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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

Humilité sociale

Publié le 30 Octobre 2015 par Luc dans Marseille (du 2-4-97 à février 1998)

 

J’ai parlé haut, pour me faire entendre dans la conversation. Cela m’a paru déplacé… à moi seul très probablement, mais je fus vulgaire.

 

Ce dégoût de soi naissant fait s’assombrir la voix, l’adoucit et modère ses envolées. Alors il convient de baisser un peu plus la tête à l’unisson de la voix et des yeux, pour ne se contenter que de répliquer.

 

Telle est la peine endurée pour avoir cru un instant que ce que l’on avait à dire revêtait quelque intérêt, que cela méritait qu’on l’imposât…

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Corps gazeux

Publié le 29 Octobre 2015 par Luc dans Gisant

 

Le combat a bien commencé.

Je vois deux hommes face à face,

Scintillants éclairs de menace

Dans les yeux rageurs, décidés

A en découdre avec violence.

 

 

Et ils s’approchent maintenant,

La tête lancée en avant,

Furieux taureaux allant gravant

Le marbre du combat venant,

Rut affligeant dans la démence.

 

 

L’un d’eux porte un glaive à sa main

Lourdement gantée de cuir brun,

Qu’il voudrait planter dans le rein

Ou les tripes du gros gamin

Qui gigote là, comme en transe.

 

 

Au moment précis où la lame

Fend l’air sombre, l’étendue ventrue

Se transforme, sorte de verrue

De gaz jaune et mouvant qui brame

Si fort sa moqueuse défense.

 

 

Le glaive bat l’air devant lui,

Traversant et retraversant

Le nuage amaril qui luit

Sous le groin terrible et porcin,

Dans une immatérielle absence.

 

 

Cessent les gesticulations.

La matière se régénère

Autour du gaz jaune en tension

Qui tombe en poudre délétère

Sur le sol brun… son dû, son cens.

 

 

La chair reprend autour du sang

Qui se dégage des blessures

Entrecroisées du glaive dur,

Sous l’œil surpris et impuissant

De celui qui se crut essence.

 

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Un sourire hiémal

Publié le 27 Octobre 2015 par Luc dans Gwellañ war 1985-1987

 

Ses douces lèvres se sont plissées comme un drap

Dont les blanches soieries eussent pu être éteintes ;

Son visage s’ouvrit dans une longue plainte,

Illuminé comme une rampe d’opéra.

 

 

Mais le froid qui s’en dégageait me pétrifiait,

Ouvert certes mais comme une tombe violée

Et il noie le feu de Saint Elme du piolet ;

Un souffle tombal glaça, fœtal, mes trois plaies.

 

 

Cheveux jais comme le jour sûr qui s’avance

Et je fume solitaire dans mon lit,

Que la nuit s’éclaire, amère comme la lie,

Ad vitam æternam dans le létal silence.

 

 

Ses lèvres rosées comme un cadavre embaumé

M’illuminaient de leur blanche splendeur spectrale,

Profondeur sculpturale d’un sourire hiémal

Aux senteurs humectées froidement parfumées.

 

 

Ses yeux brillaient de l’impureté pure,

Ils m’avaient consumé dans un éclair de rage

Et ses cils, droits et forts, restent là, tels des pages,

Un ciel soudain cuivré, sur sa peau, des dorures…

 

 

Ses oreilles couvertes par le voile sombre

De sa chevelure sont demeurées fermées

A mes lèvres sanglantes, par elle dévastées…

Le néant et moi, marasme de la pénombre.

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Fragile

Publié le 26 Octobre 2015 par Luc dans Ecrivain raté (du 4-1 au 27-8-13)

Je suis faible. Je suis fragile.

J’ai l’impression délétère

Que ce corps noueux, débile,

Coloré de blanche terre

Peut céder à tout moment,

Mû dans un torrent de bile,

Et se fracasser amer,

La graisse de mes tourments,

Sur le mur où s’écrasèrent

Tous mes espoirs amarils.

 

 

Je suis fragile. Je suis faible.

Chaque articulation sent

Un point de douleur affable,

Qui s’étire en remontant

Vers les côtes puis le cou,

Puis fait résonner mes râbles,

Couvre d’un brûlant onguent

Et sonne, rassasie de coups

Ma poitrine laide et faible.

