- allégorie autobiographique -
Toute ma raison me dit que rien n’est possible, et par-là, que tout est fini, perdu, achevé et résolu. Elle ajoute avec un sourire narquois, se réjouissant par avance de ton échec à venir, tel qu’elle avait déjà prévu le précédent :
- Va le rejoindre, ce mari que tu aimes tant ! Manifestement, vous ne vous êtes pas tout dit et avoué. Vos corps n’ont pas encore la parfaite connaissance d’eux-mêmes. Vos activités sont heureusement communes ; la réussite est… inévitable.
« Traître raison », hurle mon cœur, lequel sait fort bien que le message rationnel portant mot d’ordre de jonction doit être transcrit de la manière suivante :
- Vous pouvez vous écœurer l’un l’autre plus encore tellement vos différences d’âme sont fondamentales et évidentes. Vous pouvez vous dégoûter de votre incompréhension sensuelle de manière plus établie, plus définitive qu’aujourd’hui. Seules les sorties du week-end, bien ordonnées et voguant sur un dépassement superflu, une imitation de vie, vous rassemblent, sans âme vraie, tandis que la semaine se passe douillettement, confortablement, bourgeoisement et sans passion, en commettant l’aveuglement de l’extase commune aux rires d’enfant, ciment illusoire. Dès lors, la réussite de ma tactique de destruction définitive de votre couple est inévitable, peu important que je tire ou non les marrons du feu.
Traître raison… et traître cœur, qui défaillissez à ce moment précis… Qu’il ne reste que mon âme.
Disparues, enveloppe charnelle trop inconstante, et raison par trop mélancolique, extasiée et maniaque… Mais la contradiction demeure : mon âme souhaiterait te débarrasser de moi, mais elle t’appartient, et choit sans volonté sur le sol, patiente et sans fierté. Humilité.
Ma vie s’étiole dans un vide paradigmatique… Je pars de considérations génériques pour m’élancer dans de violentes diatribes contre tout et rien, dont le seul mérite est d’à la fois faire rire et grincer. Pour autant, j’ai toujours échoué dans ma volonté sous-tendue de faire partager mes questionnements à défaut de mes vues. Ils couinent comme des porcs à mes saillies mais ne se remettent pas en cause… à un point tel que je finis par me demander si je suis dans le vrai.
Non, une femme, une maison, un chien, un monospace et des enfants… Ce serait trop terrible. Je ne peux pas avoir tort.
Le confort matériel et intellectuel, le gras du corps et l’amollissement des chairs… Les boyaux de la tête languides… Je ne peux me méprendre.
La fin de la passion, un amour du confort et d’un rapport mensuel plutôt que de l’autre, jadis être aimé… Je ne peux me tromper.
Sa propre dilution et celle de l’autre dans l’avenir peu engageant de ses rejetons absurdes parce que sans but ni idée… J’ai raison.
Cette vie est absurde et je balaye sans hésiter ses partisans peu portés à l’effort du sens. Le sens ! Je n’en veux pas s’il ne s’agit que d’accumuler biens matériels et procréer. Je le refuse si ma passion doit mourir avant un corps voué à la putréfaction lente du confort. Le sens n’est pas l’assentiment général. Tu as été en sens interdit donc, et ma passion s’étiole.
Ma vie meurt.
- fin de l’allégorie autobiographique -
Sombre amour décidément, docile et dénué d’acide quand la nudité commence de se masquer de robes de chambre ou de pyjamas.
Sombre bonheur qui jette ses adeptes mandaromiens dans un ersatz de vie culturelle (un ciné ou un théâtre, un bouquin et un restau par mois), une culture enzymatique de l’autosatisfaction béate et une ouverture d’esprit fondée sur les lieux communs d’une presse papier et télévisuelle par trop indigente… mais il est heureux quand même, et cela se lit dans les sourires vains des visages qui le décomposent.
De temps à autre, le couple heureux prend le temps d’un voyage, organisé ou en croisière, ce qui n’est pas répréhensible par nature, mais il s’agit ici de la manière de le vivre. Je ne m’étendrai pas sur Montaigne dans sa critique curieusement moderne du comportement de nos compatriotes à l’étranger, mais mon courage s’amenuise pensant au soleil adipeux qui fouille sous les épidermes de cire lorsqu’il cherche à assouvir ses instincts brûlants. Le voyage, c’est aussi le début de la fin, le raccommodage tardif, mais qu’importe, le moment n’est pas encore venu.
- allégorie autobiographique (suite) -
Mais non, j’y reviens… Je n’ai jamais aimé ta conception du voyage : d’une très remarquable bourgeoisie dans le mode de vie quotidien, tu voudrais te transformer en une rebelle anarchiste, indisciplinée et sans mesure sitôt loin de tes bases confortables et formalistes. Finalement, tu n’es qu’une “bo-bo”, qui piétines les convenances, fais preuve d’irrespect dans une frénésie incontrôlée.
Tu n’aimes pas ma lourdeur empreinte de gravité, mon absence de soutien. Je n’aime pas la lourdeur de tes besoins irréfléchis de partir « n’importe où pourvu que ça n’ait rien à voir », la gravité sans fondement de tes actes... et ton absence de soutien.
