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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

Le Couple (introduction)

Publié le 3 Mars 2008 par Luc dans Le Couple (essai satirique)

  A plus de trente ans, comment cacher notre haine pour ce hideux monstre bicéphale ? Dans son annihilation des personnalités, son travail de sape constant jusqu’à ce qu’il soit trop tard, il n’est que laideur.

  Ne point procéder du postulat à son sujet relève de l’impossibilité ontologique, tant toute notre objectivité empirique est menacée chaque jour par ses rets envahissants. Alors la réaction instinctive prend forme dans une haine farouche pour ce qui pourrait y toucher de près ou de loin.

  Aussi bien pourrions-nous narrer quelques expériences, plus ou moins réussies, n’ayant pour seul point commun que l’inévitable échec final, mais nous nous sentons si vieux, si sages et raisonnables en ce jour où plus rien n’a d’importance, qu’il faut maintenant, dans l’improductivité ambiante, tuer le couple. DELENDA EST COPULA !

 

  Que préférer alors ? – objectera le lecteur naïf.

  Le célibat ? Non, ou du moins tout dépend des motivations qui y conduisent. Certains opteront pour cette courageuse posture car ils ne peuvent faire autrement ; ceux-là méritent tout notre mépris. D’autres s’y réfugieront avec hargne et chasteté, qui vont de pair, cinglant d’un même nœud vers l’immanquable suicide. D’autres encore choisiront le célibat pour la facilité des aventures, ce qui ne serait pas le plus idiot des raisonnements si la solitude n’imposait pas ses limites, difficilement surmontables.

  Enfin… L’ennemi existe, il est à nos portes ! Cet ennemi commun à tous ! Cet ennemi d’autant plus dangereux qu’il ne sait en être un : le célibataire marié ou en couple. Il est. Dans l’insondable représentation de l’absurdité des conflits, il n’y a pas d’espoir. Il est ce célibataire par l’isolement de son âme ; il est de même la deuxième tête de l’hydre sanglant. Il faut tuer ce célibataire : il faut tuer le couple. DELENDA EST COPULA !

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The (bored) passenger

Publié le 29 Février 2008 par Luc dans Vivre... par dépit (du 24-6 au 20-9-96)

Je constate avec dépit la brume de pluie et le simili bien-être qui me recouvrent petit à petit dans une normalité hasardeuse. Je fus pantin énervé, l'odieux Auguste, et idiot abattu, en taciturne Pierrot. Alors bondissant dans la spirale tourbillonnante du temps qui file, je me laisse envahir de vapeurs soufrées. La fumigation m'est favorable, car c'est ainsi que m'ont parlé les entrailles des nuages menaçants.

En tournant ma main dans l'air abrupt, je caresse les tuiles luisantes, touche les rigoles qui débordent bruyamment en s'écoulant dans les gouttières. Mais plus au loin, je ne tourne plus aussi vite, et les façades rectangulaires sont si régulières qu'elles me font regretter mon désordre inachevé. Je cherchais la fraîcheur, je n'ai eu que l'ombre...

Tiens, aucun bruit n'est venu me troubler depuis longtemps. Force est d'admettre que j'écris dans un but unique... Mais lequel ? Celui d'éviter le suicide, comme Cioran ? Non, pour ma part, je crois qu'il s'agirait plutôt d'éviter... l'ennui.

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Toute action est vaine

Publié le 28 Février 2008 par Luc dans Sourires jaunes (du 25-3 au 21-6-96)

Comme un matin d'hiver que la terreur assomme de ses coups de boutoir. Ces coups sont étranges, car longs et indolores, pourtant ressentis comme tels. Ils se manifestent en invincibles langueurs, qui font naître la moue, trembler les mains et l'échine, s'assombrir la vue des choses. Une gifle se révélerait bien salutaire pour m'arracher à cette morne chute, mais je ne suis pas le moins du monde persuadé que le cuir de ma face, celui que j'ai tanné si durement, n'en perçoive que le plus petit aiguillon.