 

 

Fragile, faible et aussi lent.

Alors tue-moi maintenant.

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Vampires

Publié le 23 Octobre 2015 par Luc dans Gisant

Dans l’inquiétude, je fuyais, comme toujours. Notre espace était clos et vaguement circulaire ou ovoïde, entouré d’un large couloir aux murs blancs semi-circulaires, au sol grisâtre strié de bandes d’une couleur un peu plus sombre. On m’indiqua de me réfugier avec deux autres personnes dans une pièce minuscule sur notre droite, puisque notre fuite se déroulait dans le sens des aiguilles d’une montre. Ce cagibi, il n’est pas d’autre mot pour le définir, ne devait pas excéder les six mètres carrés et était doté de lits superposés sur la gauche et d’un matelas posé à même le sol sur la droite, pas plus de trente centimètres séparant les deux.

 

« Hors de question », dis-je tout haut lorsqu’on me signifia que cette réclusion devrait durer au moins deux jours. Je me reculai donc alors que la lourde porte se fermait sur les deux autres personnes ayant accepté cette solution.

 

J’ignorais encore par qui ou quoi nous étions poursuivis, mais je sentais haut et fort monter le malaise en moi. Poursuivant ma marche rapide dans le cercle du couloir, j’entendis des bruits de pas de course derrière moi. Sur ma droite, je constatai la présence d’un petit escalier de bois en colimaçon par une porte de même couleur que le mur et qui eût été invisible si elle n’avait pas été très légèrement entrebâillée. Après avoir silencieusement refermé cette porte derrière moi, je montai les marches resserrées jusqu’à parvenir à un salon en corbeille dominant une vaste pièce. Tout l’espace était meublé dans le style années 20 : bois verni, rondeurs, lustres, tapis. Dans ma corbeille, à part quelques chaises et fauteuils, il y avait un solide et large bureau d’acajou, sur lequel étaient disposés un écritoire et une lampe allumée du meilleur effet. Entre ces deux objets décoratifs, un homme à l’attitude décontractée se tenait debout, une fesse distraitement posée sur l’épaisse vitre recouvrant le secrétaire.

 

Il s’avérait vêtu d’un frac très élégant, son chapeau claque replié à proximité de sa main gauche. De taille moyenne et assez mince, il arborait une moustache et des cheveux bruns frisés mal gominés. Son visage aux traits lourds ne tirait aucun bénéfice de cette pilosité sous-nasale et des rouflaquettes contenues, qui laissaient voir ses joues rebondis tant que mal rasées.

 

Ses yeux bruns me sourirent avant sa bouche alors qu’il se retourna vers moi lorsque je fis irruption dans la corbeille, n’ayant pas même le temps de scruter la grande salle en contrebas. Je n’aimai pas son regard, impression que me confirma bientôt son sourire : ses dents se trouvèrent être de petites pointes acérées et brunâtres, très resserrées et si nombreuses qu’elles ne pouvaient être humaines. Il allait se jeter sur moi pour me dévorer, cela relevait de l’évidence. Voilà ce que nous fuyions, de quoi nous devions nous protéger en nous barricadant !

 

Je fis le premier pas et me jetai sur lui dans l’inconscience de la peur qui me submergeait. Je me saisis de lui et avec une facilité que je n’aurais pas soupçonné, le soulevai et le projetai en hurlant hors de la corbeille dans la grande salle de bal ou de restaurant en bas. Il commença à s’effriter entre mes mains avant même que je l’eusse lâché et seule sa cendre noire silencieuse toucha le sol. Je me penchai à la balustrade et vis fourmiller en ma direction des dizaines de ses congénères.

 

Peut-être aurais-je mieux fait de me calfeutrer dans la pièce de protection, malgré la promiscuité que j’avais toujours détestée.

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Un temps avec toi

Publié le 22 Octobre 2015 par Luc dans Gisant

Tu es si belle, ma muse.

Je me mets en danger

Même si avec ruse

Je vais feindre de jouer

Les grimaces d’un singe

Roué, malin et âgé,

Mais pâle comme un linge

Quant à se retrouver

Un temps seul avec toi.

