Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise (2.63)

Publié le 27 Novembre 2009 par Luc dans L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise

  Et pourtant, a re vras ne reont ket toud al labour [1], soupira-il, considérant qu’en tout état de cause, l’application par les cerveaux embrumés constituant l’essentiel de la population d’une entreprise, des adages « Dans le doute, abstiens-toi » et « Prudence est mère de sûreté », était une évidence. Donc, malgré sa taille et les préjugés y afférents, la déférence de la standardiste était acquise.

  Parvenu en haut des marches, il passa son badge « visiteur » dans la fente du lecteur magnétique afin d’ouvrir la porte qui s’opposait à sa progression.

  Une sonnerie électrique non suivie d’effet, puis une autre, lui firent rapidement comprendre que son type de badge ne lui autorisait pas l’accès à cette partie du cénacle. Le court répit qui lui avait été offert par l’itinéraire très simple devant mener jusqu’au lieu de l’entretien venait de s’achever dans la honte de devoir timidement frapper à la porte close. Les trois chocs du cartilage articulaire des deux premières phalanges de son index droit sur le contreplaqué se perdirent dans le silence, à son grand désarroi. Il réitéra fébrilement sa tentative, laquelle se révéla cette fois couronnée de succès. Une grande fille blonde lui ouvrit la porte en souriant. Il se présenta rapidement, et pour la première fois de la journée, il lui parut que la chance versatile avait changé de camp : la jeune fille connaissait son interlocutrice et semblait toute disposée à le mener vers elle. Il entra donc à sa suite dans un grand bureau baigné de lumière où l’attendait une femme d’un âge sensiblement similaire au sien. Il fut intérieurement surpris d’avoir affaire à une femme pour ce type d’entretien (il s’agissait en fait d’une Pascale A., la peste soit des prénoms mixtes !).

  La voix se faisait douce comme la chaleur ambiante, mais il se raidit, songeant à son retard. Il bredouilla les mâchoires serrées quelques explications en faisant retomber la faute sur les multiples inconséquences qu’il avait pu observer dans la gestion de ce rendez-vous. La jeune femme en face de lui ne sembla guère goûter cette auto-déresponsabilisation, et le jeune homme, se souvenant des paroles identiques du traître PR, grogna en aparté :

 

- Qu’ont-ils tous à ne jamais accepter

le fait que je n’y suis strictement pour rien !!! -

 

  Décidément cet entretien ne commençait pas comme ceux qu’il avait eu à subir lors de ses expériences précédentes. Les succinctes présentations d’usage promptement expédiées, la jeune femme entra directement dans le vif du sujet et lui explicita le déroulement de l’entretien. Elle lui soumit tout d’abord un test, lequel précéderait l’inévitable dialogue.

 

- Un test de recrutement ?! -

 

  … s’épouvanta-t-il en son for intérieur, parfaitement ignorant à ce jour des dernières évolutions de cette science si étrange, et naturellement des réponses attendues par son interlocutrice. Elle l’invita à répondre rapidement, de manière instinctive plutôt que réfléchie, ce qui l’angoissa plus encore : la spontanéité lui était un concept étranger et aberrant. Une demi-heure lui était laissée pour répondre à la batterie de question qu’il lui paraissait déceler dans le tas de feuilles disposé sur son quart de table ronde, en dessous de laquelle il lui paraissait que ses pieds s’enfonçaient jusqu’à mi-mollet dans cette moquette tellement typique des sièges sociaux.

  Il s’agissait du 16 PF 5. La sonorité informatique de cette épreuve dont il lisait les signes incompréhensibles sur l’en-tête du document l’effraya. De ce simple nom pouvaient se déduire toutes les conséquences de la systématisation du travail, de la nécessité d’entrer dans des grilles représentant les patterns idéaux de la personnalité recherchée pour tel poste. La personne n’était plus recherchée pour ses compétences, c’était désormais évident, mais pour son profil inné devant correspondre à l’idée qu’avait le recruteur des qualités nécessaires pour occuper les fonctions auxquelles prétendait le postulant.