Suis-je alors destiné à l'annihilation des sens ? A ne devenir que discoureur attablé et aviné ? J'ai tenté de donner un coup : je ne l'ai pas senti sur mon poing, mais l'objet s'est brisé en plusieurs autres. Tout geste est vain, inutile.

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Rêve 55 Tentative de parricide

Publié le 27 Février 2008 par Luc dans Cercle noir (du 26-2 au 17-7-08)

L’affaire paraît grave : ma sœur me confie dans une semi-obscurité que nous sommes en danger. Notre père voudrait nous tuer durant notre sommeil. Je m’étonne de mon absence de curiosité quant aux raisons qui pourraient le pousser à agir ainsi. Exceptionnellement, je me contente d’accueillir le fait dans toute sa vigueur et reçoit comme vérité la parole de ma sœur. Je m’équipe donc d’un 357 Magnum à grenaille, en neuf millimètres Flobert, puis vais me coucher dans ma vaste chambre.

 

Je ne tarde pas à ressentir les premiers effets de l’épuisement et m’endors profondément, non sans avoir laissé entrebâillée la porte de la chambre. C’est un trait de lumière venant du couloir qui accueille mon réveil dû au grincement de la porte de la cave, située presque en face de celle de ma chambre. Une porte composée de trois larges planches verticales et d’une rivetée en diagonale des premières. Une porte de cave d’immeuble des années soixante-dix dotée d’un verrou simple dont le jeu claquant contribue à me donner à l’état d’éveil. Je me lève d’un bond, les sens en alerte, puisque à l’évidence, la personne s’étant introduite nuitamment dans la cave ne saurait être que mon père, en vue de se saisir de la tronçonneuse s’y trouvant et d’en faire un usage contre ma personne. Je me cache derrière la porte de ma chambre, mon flingue à la main, mais je suis bientôt saisi d’une intense torpeur qui me contraint à retourner me coucher.

 

Cette position créera certes moins d’effet de surprise, mais je demeure armé, et je revois cette scène du film « Le Bon, la Brute et le Truand » dans laquelle Eli Wallach prend un bain sans se départir de son revolver, dont on entend le chien se relever sous la mousse avant d’expédier ad patres l’ingénu qui comptait profiter de cette provisoire situation de faiblesse. Naturellement, le manque de qualités perforatrices définitives du 9 mm Flobert m’interpelle, et je compte sur le seul cliquetis du chien pour dissuader mon père de faire usage de sa tronçonneuse à mon encontre.

 

Le bruit en provenance de la cave se rapproche. La porte couine. Il doit être dans le couloir maintenant et l’heure de vérité approche. Il va entrer dans la chambre.

 

Soudain, j’entends de l’extérieur de la maison la voix de ma sœur amplifiée et déformée par un haut-parleur électrique. Elle met mon père en demeure de se rendre, la bâtisse étant cernée par les forces de l’ordre. Je jette un coup d’œil dehors, dans la nuit claire, et constate la présence effective d’un bus de C.R.S. ou de forces anti-émeute. Craignant une réaction de colère de mon père et outré par l’attitude de ma sœur ayant consisté à se carapater en me laissant avec l’assassin en projet, je saute par la fenêtre de ma chambre, heureusement de plain-pied, et me met à courir sur le talus herbu. Tournant mon regard vers la gauche en raison de détonations, je vois l’homme qui aurait dû être mon père mais que je ne reconnais pas, s’agenouiller et tirer, apparemment en ma direction. Un énorme chêne me protège et je décide de courir le long d’un axe revolver-chêne afin de bénéficier d’un écran le plus longtemps possible. Ci-fait, je passe le thalweg, franchis en ventral une barrière champêtre et me joins à une foule compacte à la direction perpendiculaire à la mienne, se dirigeant vers un bois.

