28 juillet 1995
C’est dans la crainte que je tourne autour de l’ombre et de la
fraîcheur ; vers la première, je lance des appels que nulle réponse ne vient faire cesser. Les bouffées de fraîcheur lacèrent ma gorge qui cherche le liquide. Une fois de plus, je me trouve
à la croisée des chemins, frappé à toute botte par l’indécision. Vais-je reprendre ma course dans les alizés ensoleillés et phosphorescents ? Vais-je à nouveau m’asseoir dans l’ombre, dans
une quiétude apitoyée, beuglant mes prières à quiconque pour une simple réponse ?
Il aurait fallu choisir le bac à légumes, mais les yeux fuient sans
se retourner. Je suis affolé cette fois. En cet unique instant, je m’étais préparé au départ, en éprouvais même, par images stroboscopiques et syncopées, une certaine joie. Le voyage m’attendait.
Mais soudainement, la destination se fait floue, s’irise en chaloupant dans le bleu du plafond. Je rame encore amarré, un corps découvert par la marée, un corps mort mouillé au large de la cale
où se croisent les chemins . Je tourne, scrute… Le découragement me
gagne car l’ombre demeure sourde, mais accueillante, contrairement à l’autre soleil qui ne cesse de me martyriser les tympans, faire chuter les larmes de mes tempes. Je n’ai pas peur mais une
angoisse suffocante me tenaille invariablement, et m’astreint finalement à l’immobilité. Où trouver une solution ? Je suis seul, mélangé aux cigales, aux cors et violons qui entonnent
régulièrement une apologie de la chute. J’appartiens dès lors au bruit ambiant, car comme lui je suis régulier. Je suis un silence quand je ne me suis qu’un hurlement intérieur, de nervosité
certainement.
Choisissons l’ombre… J’en ai retiré le premier pied sitôt que mon
appel n’a rencontré aucun écho… Cela est coutumier.
Allons vers le soleil donc ! Avec ce petit astre roi, j’ai fait
l’effort de me faire autre (ou foutre, ce qui revient au même…), mais on profite de ma faiblesse. On me tance pour ce que je n’ai pas fait, ce que je n’étais pas sensé faire, pour ne pas avoir
fait ce qu’on ne m’a pas demandé de faire. Un adepte de la facilité tel que moi ne pouvait s’y tromper : on m’héberge, me nourrit, l’arme
était trop belle pour que l’on ne s’en servît point. Ils ne s’en sont pas privés. Mais qu’importe, l’esclavage, même simplement intellectuel, possède une fin, une voie sans issue à son
chemin.
Chemin… chemins… Tiens, tiens… après mes folles envolées sélénites,
je m’y retrouve, sur ces chemins… toujours aussi désemparé. J’ai suivi les unions des autres comme je précéderai, dans l’apparence seulement, le cortège de mon enterrement ; là encore, je ne
ferai que suivre. Mais alors, je me ferai engueuler pour quelque chose que j’ai fait…
Illusoire remugle d’adolescence que de prendre cette noire image du
chantage à la mort ! Adepte de la facilité vous disais-je ! Ne pouvant choisir (un choisisseur sachant choisir ne choisit jamais sans… qu’on lui donne le choix, justement), je vais
rester là, en rade, attendant la prochaine tempête, qui surviendra lorsque des unions rompront ma solitude à demi-voulue, tout à l’heure… Alors j’affronterai les éléments, comme d’habitude, ferai
volte-face et le ménage, mettrai la table et ma fierté de côté, ravalerai la façade et ma bile, tondrai la moitié de mon crâne et la pelouse. Je crame dans des senteurs de pétard mouillé, comme
les yeux de ces unions.