  Là encore, il se méfia : à ses yeux, tous ces tests étaient fondés sur des aberrations tels que le quotient intellectuel (simple vérification de facultés logiques : comme si la logique avait jamais résolu ou créé quoi que ce soit !), et pire encore sur le quotient émotionnel, épidémie américaine consistant en une encéphalite spongiforme bavarde, qui, si elle devait prospérer, ferait autant de morts que le hamburger – Coca Cola, auquel le jeune homme préférait de très loin le Breizh Cola.

  Il éplucha ce test 16 PF 5 de R.B. CATTEL : un test de personnalité en seize échelles primaires, se séparant en quinze dimensions primaires de personnalité et une échelle de raisonnement. Ces échelles venaient se regrouper en cinq facteurs globaux : extraversion, anxiété, dureté/intransigeance, indépendance et contrôle, classification personnelle de CATTEL des fameux facteurs « extraversion – névrosisme – ouverture – conscience » [2].

 

 

  Dans un tel contexte, le curriculum vitae ne comptait plus d’importance, sinon celle de pouvoir démontrer d’un certain formalisme, d’une certaine rigueur ; la lettre de motivation ne se justifiait plus que par l’opportunité d’une analyse graphologique, laquelle permettrait de classifier également le toujours chômeur dans des grilles traduisant sa personnalité. Dans le délire qu’il commençait à soupçonner de la part des recruteurs de Dame E., consistant dans une confiance aveugle dans les tests de recrutement, aveugle parce que les compétences internes s’avéraient insuffisantes pour procéder à l’analyse critique de ces recettes magiques, l’exégète s’aventura encore à mentir, à offrir le schéma intellectuel et émotionnel que l’on attendait pour le poste et non pas de lui. Il répondit aux questions du test avec toute la mauvaise foi et l’intelligence dont la nature l’avait doté, et ce fut dans une grande proportion un véritable succès. Certaines questions étaient évidentes pour quiconque avait lu, avait exercé sa curiosité en tous domaines et en avait retenu quelque bribes. D’autres faisaient plutôt appel à sa peur maladive, son angoisse morbide que seule la rigueur pouvait faire taire.

  C’est en effet méthodiquement et avec rapidité qu’il identifiait les pièges, mais inscrivait parfois une réponse pouvant donner quelques failles bénignes à l’examinatrice. Donne au chien un os à ronger et il te laissera en paix.

  L’être faible et porté à la mélancolie qu’il était au fond ressortait du test ò υīκώυ (pardon, victorieux), froid calculateur, bourré jusqu’à l’odieux de self-control, dur et intransigeant, rigoriste : un vrai juriste, pour l’humanité duquel il avait laissé filtrer un brin d’angoisse, propice à la remise en cause personnelle (c’est à dire la peur de Dieu en d’autres termes) tant aimée des diacres du recrutement.

 

  Il restait à confirmer lors de l’échange, à ne pas se déconcentrer après cette victoire du mensonge. Chacun sur un quart adjacent de la table ronde : pour elle, il s’agissait d’instaurer une kinesthésie qui favoriserait son évaluation du candidat ; pour lui la situation ne faisait état que d’une gênante promiscuité. Les mains posées sur les cuisses pour rendre invisible le tremblement qui les agitait, le canoniste ne respirait plus et répondait mécaniquement aux questions posées, en éludant ou écartant par la digression celles qui pouvaient évoquer sa vie personnelle. La taille gigantesque de sa « bulle » presque palpable se confondait… logiquement… avec sa diction précise et son vocabulaire surveillé, son absence remarquable de mouvements, à l’exception peut-être de ces intenses serrements de mâchoires qui augmentaient encore son caractère froid et inquiétant.

  Mais les questions posées ne ressemblaient en rien aux échanges de mondanités des entretiens antérieurs. Au-delà de l’évidente tentative d’entrer en lui, de le lire à livre ouvert, ce qu’il refusait de toute force de peur de faire resplendir l’accablant néant qui l’exclurait du monde saint car actif, certaines questions relevaient du domaine professionnel, et réclamaient une réactivité sans faille, alors que le canoniste n’aimait travailler que seul, dans une cellule silencieuse, et au seul rythme dont il avait été doté de nature. La discussion filait donc bon train, et il commençait même de se sentir à l’aise, lorsque soudain :

 

-         Could you tell me anything about your previous job ? What were your tasks ?