 

Attentif à d’éventuels autres coups de feu, ma tête exécute des rotations incessantes sur 360 degrés, comme l’Ankou, et c’est finalement sur ma droite que je constate l’interpellation de l’homme qui aurait dû être mon père mais que je ne reconnais pas. Il est assis et baisse la tête d’un air abattu. A son côté droit siègent deux femmes, l’une mûre et l’autre jeune, dont la ressemblance ne me fait guère hésiter : elles sont respectivement mère et fille. Leur pâmoison me donne également l’interprétation nécessaire de la situation : il s’agit de la maîtresse de cet homme qui eût dû être mon père, et de sa fille, de leur fille ? qui sait ?

 

Calme et déterminé, je me rapproche de ce petit groupe, serre mon arme et en appose le canon sur la tempe de cet homme que je ne reconnais décidément pas, même de très près. Mon cœur est sans colère mais la vengeance s’extraie de la langueur comme un impératif catégorique. Je lui dis doucement au revoir, comme s’il avait été mon père et me prépare à tirer.

 

Mon geste s’arrête néanmoins dans le « Non ! » sangloté par la femme.

 

Je répète mécaniquement « Non ? », et baisse mon arme, abruti de fatigue.


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Nécro Roger Karoutchi

Publié le 26 Février 2008 par Luc dans Embannoù-kañv (Nécrologies)

(NDLA : aujourd'hui, deux textes à titre exceptionnel, parce que là, je ne pouvais pas attendre !)

« Mais qui est ce vieillard sénile !? »

 

Voici quelle fut ma première réaction, au cimetière, lorsque fut diffusé en hommage à Roger Karoutchi le court entretien enregistré le matin même sur France Inter, avant son décès d’un accès de cautèle aiguë.

 

Puisque, en effet, Roger Karoutchi est mort, ce dont je me réjouis absolument.

 

L’ancien et parfaitement inutile Secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement (c’est-à-dire avec Jeff « Frisotis » Copé) était patelin, c’est incontestable : il émaillait souvent ses consternants lieux communs et dérisoires fausses pistes de « Si vous permettez… », « Si je peux dire… », etc., tout en se gardant bien de confier le crachoir une fois qu’il l’avait entre ses mains étreignantes.

 

Car l’homme était embrassant, chaleureux, menteur et sournois, comme tous ses congénères. Il possédait l’art de faire appel à son glorieux passé universitaire et son statut d’agrégé d’histoire, pour faire passer les pilules les plus amères, son refus obstiné de la discussion et du débat qui l’eussent mis en difficulté. Il oubliait avec facilité qu’il n’était qu’un sous-avatar du RPR, dont la trajectoire via Sciences-Po Paris était tout sauf originale.

 

Le matin même de sa mort, Roger Karoutchi excusait l’emportement de Sarkozy, dont il partageait le même amour de la vulgarité absolue : grosses montres, fric ostentatoire et débordements verbaux dignes de « La vérité si j’mens ! ». Pour mémoire, au Salon de l’Agriculture 2008, Sarko avait sévèrement rabroué un badaud qui refusait de lui serrer la main par un « Casse-toi, pauv’ con ! », particulièrement classieux, lorsque même l’animal Chirac, se faisant traiter de « Connard » par un passant, avait rétorqué plein d’humour : « Bonjour, moi c’est Jacques Chirac ! ».

Donc l’ami Roger (pas Hanin ni Macias ni Arthur ni le reste de cette engeance, on parle de Karoutchi, suivez quoi, nom de Dieu !) excuse le comportement ridicule plus que vraiment scandaleux de Sarko, par le qualificatif de « viril » (sic !). Donc résumons : la virilité chez M. Karoutchi consistait à en foutre plein la vue comme un veau d’or, à mentir effrontément, à refuser tout débat par des « Mais noooon… » plaintifs et se voulant désespérés de la bêtise qu’il constatait face à lui, mais supérieurs et mielleux comme le loukoum qu’il était, et à être une grande gueule dont on croyait qu’elle n’existait qu’au cinéma.

