience. Mais une pudeur, a priori déraisonnable puisque sans explications fondées, force vite le désormais et malheureux pré-adolescent à se jeter dans l’eau pour masquer l’étonnante protubérance, laquelle faisait bien rire quand elle se manifestait sous la forme de deux embryons de mamelons sur les poitrines des congénères féminines, dont, pour certaines du moins, le poil non encore jugé inesthétique venait à faire son apparition au-delà des élastiques de la sympathique et juvénile tenue de bain arborée jusqu’alors.

  Sans y prendre garde, nous sommes parvenus à la tristesse insouciante des années menant gaillardement le navire de l’hydre de onze à douze ans révolus.



[1] J’arrête la phrase de cette manière pour qu’on ne me taxe pas de racisme. Aurais-je écrit « aux cheveux d’or » que toutes les Shéhérazades de S.O.S. Racisme, de la LICRA et j’en passe, me seraient tombées sur le paletot, à ce triste moi convaincu d’arianisme. Quoiqu’il en soit, l’espace laissé libre permet au lecteur de retenir et d’inscrire la couleur qui lui sied (la merveilleuse idée de l’interactivité du livre !) : bruns, blonds, roux, châtains, auburn, rasés, qu’importe, là n’est pas l’essentiel. Mais méfie-toi, comme disait Spinoza !

 

[2] « Oubliez les fautes de ma jeunesse. »

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Le Couple (1-11)

Publié le 4 Mars 2008 par Luc dans Le Couple (essai satirique)

 

PREMIERE PARTIE : LES PREMIERS VAGISSEMENTS

 

 

I

 

LE PREMIER COUPLE

 

La fin de cette histoire ne sera pas grand chose pour ceux qui ne regrettent rien : des bruits de médailles jetées dans les prétoires aux pieds des magistrats, des condamnations, des années de détention, des combats individuels, d’autres condamnations, et… le temps qui passe.

Et puis il y eut deux fois douze balles. [1]

 

 

  Six ans, cours préparatoire pour les moins débiles de ces chiards qui assourdissent jusqu’au ciel de leurs cris effrayants à certaines heures du jour. Arrivent certains moments dans la vie où il devient possible de s’intéresser à certaines choses de la vie qui ne vous concernent en rien. C’est le complexe du furet et de la fouine.

  Le furet, du C.P. à la cinquième, aiguise ses quenottes sur les fesses et la raie spectrale des fouines dans une gigantesque visite médicale désordonnée. Il se meut dans une logique somme toute illusoire, mais qui vaut ce qu’elle vaut ; c’est d’ailleurs son seul mérite au regard des choses de l’esprit. Il ne comprend pas cet attrait sadique, à caractère fascinant, envers ses congénères nattées, une attirance même, pudiquement voilée d’un mépris affiché dans des postures guerrières.

 

  La fouine évoluera quant à elle plus sensiblement durant cette période, plus ostensiblement voire (!) pour ses atours. La fouine est, paradoxalement, une belette, animal curieux au tempérament drolatique, muni de trois pointes effilées, rouillées après un séjour dans l’eau de mer [2], sitôt que commencent de darder, par un tressaillement subtil, au travers d’une robe légère ou d’un petit haut moulant, les tétons émergeant d’une poitrine essoufflée.

 

  Décidément, après avoir nourri un regret fugace quant à l’irascibilité liminaire de notre propos, force est d’admettre qu’à cet âge, la fonction essentielle est l’incommunicabilité. Où chercher en effet l’éventuelle relation, autre qu’un frôlement incertain de lèvres réticentes, entre un petit monstre ébouriffé, ivre d’action et de rites guerriers, tenace au sport et à dépecer ses genouillères, et une commère en devenir, dont la principale raison de vivre ne consiste qu’en coquetterie, caquetterie et échanges de correspondances rosées, hypocrites par excellence, avec les parolières d’un miel doucereux.

  Les lectures les font de même diverger : Docteur Justice, Sergent Guam, Les 4 As, Strange, Blek le Roc ou Zembla pour les uns ; OK Mag’, Hit Podium pour les autresses…

  Il semble toutefois hors de propos, en un tel jour où l’estomac affleure le bord des lèvres après les vains festoiements d’un Noël tronqué, de recourir à la méchanceté ou à l’observation pure et simple de la nature : je devrais alors cesser là mon ouvrage et aller vomir.

 

  Mais continuons tout de même… C’est donc en ce jour d’ultime dédain pour une personne saisie d’ennui que celui-ci va devenir décisoire. Quelle fatalité ! Quelle absurdité ! Lorsque je ne parvenais plus à composer un texte de plus de trois pages depuis trois ans, il fallait que mon pire ennemi me jetât à la face une inspiration certes contingente en ce qu’elle poursuit un travail antérieurement entamé, mais tellement inattendue que l’on a peine à croire que cette encre pourrait valoir quoi que ce soit.

 

            De six à douze ans, on trouve l’âge d’une rébellion larvée, d’une nouvelle insolence marquée de rouge sur les pommettes. C’est le temps où les petites filles se tordent les doigts devant le pubis lactescent et frottent l’un contre l’autre leurs genoux atteints d’hyper laxité ou cagneux, en baissant la tête et murmurant d’une voix émue on ne sait quelle malédiction de la résipiscence. C’est aussi le temps où les petits garçons oublient griffures et morsures pour faire usage de leurs poings et de leurs jambes lors de bienveillantes bagarres, saines puisque cessant, à de rares accidents près, à la première goutte de sang. L’enfant est fasciné par l’hémoglobine, ce liquide fait de crainte de l’agression, s’écoulant à flots lents et épais le long des lèvres bleuies par l’effort fébrile de coups effarés. Dans la naïveté propre au manque d’années, le sang coulant d’un nez devient l’archétype de la culpabilité mêlée d’une joie satanique. C’est l’irreprésentabilité de ce corps manifestement étranger, par son odeur âcre, sa couleur étrange et sa fluidité Etonnante, qui force l’enfant à l’inaction en sa présence. Il regarde les striures rougeoyantes et oublie le visage de l’être éventuel qui a reçu le coup. La scène est plus simple qu’il n’y paraissait : dans un halo éthéré, seules les coulées de sang s’affichent comme points remarquables. Les vapeurs de la violence atténuées, et seulement alors, reviennent les considérations pragmatiques : fuir la répression ou s’enquérir de l’état de santé de la victime à proprement parler ennemie mortelle jusqu’en cet ultime instant.


[1] Pierre Sergent in « Je ne regrette rien », Fayard, 1972.

[2] Nous comparons ici les dents du petit mammifère carnivore avec le trident breton servant à la pêche des poissons en eau peu profonde.

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