-         Euh.. (Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Qu’est-ce qu’elle me fait, là ?) … Hem… ‘m sorry ? 

-         Beyond my prior questions, I just wonder about your know-how in english language, while taking into consideration the international dimension of our Group.

-         Aaaah, je compr... Yes, I do understand, but leave me a few minutes to warm-up, and that will get much better afterwards !

-         All right, relax for ten minutes, have a coffee, smoke a cigarette, and when you’re back, you’ll tell me what are the EEC rules as regards mergers.

 

  Les fusions dans le Traité de Rome, et par voie de conséquences les ententes et abus de position dominante ! Et en anglais de surcroît ! Malgré la surprise, cette douche écossaise causée par la brutale intervention de la langue anglaise au cours d'un dialogue qui commençait de devenir chaleureux, et grâce à l'alchimie du café joint à la cigarette, il revint vers la femme après les dix minutes gracieusement accordées, d’une tête à cet instant bien ordonnée, de laquelle allaient fuser toutes considérations habiles sur l'inanité du droit communautaire de la concurrence. Il s'attabla, et commença sa réponse avec plus d'aisance que précédemment :

 

-         Well, hurray ! Here we go

-         Entschuldigung ! - coupa-t-elle - Was könnten Sie mich hinsichtlich des Kündigungsschutzgesetzes sagen ? Was denken Sie von der weltweiten Liberalisierung der Märkte ? Sind Sie der Ansicht, daß das deutsche Gewerkschaftsmodell an die französischen Verhältnisse angepaßt werden könnte ?

-         Holy sh.. ! ... Wie bitte ? Euh... Ei ! Früher hatte ich keine Probleme, Deutsch zu sprechen. Aber es sieht ganz so aus, als hätte sich das inzwischen geändert.! [3]

 



[1] Les grands ne font pas tout le travail (proverbe breton).

[2] Pour une analyse psychologique de ce test, V. Célia VAZ, « 16 PF 5 », article du 5 février 2003, Université de psychologie Lumière Lyon II, ainsi que le système d’interprétation développé par Pierre Gagnon (© 1992, 1997).

[3] « Avant, je n’avais aucun problème pour parler allemand, mais je dois admettre qu’aujourd’hui, ce n’est plus tout à fait la même chose ! »

commentaires

Traders

Publié le 27 Novembre 2009 par Luc dans Insomnies (du 1-8 au 24-12-09)

NDLA : la réaction des "marchés" à la faillite des nains de Dubaï a inspiré ce texte.

De petites taches bleu nuit s’évanouissent peu à peu, au-dessus des stries violacées de l’aurore, dans les nuages affolés. Ils sont tous de taille modeste, un peu rondouillards, les cheveux trop longs. Pris individuellement, ils ne seraient que souffre-douleurs pacifistes, presque ridicules dans le ciel clair et trop lumineux.

 

Le problème survient à partir du moment où ils unissent leurs faibles forces respectives, où ils viennent s’agréger dans leur panique du soleil à venir, dans leur course vers un Panurge inidentifiable. Ils brisent la belle et paisible harmonie du matin et déchaînent l’ire du vent fantasque. Certains froncent les sourcils, désormais oublieux de leur aveulissement originaire, et se noircissent les traits de manière agressive, cassent leurs formes dans un art consommé du camouflage. D’autres demeurent simplement suiveurs, dans une blancheur irrésolue.

 

Tous courent en tous sens, selon l’humeur à jamais imprévisible des vents, inconscients de leur absence de direction réelle et de leur anéantissement à venir. Ils courent et agissent, réagissent à tout stimulus extérieur, température, souffles, courants marins, rotation de la lune et du cou de Dieu. Ils volètent comme pucelles effarouchées au moindre fracas, et tels qu’elles, ils pleurent souvent à froides gouttes à chaque rencontre les mettant trop sous tension. Comme les pucelles dans les champs lors du passage lointain d’un inoffensif hobereau, ils s’agrègent pour mieux se protéger, pensant constituer ainsi le corps unique d’une nation pour laquelle le qualificatif débile semblerait le mieux adapté.