 

Tu fus toujours ma muse,

Du tout premier instant

Où tu ouvris l’écluse

De tes yeux clairs tremblant

Jusqu’à ce jour venteux

Où ta gaité de drame

M’a tiré comateux

Des toujours mêmes gammes

Des temps seuls avec toi.

 

Tu restes donc ma muse,

Amaigrie et joyeuse,

Dont la beauté qui m’use

Jusqu’à l’aorte creuse

Résonne encore, toujours

Dans le désir esprit.

Je m’anime haut et court.

Du danger je me ris

Pour ce temps avec toi.

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Electrocution

Publié le 21 Octobre 2015 par Luc dans Nerveux vieillard

Je pressentais qu’il devait arriver quelque chose. On m’avait tellement parlé d’un grand vaisseau bleu que je pouvais me l’imaginer dans les moindres détails : sa forme oblongue, sa taille gigantesque puisque son nez devait culminer à pas moins de mille mètres, tandis que son ventre rebondi, bleu turquoise et strié de lignes blanchâtres aléatoires pouvait ombrer l’ensemble de la ville. Je m’étais vite convaincu qu’il n’existait pas réellement : seul trônait au centre de la cité le vieux temple aux cinq arches à gueules de lions, construit en pierre beige et à la nef verticale. Le vaisseau bleu qui aurait dû se trouver là ne quittait cependant pas mon esprit. Je me sentais en son sein alors qu’il décollerait. La sensation de la prime accélération serait impressionnante mais attendue, prévisible. A ma grande surprise, une seconde accélération me clouerait sur ma couchette, désagréablement cette fois. La troisième intervenant peu après commencerait à brûler mon corps. La quatrième survenue encore plus vite ferait bouillonner mon sang, m’écrasant comme un marteau pilon. La dernière achèverait de disperser mes molécules dans la cabine confinée en faisant cesser la douleur.

 

J’en étais à ces réflexions sur l’issue fatale du voyage lorsque l’alarme retentit. Je me levai d’un bond et rejoignit la colonne d’urgence sur le chemin clair qui serpentait en descente raide vers un vallon désolé. Nos sacs bringuebalaient sur nos épaules, témoignant de la rapidité de notre course. Je croisai bientôt deux enfants noirauds, sales et dépenaillés, des Roms probablement. Le premier d’entre eux, le plus petit, âgé de sept ou huit ans et au visage à la fois large et fin, dégageait une forte odeur de roussi. Je m’accroupis face à lui et constatai que les pointes de ses cheveux châtains et bouclés étaient complètement brûlées. Je relevai également trois brûlures au deuxième degré sur sa main gauche, la chair blanche tachetée de sang détonnant avec sa peau bronzée. Son regard marron me dit que cela n’était rien par rapport à ce que le faisait souffrir sa cuisse gauche qu’il pressa à travers son jean en joignant le geste à la parole. Je jugeai rapidement que son état nécessitait des soins mais n’était pas suffisamment grave pour justifier une évacuation d’urgence, moins grave en tout état de cause que la situation générale que je subodorais en contrebas.

 

Je repris ma course en soulevant la poussière blanche du chemin cahoteux et débouchai dans une clairière de pierre où je vis deux de mes camarades de la colonne secouer des filins d’acier sombre tombés au sol pour tenter de dégager le corps d’un autre enfant plus âgé, quatorze ans peut-être. Ce corps était là, prisonnier à trois mètres de hauteur d’une grille métallique verticale irriguée par les câbles à haute tension tombés sur elle. Il était soudé en croix à la grille par les pieds et les mains, comme si son saut qui se fût voulu salvateur avait été suspendu, dans une position presque christique. Je voyais son visage aux traits grossiers à moitié recouvert par son épaisse chevelure brune et frisée, penché vers l’avant et sans plus aucune réaction dans les odeurs de chair brûlée. Il n’y avait plus d’étincelles lorsque mes compagnons réussirent enfin à faire passer les câbles par-dessus la grille. Mais le corps sans vie demeura soudé au métal de la grille, crucifié dans le paysage de pierraille grise et beige. L’agitation des secours n’y ferait rien. Il était mort.