Sacré virilité de pacotille pour ce défenseur obstiné de l’union méditerranéenne qui ne nous regarde en rien, puisque nous sommes avant tout Celtes et Germains, et que l’Europe continentale est notre vrai berceau.

 

A la fin de la triste allocution rediffusée, je devais revenir sur ma première impression, celle d’un haussement d’épaules opposé aux divagations d’un vieillard sénile. J’avais en effet appris, entre-temps, que l’homme n’avait pas soixante ans et qu’il n’était pas affligé de la terrible maladie d’Alzheimer. Je ne pouvais alors plus que me dire, dans la tristesse que me causait le fait qu’il ne pourrait jamais m’apporter une réponse virile et franque :

 

« Mais c’était qui, ce connard ?! ».

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Le devoir douter

Publié le 25 Février 2008 par Luc dans Humeurs froides (du 2-1 au 23-3-96)

Il fallait donc que les nuées se dénébulassent au moment où tu me fis sentir ta froideur pour la première fois. Trop absorbé par le jeu de l’apparence, je ne pouvais affirmer qu’il ne s’agissait en aucun cas de jalousie maladive, puisque je m’étais involontairement interdit d’évoquer ce mot… Ce rôle ! De cette entrée en matière, il m’était impossible d’émettre la plus petite réserve sur tes actes. C’eût été si inhabituel que tu m’eusses sans délai taxé de possessivité jalouse.

 

Et pourtant, j’ai beau rechercher cette douleur, je ne doute pas de toi. Tous mes efforts vont en sens contraire de ce que je pense : je dois douter pour ne pas tomber. Si un pan de croyance innée traverse mes pensées, je m’effondrerai car sans plus aucun soutien. Si un espoir m’agite les tripes, il faudra bien que je l’assassine dans l’œuf, pour ne pas connaître, à sa déception, ce qu’il existe en dessous de mon âme.

 

Le retour à la rudesse (étroitesse ?) d’esprit, après quelques jours vains, tellement ils m’ont presque fait croire que j’étais redevenu sensiblement humain, marque l’éclaircissement.

 

J’ai vu l’aube, le ciel et quelques cumulus moutonner, bouillonner violemment, se retourner, s’entrechoquer pour disparaître de ma vue.

 

Je ressens moins le froid lorsque la solitude m’est infligée.

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La honte dans la blessure

Publié le 22 Février 2008 par Luc dans Arbeit (du 16-10 au 29-12-95)

En, cheminant dans la douceur, j’ai rencontré un rayon de soleil, fugitivement. Il a dû me dire : « Belle journée, non ? », j’ai acquiescé, et le peu de sommeil ne me faisait aucun effet. Je lisais donc, alimenté et baigné de chaleur non suffocante, pensant avec délice à l’inactivité paresseuse, délassante, continente et néanmoins lascive, qui meublera mes jours prochains.

Mais l’armée nimbée est revenue, trop vite semble-t-il, cumulant ses forces épaisses et brumeuses. Les pâles trouées de ciel se sont vues enfoncées, balayées, dans une absence de vent qui ne laisse de présager une suite logiquement celée d’un voile pudique.

Asservi par l’ennui et l’incapacité de réaction qui s’ensuivent de la décomposition silencieuse du champ de bataille, je sens mon cœur battre dans ma blessure, lentement mais fortement. La fine membrane recouvrant le sang va-t-elle se rompre ? Ce serait un soulagement, une libération. La blessure n’est pas mortelle mais honteuse, à masquer de toute façon. Chercher à ne plus ressentir la honte, même injustifiée, est un labeur impossible. Les combats sont courus d’avance et une chape blanche retombe dans le fracas d’un couvercle mangé aux mites, qui nous signifie… Avez-vous entendu le son de la porte qu’on verrouille devant vous ? Les cloches tintinnabulent en trottinant gaiement. Mais bordel de Dieu ! ce n’est pas Pâques ! où se croient-elles ?! pourquoi les glas défilent-ils si joyeusement ?!