 

Les traders sont les nuages qui obscurcissent notre ciel, les vestales anadyomènes d’un culte dément.

commentaires

Encore

Publié le 26 Novembre 2009 par Luc dans Un beau rêve (du 1-8-00 au 31-3-01)

Mes doigts tournent et retournent sur ce dont sortent les mots. J’ai voulu t’appeler, dans la fraîcheur descendante de la nuit tombée, mais aucun écho, aussi subtil fût-il, ne m’a répondu.

 

Mes doigts tournent et retournent sur ta peau, gravant ma vanité et ma maladresse. J’ai encore voulu t’appeler, mais les mots se sont pétrifiés dans la gorge.

 

Mes doigts tournent et retournent les profondeurs de mon esprit, qui cherche le moyen de se cacher sa peur terrible. J’ai désespérément voulu t’appeler, mais la douleur était trop grande pour penser à l’action.

 

Mes doigts tournent et retournent la terre de la tombe que nous foulons. Accroupi, une pincée de terre sèche s’écoule sur mon propre cercueil, de mes propres mains. Alors le regard triste, j’ai encore voulu t’appeler, mais les cliquetis des cailloux sur le bois verni m’en ont dissuadé.

 

Mes doigts tournent et retournent l’ombre déformée que je suis en ton absence. Alors, sans que le « mais » du chêne et du chanvre m’en décourage, je t’appelle. 

 

A Pascale

commentaires

Enragé

Publié le 25 Novembre 2009 par Luc dans Deuil emmuré (du 4-5 au 27-7-00)

Rien ne vient. Lorsque je regarde le chemin qu’il reste à faire, le son éteint puis soudain cristallin du cor sombre m’étreint. Une sourde vibration sans régularité apparente tournoie sans cesse autour de mes yeux, l’insecte nuisible et bourdonnant... Je réfrène alors mes mains, tellement tentées par l’agression des tempes, crispés dans une vaine réaction de violence, et continue ma route.

 

Le visage et le crâne blancs à en pâlir, j’avance de profil, les yeux vides et exorbités, et surtout, et surtout la violence brute, non dissimulée, dessinant ses dents avides au travers du rictus douloureux. J’ai même cru deviner, au-delà des gouttes de sueur émaillées en satellites fugaces, l’explosion de mon cerveau.

 

Ne celant plus ses traits désormais, le ciel violet se colore maintenant de teintes orangées, et sur le chemin annone sa souffrance le même visage enragé.

commentaires

Délitement

Publié le 24 Novembre 2009 par Luc dans Rupture (du 1-11-99 au 26-4-00)

Il me semble que la vie s’éloigne de moi, sans qu’un effort soit accompli de part et d’autre pour se retenir. Elle s’évade en douceur, mais reste suffisamment en vue pour me la pourrir. Elle s’évanouit, mais exhale encore assez de parfums doux amers pour venir chatouiller mes narines aspirant au sapin. Elle disparaît tout en s’assurant de son pouvoir ordonnant à mon sens tactile. Sa présence interrogeante comble l’obscurité qui seule se lit derrière les fenêtres. Je ne saurais retourner vers elle, comme si rien n’était advenu, alors qu’elle se rappelle à mes pires souvenirs d’une voix suave embaumant l’air alentours. La vie me pourrit les entrailles mais demande son sourire.

 

Je me prends maintenant à songer à la mort, plus et mieux que jadis. Je ne perçois aucune solution, aucun avenir ni consensus trouvables. Un thème, s’accommodant de mille variations, plus ou moins édulcorées, de cent arrangements baroques et futiles, relève de la certitude : refuser de continuer ainsi. Après, le vide obéré du pavot aberrant. La mort.