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La mort d'un fils

Publié le 20 Octobre 2015 par Luc dans Nerveux vieillard

En ces périodes troublées, un milicien ennemi en uniforme sombre et casque lourd s’enfuit le long d’un chemin de campagne clair et poussiéreux. Notre groupe de partisans le poursuit à une vingtaine de mètres. Il longe à présent des bâtiments de pierre sèche, presque blanche, dotés de deux étages percés d’ouvertures sombres. Les rez-de-chaussée sont manifestement des remises désertes, tandis que les niveaux servent de grenier à grain ou à fourrage, ainsi que semblent l’indiquer les étranges portes noires affleurant le mur mais sans escalier ni échelle.

 

C’est alors que l’un des nôtres dépasse notre petit groupe de poursuivants en vélo, à vive allure. Il rattrape en quelques coups de pédales le fuyard éperdu, en riant me semble-t-il tandis qu’il nous laisse derrière lui. Il abat joyeusement le milicien dans le dos, qui s’effondre sans un cri. A l’instant suivant, avant même que le jeune homme à vélo, quinze ou seize ans tout au plus, se soit complètement arrêté après avoir tiré puis freiné, un bruit de tir fend l’air. Je vois une balle le traverser entre l’omoplate gauche et le pectoral droit, faisant jaillir une gerbe de sang en guise de bouquet final à sa course vive. Le jeune partisan pousse un cri strident, avec une voix que je connais, et chute face contre terre. Nous arrivons bientôt sur les lieux. Nous ignorons encore qui a abattu le cycliste, même si dans la mesure où plus aucun tir ne vient égailler notre petit groupe, il peut désormais paraître certain que l’un de nous, tirant en courant sur le fuyard, a involontairement abattu notre jeune compagnon.

 

Retournant le cadavre ami, je constate qu’il n’est autre que mon fils, dont la fréquence connue du cri m’avait alerté. Je garde sur le moment un calme complet, impavide même lorsque les deux corps sont chargés puis projetés dans l’un des silos à grains faisant face à là où les deux vies se sont terminées. Je vois la forme de mon fils à demi recouverte de farine, de poussière et de grains ; il a atterri recroquevillé en position fœtale et semble ainsi rajeuni. Je reconnais ses jambes potelées d’enfant. Avant de refermer le sas du silo, j’émets une demande à mes compagnons, celle visant à mettre une plaque, ou tout autre signe distinctif sur le silo aux fins d’identification des cadavres, en vue de leur enterrement digne quand la guerre sera finie.

 

On me répond unanimement qu’il n’y a pas de temps à perdre et nous nous dirigeons à marche forcée vers la ville après nous être délestés dans une cache forestière de nos armes et tenues de combat. C’est donc en tenue civile et légère que je traverse maintenant une rue, sur le passage piéton… et les forces viennent à me manquer. Mes jambes se dérobent sous mon poids. Il m’a suffi de penser une petite seconde à mon fils en m’étonnant concomitamment de mon calme, de ma froideur minérale, mon courage stoïque, pour qu’immédiatement je succombe, emporté par les tourments des émotions. Je pleure dès lors comme une fontaine, je marche presque en canard tellement le vertige, le tournis désordonnent mes mouvements avec le chagrin qui monte, et je sanglote « E., E., bande d’enculés, ils me l’ont tué », avant de m’écrouler sur le bitume, ivre de tristesse et empli de larmes, sans plus aucune possibilité de me relever un jour.

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Oublieux

Publié le 19 Octobre 2015 par Luc dans Nerveux vieillard

Les réveils dans la nuit aux éclairs bleuités

Se succédèrent. Je vis derrière les volets

La trouée lumineuse, cicatrice ratée

Sur chair blanche et noueuse, percer mon œil violet.

 

 

Alors je fus liquide, assommé allongé,

Me noyant dans un fluide aigre où je pataugeai,

Articulant mes membres, mes jambes affligées

Dans une sueur d’ambre, la pudeur dégagée.

 

 

La pauvre vérité dut dès lors voir le jour

Durant nuit alitée : tout au long de ma vie,

Je n’avais point cessé de perdre mes amis,

 

 

Ne m’étais efforcé de garder leur amour,

Par nonchalance, dépit, flemmardise, égoïsme.

Me dire dans l’oubli et le rien serait un truisme.

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La fuite

Publié le 12 Octobre 2015 par Luc dans Nerveux vieillard

Nous étions faits comme des rats, prisonniers dans une pièce du second étage d’un appartement duplex. Je voyais en bas de l’escalier la lumière sortant de la cuisine, d’où provenaient des éclats de voix. Ces derniers ne laissaient guère de place au doute : nous allions être exécutés sous peu.