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Les plus beaux romans d'amour

Publié le 21 Février 2008 par Luc dans Erwann (du 11-10-07 au 21-02-08)

Ne feignons pas l’étonnement relativement au titre de ce texte, tellement inhabituel chez moi. Il s’agit en vérité de l’intitulé du Chapitre XI de « La mythologie celtique » de Yann Brekilien [1]. Je lisais ledit chapitre cette nuit, et soudain l’effarement m’a saisi, tel que je ne l’avais connu que dans quelques ouvrages ou musiques par le passé [2]. Avant de vous faire partager ces quelques lignes lumineuses, vous qui me connaissez ou non, mais qui avez une idée à peu près construite de ma relation à l’amour, mon sujet de prédilection, je vais m’essayer à une courte synthèse de ce rapport, en quelques propositions :

 

-          mon amour n’est ni ludique, ni sensuel ou sensualiste. Tous mes écrits se révoltent dans une posture orgueilleuse contre le jeu amoureux ou la seule recherche du plaisir sexuel ;

-          il n’a jamais appelé ou revendiqué le confort, la sérénité, la longue vie paisible, s’éloignant en cela de toutes les doctrines pragmatiques et matérialistes ;

-          il ne s’est jamais, non plus, réclamé de l’ivresse des passions dans une conception hédoniste.

-          il n’a pas plus aspiré à l’aberration zen ou à l’ataraxie épicurienne, bien au contraire, puisque la douleur et la gravité en sont précisément les moteurs ;

-          par ailleurs, en tant que le corps lui a toujours été indissociable, parfois même par la contrainte, il a toujours fui l’aspiration au pur esprit des théories platonicienne et néo-platoniciennes, telles que celles défendues par l’Eglise catholique ;

 

Mais alors qu’est mon amour ? Quelle est sa nature profonde ou d’où vient-il ? J’en venais presque à assumer mon anormalité solitaire, ainsi définie, de manière pouvant être effrayante pour l’éventuel conjoint : mon amour me brûle en entier, me bouffe les tripes, me fait souffrir et me procure la joie dans le même temps. Cette définition aurait dû alerter mes sens et me mettre sur la voie de la connaissance, puisque je crois réentendre dans cette formule le chant profond de Denez Prigent [3].

Puis soudain, quelques phrases de Yann Brekilien, et du Sid vient la lumière :

 

« Mais pour les Celtes, l’amour est aussi éloigné de la simple satisfaction des désirs de la chair que des jeux raffinés de la courtoisie : c’est une flamme qui embrase l’être tout entier, le brûle et le dévore. Il ne concerne pas seulement le corps ou l’esprit, il s’empare de l’individu dans sa totalité, à la fois dans son corps, dans son âme et dans son esprit. Dans l’amour se réalise la finalité du monde, le retour à l’unité primordiale, puisque l’homme et la femme, qui sont les deux principes opposés de la fonction créatrice, se fondent en un seul par la chair, le sentiment et la pensée. »

 

C’est donc qu’en sus de me sentir Breton, je dois être Celte.



[1] Ed. du Rocher, 1993, Réédition 2007, pp. 374 s.

[2] Dans l’ordre chronologique et en en omettant sûrement, mais l’essentiel doit être là : « Avalanche » de Leonard Cohen et « Day of the lords » de Joy Division en 1979, « Le Joueur » et « Crime et châtiment » de Dostoïevski en 1982 et 1986, « Heaven » des Swans en 1986, « Apologija Laibach » de Laibach et « Le feu follet » de Drieu La Rochelle en 1987, « Die Götterdämmerung » de Wagner et « Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? » de Kant en 1988, « Le problème XXX » d’Aristote en 2000, l’interview sur France Inter de Régis Debray en 2008…

[3] « Ha se a ra din kalz a aon, ha memes tro joa em c’halon ! » (Cela me tourmente et me rend heureux à la fois !).