 

Avant elle (pourquoi diable vie et mort sont-elles féminines, de même que fin ? Les mots masculins sont moins simples, administratifs tels que décès, romantiques comme trépas), j’aurais aimé faire place nette, réduire mes défauts jusqu’à rendre en dernière copie une magnifique esplanade de kevlar, lisse et antistatique, mate et humble. Pour cela, il faut se dépenailler l’âme, correspondre aux critères sociaux de la respectabilité posthume (moi qui n’ai jamais rien respecté !). Peine perdue, je ne suis pas né beau : dans la mesure où la mort n’y fera pas grand chose de plus ou de moins, il se trouvera toujours quelqu’un pour en rire après moi, absent, impuissant à lui couper l’herbe sous le pied.

commentaires

Rêve 76 David Bowie, Pembroke, Béatrice, le scolopendre et moi

Publié le 23 Novembre 2009 par Luc dans Insomnies (du 1-8 au 24-12-09)

J’ai longuement hésité entre les deux voies de transport devant me mener de Pembroke jusqu’à la verte Erin. D’un côté, un ferry classique, et de l’autre un navire étrange, gris métallisé, monté sur deux hydrofoils le faisant ressembler plus à une soucoupe volante qu’à un bateau. Le quai qui lui est attribué me fait penser à ceux des bases de U-boot de la seconde guerre mondiale. Sa taille gigantesque rend encore plus petits les hublots jaunes en sertissant les coques supérieures.

 

Je crois bien que je vais prendre cet engin inhabituel, malgré la répulsion que m’inspirent en général le progrès technologique et les yeux vides de sens qui vont avec. Dans la tourmente d’une baudruche ventrale prête à se rompre sous la tension d’abus écœurants et répétés, dans la remontée aillée de l’hypogastre révolté, j’ai fini par choisir le progrès, réprimant dans le même temps un rot sanglant.

 

A ma grande surprise, l’on peut accéder au navire sans descendre de sa voiture et aller se garer directement sur la place attribuée, le vaste parking intérieur me rappelant les cinémas américains en plein air, les mêmes bornes sonores, la même impression de totale vacuité… Heureusement que le voyage devrait être court. A mes côtés se gare un véhicule dans lequel deux hommes devisent sur l’image de soi dans la société. Si je ne reconnais pas le passager, le conducteur est indiscutablement David Jones, plus connu sous le nom de David Bowie. Ce n’est pas la première fois que nous nous rencontrons, et j’en profite pour lui glisser discrètement que tout de même il avait fallu patienter quinze ans entre deux albums de qualité, Scary Monsters et Outside, celui-ci ayant précisément quinze ans, alors à quand une nouvelle production ? Ses yeux vairons se tournent vers moi et son sourire m’agonise de joie.

 

Le trajet pneumatique cesse bientôt, et nous descendons de nos véhicules en tenue de plage, ainsi qu’il sied dans la chaude Eire. David est toujours en train de discuter avec son ami, et les suivant, je remarque sa musculature sèche et noueuse, un peu excessive même, lorsque je l’imaginais plutôt ressemblant à une asperge blanche. Se prendrait-il pour Iggy désormais ? Nous marchons sur le quai de béton gris, parfaitement identique à celui que nous avons quitté à Pembroke, faisons le tour de l’appareil, puis bifurquons à gauche pour nous retrouver sur la plage bondée mais curieusement immobile et silencieuse.

 

David et son ami s’éloignent en devisant gaiment, tandis que je remarque la présence exceptionnelle de Béatrice accompagnée de deux copines, toutes trois assises sur la même serviette disposée sur le seul transat de la plage, toutes trois arborant le même visage adolescent que lorsque nous nous quittâmes voici presque vingt-et-un ans. Ses sourcils sont froncés, mais je ne le prends pas pour moi, puisque son regard noir fixe obstinément un point relevant d’une direction dans laquelle je ne me suis jamais inscrit, dont on ne m’a jamais rien demandé.