J’ai envie de rire lorsque je songe que j’ai peut-être commencé à t’aimer lorsque nos relations ont engagé leur processus de dégradation ! Mais non... Je n’ai pas construit de pont sur l’avenir avec toi, préférant l’éternité de l’instant vécu de tout temps.
Mais alors... Quelle terrible chose provoque cette douleur ? Quelle est cette masse qui vient frapper ma poitrine avec tant de régularité ? Qui est le boucher qui m’équarrit vif, qui passe des barres de métal entre mes côtes et imprime un mouvement de levier ?
Ma cage thoracique s’élève plus difficilement. J’ai besoin de mourir.
- fin de la suite de l’allégorie autobiographique -
Un voyage, une cabine isolée concrétisant l’appel du sexe, long et douloureux. J’ai pu vivre de ces bals engoncés dans les convenances, autant de meurtrissures pour un esprit qui eût pu aspirer à la liberté de pensée [1]. J’ai vu ces ambiances feutrées ou gueulardes, ineptes quoiqu’il advînt, dans lesquelles l’observateur non averti n’eût pas décelé la présence des manches à balais astucieusement disposés à la verticale en plein centre des sièges. J’ai su avant de connaître les snobinardes poufiasses, sexuellement vestimentaires, dont les apprêts valaient bien le dialogue, et ressenti la tristesse de me voir seul tandis que ces vulgaires paradaient, pétris d’une fierté injustifiée… Ceux-là ne perçoivent du sexe que les lointains remugles d’un devoir conjugal obsolète.
D’autres couples sont heureux dans la débauche, la déviance devrais-je écrire, sans quelque connotation morale que ce soit. Et pourtant, le substantif « bernicles » leur convient mieux que « libertins ». On trouve toujours une certaine norme, même dans ce qu’on considère benoîtement comme de l’anomie (ou anémie intellectuelle)… Ce couple, échangiste ou bardé de cuir clouté voire de latex le plus souvent, prend le sexe en lui-même, et s’en amuse volontiers. De ces gens à rire pendant l’acte (théoriquement) d’amour, lequel n’a pourtant, je l’évoquai par avant, rien de drôle. La sexualité débridée est un ciment du couple, puisque ménageant un espace uniquement jouisseur (donc facile et confortable et portant peu à la réflexion), sans rancœur, jalousie ni mélancolie…
En un mot, un espace désinhibant… Apparemment du moins : c’est là vouloir, par une analyse simpliste et de toute façon erronée, masquer les conséquences d’une conduite visiblement anormale eu égard aux sentiments naturels de possession exclusive et de mesquinerie de l’être humain en couple. On supportera gaillard d’avant les frasques, se permettra toutes les excentricités, aura l’impression de liberté… mais dans une prison à visage phallique ou vulvaire pour celui des deux qui veut moins que l’autre se livrer à l’orgie des swingers dans un certain lifestyle. Le supplice de l’estrapade représente ce mode de vie en ce que le mouvement s’accélère à la descente, ralentit à la remontée, dans un va-et-vient mortel, sensiblement proche du coït… La chute vers le liquide, quel soit-il, est un autre point commun, la seule certitude demeurant celle de la mort finale et inévitable.
J’ai de même vécu de ces expériences, en couple : cela ne se supporte jamais longtemps. Il s’agit en quelque sorte d’un long exercice physique, d’un départ à la découverte des limites du safesex, un voyage périlleux le long des muqueuses qui sont autant de parois glissantes où la faiblesse de doigt fait choir l’homme, tout d’abord dans les abîmes du doutes, mais aussi et surtout de haut. Jamais le mot « escalade » ne s’est aussi bien adapté à l’amour ; l’homme devient l’alpiniste de la montagne bouquetée au front troublement nuageux qu’est la femme. Ce couple additionne les haines secrètes dans un bonheur un peu moins profond que leurs sensations, le puits abyssal de l’ignorance dans lequel ils se jettent avec délectation et sans résipiscence.
Je revois tous ces orgasmes honteux en ecmnésies, et l’hallucination de l’érotomanie me saisit une fois de plus à l’audition de cette voix, même grippée en l’occurrence, qui me grise dans l’accumulation de souvenirs d’érections menues et fugaces lors de nos discussions de fin de soirées, plus avinées qu’enfiévrées cependant. Combien d’occasions n’ai-je pas saisies de me livrer à la grande bouffe du sexe avec elle, si bien sûr elle n’attendait que cela, mais mon corps d’athlète me hurlait gigantesque plus que ne me soufflait de faire le mort, de dormir, simplement, à son côté.
Dans l’ébauche frénétique des sexes entremêlés, verge violacée ou grandes lèvres flasques de fatigue, le sommeil est réparateur, mais surtout un augure de l’échec à mesure qu’il devient plus important…
[1] Ne voyez ici, mais alors pas du tout, aucun hommage au gaucho (s’agissant de lui, polysémie absurde qui me réjouit tout particulièrement !) de la pampa anti-citoyenne, j’ai nommé l’illustre et météorique gagnant du concours des idiots du village, el señor Florent Pagny.