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Rêve 53 Désincarnation de l'or

Publié le 20 Février 2008 par Luc dans Erwann (du 11-10-07 au 21-02-08)

Tout commence par un voyage imprévu. Nous allons en famille visiter notre amie N. B., à Lyon. Je m’étonne de cette destination, au regard du fait que Nathalie est réputée vivre à l’étranger depuis de nombreuses années déjà, et ne compte aucune attache dans la capitale des Gaules. Toujours est-il que nous nous retrouvons rapidement dans un grand amphithéâtre de faculté en bas duquel trône un gigantesque tableau vert traditionnel. Il est recouvert de suites de chiffres et de symboles, de formes insensées parfaitement incompréhensibles par moi. Alors que le professeur parle d’une voix étouffée, certains chiffres, certains signes clignotent alternativement, puis disparaissent dans une auréole de lumière jaune. La modernité de ce tableau que je croyais à craie m’interpelle. Le premier professeur, tout sourire, finit par passer la main à un autre, une femme que je suis certain de connaître pour l’avoir eue en cours lors de mes propres études. Elle n’a pas changé depuis ce temps, plus de quinze ans.

 

Mon regard se promène dans les travées, mon attention ne pouvant être soutenue sur un discours que je ne comprends pas. A. est assise devant moi, studieuse et silencieuse, tandis que N.B. est à ma droite. Je suis avachi sur mon banc, la nuque sur le dossier, à demi-allongé, ma veste posé sur les cuisses en raison du manque de place. Je me tourne vers N.B. afin de lui faire part de mon ennui naissant quant à ce cours manifestement scientifique, donc inepte, lorsqu’au même moment elle glisse sa main dans mon pantalon. Mes yeux s’écarquillent de surprise : nous nous connaissons depuis dix-sept ans sans jamais qu’une ambiguïté se fît jour. Ma réaction hésite, comme pétrifiée. Je me contente de lui presser l’avant-bras, en forme de protestation valant à mon grand désarroi approbation. Je ferme les yeux sur ma lâcheté et attends que le mouvement commence. Ce qu’il ne fait pas, figé dans une éternité instantanée, alors que nos regards ne se sont pas croisés une seconde.

 

Le cours a dû prendre fin sans que j’y prenne garde, puisque nous nous retrouvons chez N.B., qui vaque à ses occupations ménagères habituelles dans le jardinet de la maison. Plus précisément, elle dispose à la va-vite du linge sur un étendoir extérieur. Dans la mesure où il s’avère déjà sec, j’enfile une paire de jeans, dont je constate qu’à l’évidence ils ne m’appartiennent pas : trop turquoises, trop délavés et surtout trop grands pour moi. Malicieusement, je songe au fait que je ne soupçonnais pas que N.B. fît deux tailles de plus que moi alors même qu’elle avait un physique de brindille. Qu’en est-il de ma désincarnation ? Peu importe à ce moment, puisque je décide d’enlever ces jeans ridicules. Peut-être est-ce l’acte positif qu’elle attend de moi ? qui lui donnera l’idée de continuer ce qu’elle avait commencé à ma plus grande honte, à ma plus grande curiosité morbide ?

 

Point du tout, elle semble vouloir s’éloigner vers la maison. Je saisis au passage sa main de pierre qui s’effrite à mon contact. Elle ne ralentit pas sa course, et histoire de dire quelque chose, je lui conseille d’utiliser une bonne crème hydratante pour les mains.

 

A ce moment surgit d’un recoin du jardinet S., l’ex-mari de N.B., plus grand qu’avant, plus costaud aussi, l’œil inchangé en revanche, toujours aussi noir et perçant, injecté de sang. C’est d’un air à la fois amusé, dubitatif et consterné de surprise qu’il me dit, ou plutôt s’apprête à me dire, ou mieux que j’attends qu’il me dise :

 

- Alors comme ça, tu t’es tapé ma femme ! -

 

Je ne réponds pas, assis dans la boue herbeuse, la tête baissée et les yeux fixés sur les hochements de tête déçus de S.