 

C’est alors que m’approchant, je constate la présence d’un animal frétillant, à moitie enterré sous le sable. Qu’est-ce donc ? Encore un de ces damnés scolopendres ? Je lance mon pied mais le rate, et le vois se dresser hors du sable. Il doit faire quarante centimètres de haut. Son corps est d’une finesse de cordelette et surmonté d’une tête minuscule, noire comme la suie, comme un œil unique et d’une agressivité sans mesure sous laquelle sont plantés deux petits bras au bout desquels j’observe deux pinces microscopiques. Enragé et aveuglé, peut-être par mon pied, il lance l’une de ses pinces à l’aveuglette, vers un piquet de parasol : sa petite patte s’étend élastiquement à grande vitesse, tandis que grandit dans la même mesure sa pince désormais orange, de la taille d’une main claquant violemment la tige de métal.

Son coup raté, le bras se rétracte ainsi que la pince. Il tourne sa sphère sombre de manière furieuse, et ça y est, sous l’œil toujours aussi noir de Béatrice, il m’a vu et se précipite vers moi dans le silence d’une balle tirée à ras de terre, parallèlement au sol jonché de feuilles d’automne. Il plonge à une vitesse inouïe dans mon caleçon de bain, ce vieux boxer noir usé aux fesses jusqu’à la corde. La corde, vivante à la tête noire et au corps de branche de sapin, de petites pattes vertes écaillées et tranchantes, s’enfonce. J’attrape la queue boisée et ressors l’animal en n’ayant malheureusement pas pu, du fait d’avoir dû baisser mon boxer pour attraper la tête, préserver mon intimité des éventuels regards des plagistes.

 

Cela importe peu au moment présent. L’animal est fou furieux et le fait qu’il n’ait réussi à m’infliger aucune blessure ne laisse de me surprendre. Tout en serrant son cou de ma main, j’applique mon pouce sous sa tête dont je devine qu’elle est probablement dangereuse. De l’autre main, celle qui avait saisi la queue, je tire de toutes mes forces dans le but conscient de le rompre en deux, mais j’ai l’impression de vouloir casser du fil de fer barbelé, dont la résistance à la traction est supérieure, évidemment, aux forces mobilisées par mes deux bras. Je tire de plus en plus fort, et l’animal se s’étouffe pas, ne cède pas, ne se coupe pas en deux.

 

Je finis par engager un mouvement de vive rotation et le balance le plus loin possible. Exténué, je m’effondre plutôt que ne m’assieds, fesses les premières sur le sable chaud d’Irlande, face au regard sombre et obstinément fixe d’une Béatrice disparue.

commentaires

L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise (2.62)

Publié le 20 Novembre 2009 par Luc dans L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise

  La conséquence en était évidente : l’ancien Pape considérait que les régimes politiques qui viendraient à limiter ou supprimer la propriété privée, fût-ce pour des raisons de service ou d’ordre public, commettraient « une erreur de caractère anthropologique » (Centesimus Annus, n° 13, fondé sur Saint Thomas d'Aquin, STh, II-II, 66, 2, c), mais aussi Rerum Novarum de Léon XIII nn. 14-15). On est dès lors bien loin de Sollicitudo Rei Socialis, qui excluait en son point n° 41 que la doctrine sociale de l’Eglise pût être un instant regardée comme une troisième voie entre capitalisme libéral et collectivisme marxiste : il s’agissait bien d’une composante à part entière de la théologie morale.

  En effet, dans Quadragesimo anno (n° 41), l’Eglise posait clairement que « la très grave obligation qui Nous incombe de promulguer, d'interpréter et de prêcher, en dépit de tout, la loi morale, soumettent également à Notre suprême autorité l'ordre social et l'ordre économique »

  La conclusion de sa recherche théologique lui fut donnée par l’honorable Professeur Garello, fin analyste de la véritable religion du Très Saint-Père : « Jean-Paul II réhabilite avec éclat le « bon » capitalisme. Faut-il proposer le capitalisme comme modèle social ? « Si sous le nom de « capitalisme » on désigne un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l’entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu’elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique, la réponse est positive, même s’il serait plus approprié de parler « d’économie d’entreprise », ou « d’économie de marché » ou simplement « d’économie libre » (Centesimus Annus, n° 42) » [1]. CQFD.

 

  Et l’éthique fut jetée au vide-ordures.