Il fallait s’évader, il n’était nulle autre solution.

 

L’un des hommes dont le visage était mangé par l’ombre de la clarté déportée du plafonnier pénétra dans notre pièce et se saisit d’une femme qu’il fit lever en la bousculant puis descendre l’escalier devant lui. Je passai une tête et constatai que les assaillants venaient de fermer la porte de la cuisine en bas.

C’était notre chance. Avec l’autre femme de la pièce, nous n’eûmes besoin d’aucun mot pour nous mettre d’accord sur la nécessité d’agir vite, maintenant. Nous dévalâmes l’escalier à pas de loup, et j’ouvris délicatement la porte de l’appartement située juste en face de la porte close de la cuisine d’où s’épandait le son violent de l’interrogatoire de celle que nous nous apprêtions à abandonner à son sort.

Gardant le gros trousseau de clés avec moi, je laissai l’autre femme refermer doucement la porte et nous courûmes dans les escaliers entièrement grillagés qui nous permettraient d’atteindre le bas de l’immeuble. Nous descendions tellement vite que nous devions accrocher au passage les deux solides poteaux de chaque palier, afin d’éviter d’emplafonner les murs. Je me sentais d’une légèreté folle, mes pieds ne touchaient plus le sol dans cette chute à peine contrôlée et seule la force de mon bras droit mis en crochet sur les poteaux évitait la catastrophe.

Le bruit de notre course sur les caillebottis métalliques avait néanmoins dû être trop fort puisqu’au bout de trois étages descendus, nous entendîmes des cris de fureur et une porte claquer violemment. Nous étions poursuivis désormais, notre absence avait dû être remarquée par nos agresseurs.

 

Nous arrivâmes essoufflés dans le hall vitré de l’immeuble et décidâmes de sortir par une issue secondaire, au cas où l’entrée principale aurait été gardée. Je tentai de refermer derrière moi cette mauvaise porte en vieux PVC transparent mais jauni par le soleil et le temps. Je perdais du temps. J’essayai toutes les clés mais aucune n’arriva à faire fonctionner la serrure. Tant bien que mal, je faussai les gonds et courus vers l’est tandis que je relevai immédiatement que l’autre femme ne m’avait pas attendu et cavalait vers le nord. Notre séparation était-elle une bonne idée ? Je n’en savais rien mais décidai de persister dans mon idée originelle. Je sentais le souffle de nos poursuivants sur mes talons, et l’avenue sur laquelle je courais était un véritable piège. Je m’engouffrai donc dans la première rue à droite avant de reprendre à gauche à la suivante, en parallèle donc à l’avenue que je pouvais voir sur ma gauche à chaque nouvelle rue perpendiculaire. Ciel gris et béton gris, immeubles de verre, de plastique et de métal… non, j’étais encore trop proche de l’artère, trop facile à repérer. Une fois encore, je pris donc à droite tandis que malgré le rythme élevé de ma course, je ne fatiguais absolument pas, puis encore à gauche où une rue plus calme obliquait légèrement vers le sud. Je passai un jardin public, puis le trottoir s’élargit devant l’entrée d’une vaste résidence dotée d’un grand portail couleur rouille.

 

Là, l’abattement me saisit. La fatigue aussi. Je m’arrêtai, les mains sur les genoux et m’affalai sur un fauteuil de camping en toile, posé à côté des containers à poubelles. Je me saisis du bout de la main d’une vieille couverture mangée aux mites, marronnasse, et m’en recouvrit, ainsi que d’une casquette de poulbot hors d’âge dont je me couvris le chef.

Je m’aperçus alors que mes assaillants soit avaient stoppé la poursuite, soit s’étaient fourvoyés dans une mauvaise direction.

Je m’aperçus alors de l’âge de la peau de mes mains, maculées de taches de vieillesse, couvrant mes doigts déformés par l’arthrose.

Je m’aperçus alors au mouvement désordonné de mes lèvres supérieure et inférieure sur mes gencives que je n’avais plus de dents.

Je m’aperçus alors que je n’étais un petit vieux assis sur un pliant en bordure d’un jardin public.

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