 

Il est grand temps de rejoindre la famille à la Tour du Pin. Arrivés en retard, nous couchons immédiatement Erwann, A. restant avec lui dans le salon servant de chambre. Je me dirige quant à moi vers la cuisine bondée quoique vaste. Tout le monde parle trop fort, gueule presque pour se faire entendre. Je déteste cela. Mon regard ébaubi se plante dans une femme d’une soixantaine d’années que je ne connais pas, bien apprêtée, coiffée et maquillée comme pour la fête d’une famille que je ne connais pas. Elle gueule plus fort que le reste, ouvrant sa bouche en découvrant des dents ocre. La colère monte en moi et fidèle à mon habitude de patience violente, je détruis l’ambiance festive, massacre la convivialité, casse la camaraderie en posant haut et glacial, d’un air menaçant :

 

- Qu’est-ce que vous avez tous là à gueuler ?

Mollo maintenant, et doucement les basses, il y a un bébé qui dort ici.

 

Le silence se fait et je m’en retourne vers la chambre salon à la porte aux carreaux de verre. Celle-ci s’ouvre seule et A. m’accueille en me fusillant du regard, en me maudissant de ma famille trop bruyante. Je lui signifie que j’ai déjà agi, que le calme est revenu. Trop tard, Erwann est réveillé, et il est donc temps de partir, de rentrer chez nous.

 

Je suis désormais sur un quai de gare ensoleillé. Je vois au loin cet énorme échangeur de métro en forme de toit de pagode, aux nombreuses voies courant jusqu’en son sein d’acier sombre, surmonté d’une sphère jaune et lumineuse. Je l’avais déjà vu auparavant, dans une vision, mais il devait se trouver à Paris. Peu importe. Il n’est pas ma destination. Sur le quai, je constate la présence d’Alain, grand gaillard à la magnifique moustache retroussée poivre et sel, ami de longue date du versant germain de ma famille. Il m’ignore royalement, à ma totale stupéfaction. Que le Diable l’emporte, j’ai manifestement un train à prendre. Le temps de me retourner et je vois Stéphanie, amie de longue date à qui je m’adresse joyeusement en lui demandant comment ça va. Elle répond au soleil en agitant la main, l’air préoccupé et absorbé par l’entrée en gare de son TER. Je n’existe donc plus. Ai-je touché à la désincarnation ?

 

Me voici enfin rentré en Provence, à demi nu et seul. Je gravis quelques marches de notre domaine inconnu et constate qu’au milieu du large escalier de vieilles pierres, manque une dizaine de marches. Ma course ralentit donc lorsque les pieds touchent la terre meuble. Une ligne centrale est marquée par des racines mises à nu, comme si une allée florale avait un jour dû couper l’escalier en deux voies. Foin des tubercules et du reste, je réalise avoir laissé ma voiture en gare de la Tour du Pin et ignore parfaitement comment je vais pouvoir rentrer dans un chez moi que je ne connais pas, dont je n’ai évidemment pas les clés. La porte s’ouvre néanmoins et rassuré, je me retourne une dernière fois sur le paysage du Tholonet : tout est là, l’imposant massif de laurier, le chemin pierreux qui serpente vers les pins, au travers des oliviers et de la garrigue au thym sauvage qui embaume l’air pur…

 

J’entre dans une grande pièce, entièrement vide, blanche et surexposée, dont les quatre murs luminescents sont munis de placards d’une soixantaine de centimètres de hauteur. Par dépit, désœuvrement et curiosité, j’en ouvre un : il est rempli de lingots et de barres d’or, comme tous les autres ! La peste ! J’en prends quelques-unes, emballées dans du papier tissu blanc du meilleur effet, mais peut-être un peu fragile pour cet usage.

 

Je me saisi donc rapidement d’une bonne dizaine de barres, et leur poids total me semble singulièrement léger. Je marche maintenant dans l’étroite rue, lumineuse et déserte, d’un village inconnu aux maisons blanches ou ocre. Je marche sans but, mon or sous le bras. Je remarque alors, par la transparence du fin papier tissu, qu’une feuille de papier s’est intercalée entre l’or et son emballage. Je l’extraie et en entame la lecture, n’ayant rien de mieux à faire à cet instant. Il s’agit d’un courrier comportant un bel en-tête, mais émanant d’un particulier s’adressant au maire. Il fait part de son mécontentement, mais teste en faveur de la commune. Je suspends ma lecture, le legs ne pouvant que concerner l’or de la grande pièce. Je n’y comprends rien et continue de marcher avec ce qui aurait dû représenter plus de cent kilos d’or sous le bras. En vain.

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Nécro Alain Minc

Publié le 19 Février 2008 par Luc dans Embannoù-kañv (Nécrologies)

Un losange d’acier flotte dans l’air sombre ce matin, tandis que la lueur d’un regain d’espoir se fait bien maigre, à peine une mince traînée jaunâtre au dessus de l’horizon incertain. Les bras ballants du losange, dans leur immobilité menaçante, me font penser, paradoxalement, à l’activité d’Alain Minc, cerveau obscurément ennuagé flottant seul en se croyant dominer le monde littéraire et financier.

Car en effet, Alain Minc est mort.

Je m’en réjouis absolument.

Sa tête décapitée ondule doucement dans le ciel sombre, et il est tellement difficile d’avoir quelque chose à en dire.

Garderons-nous en le souvenir d’un plagiaire professionnel ou d’un plagiste de Bolloré dans « Sarko de St Tropez » ? Non pas, dans le premier cas, son amateurisme fut avéré et il eût bien fait, comme tout conseilleur autoproclamé, de quérir l’avis d’un meilleur que lui en la matière, comme Paul-Loup Sulitzer ou Marie Darrieusecq par exemple. Dans le second cas, la récolte de miettes à laquelle il a procédé le rendrait presque sympathique, comme tout idiot du village dans nos racines aimées.

Honorerons-nous le pour sa flamboyance langienne ? Non, pour avoir aimé les médias plus que de raison, l’homme ne s’extrayait que rarement des méandres obscurs des coulisses du pouvoir, plus en Monseigneur vert-de-gris qu’en Eminence grise…

Soupirerons-nous en sanglotant l’étudiant des Mines, de Sciences-Po Paris et de l’ENA, sa participation à feu le pseudo think tank tellement social, la Fondation St Simon ? Non, son parcours aurait pu les destiner à faire partie du Conseil Constitutionnel[1], c’est dire combien il est méprisable. Le fait d’avoir été membre de la Fondation St Simon n’appelle non plus aucun commentaire, en tant que cette qualité, si j’ose l’écrire, n’est nullement contradictoire avec son statut de valet du pouvoir de l’argent. Cette fondation tout de même, de manière amusante, a été dissoute dans « Le Siècle », ce qui ne signifie malheureusement pas une juste revanche de l’Histoire sur l’ineptie, mais bien le grossissement démesuré d’une société pas même secrète dont le but est le pouvoir et l’entretien de ce dernier entre ceux qui en sont d’ores et déjà les détenteurs…

Foin de tout ce bruit, nous ne retiendrons d’Alain Minc que sa maxime favorite, celle qu’il opposa encore malicieusement en ce matin de sa mort, dix-neuf février deux mil huit, par trois fois à Nicolas de Morand : « Je suis plus vieux que vous », en clin d’œil à l’inénarrable Bernard Guetta [2], tout aussi englué que lui dans la rouerie mercatique.

Oui, ce fut sa seule vérité de lumière dans une intuition psychopompe : il fut toujours plus vieux que nous.

Le losange dans le ciel moutonnant désormais se fait plus léger et moins veule, tandis que les rais de lumière s’infiltrent par milliers dans la masse jusqu’alors opaque.

 

Ni rires, ni crachats.



[1] V. « Nécro Conseil Constitutionnel », in « Embannoù-kañv », du même auteur.

[2] V. « Nécro Bernard Guetta », ibid.

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