  Par conséquent, l’adage était théologiquement confirmé : ce qu’argent veut, Dieu le veut. C’est en respectant ce sage précepte que le jeune homme devait se rendre au sein de la très grande entreprise, du conclave, ce monde encore inconnu mais dont le caractère gigantesque qui l’eût effrayé quelques mois auparavant ne faisait aujourd’hui que glisser sur son cuir désormais habitué. Sa visite avait été provoquée par ce qui n’était même pas une connaissance, mais la femme du big boss de sa propre sœur, en charge des relations humaines dans un monde sans âme. Il s’attendait encore à des entretiens d’embauche informels, ridicules d’incompétence, mais sans déception cette fois, puisque pour être déçu, il faut avoir espéré quelque chose. Ce n’était plus le cas. Certes les nécessités matérielles torpides le contraignaient à reprendre une activité professionnelle, mais le ressort déjà violemment détendu lors de son éviction marseillaise avait achevé de se rompre durant son chômage. Toute illusion dans une hypothétique corrélation entre Dieu et l’Eglentreprise s’était évanouie définitivement.

  Au téléphone, il s’était rapidement enquis du secteur d’activités où il allait devoir exercer ses compétences incertaines. La grande distribution : la restauration rapide mise à part, aucun secteur ne pouvait être pire que celui-là, dont la réputation délétère et probablement justifiée conjuguait irrespect fondamental du droit du travail, précarité absolue, heures à rallonge et paiement au lance-pierres. Mais il n’existait pas réellement de choix, l’état de nécessité faisant loi. Ce fut donc avec l’allant d’un condamné à mort qu’il se rendit au premier entretien.

  D’un naturel prévoyant malgré une conjoncture peu propice à la motivation et aux débordements d’enthousiasme, il s’assura auprès de l’accueil téléphonique de l’itinéraire à suivre.

  Il pesta intérieurement contre cette manie absurde qu’ont les grandes entreprises de situer leurs sièges dans des zones industrielles : la prise de note du plan dicté aurait pu remplir quelques feuillets, et sans aucune certitude sur le fait de savoir si c’était bien au 43ème rond-point qu’il convenait de tourner à gauche, ou au contraire au 44ème. Face à l’absurdité topographique, et eu égard à un trajet théorique de quarante minutes, il partit une bonne heure avant. Cela ne l’empêcha pas de se tromper de sortie d’autoroute, l’erreur persistant à raison du fait que suivaient cette fausse sortie également une quarantaine de ronds-points. L’itinéraire fut donc scrupuleusement appliqué, mais son point d’origine étant erroné, l’ensemble de l’intégrale tombait. Il arriva donc vingt bonnes minutes en retard, suant dans le seul costume qui lui avait porté chance : son vieux croisé à dominante bleue de plus en plus défraîchi, le même qu’il portait quelques années auparavant lors de son entrée dans le monde de la petite rejetonne de Dame E.

  D’inquiétantes barrières s’opposaient à son entrée dans le vaste parking de l’établissement, et il constata qu’ici encore, il convenait d’être muni d’un badge magnétique d’identification. Bis repetita placent

 

- Grésillements sur l’antenne -

 

  Je ne sais comment exprimer mon étonnement devant la paranoïa sécuritaire des grandes entreprises. C’est même à croire que toutes produisent (ou trafiquent) de l’uranium tellement les vigiles ont l’air patibulaire et tellement les points de badgeage sont resserrés. Il est en revanche amusant de noter que ces systèmes tombent tellement souvent en panne (chaque fois qu’il pleut par exemple), que les salariés passent toujours à deux dans le sas, que les badges perdus ne sont pas nécessairement désactivés, rendant l’imposante machinerie dénuée de tout effet préventif. J’envisageais le concept de sécurité dans la P.M.E. comme une nécessité relevant de l’intuition, la grande terreur de la faute qui pourrait impliquer le dépôt de bilan. Pour la grande entreprise, la notion de sécurité est plus proche de celle de Sarkozy, korrig [2] autocrate et mégalomane qui me fait de plus en plus penser à Christian Clavier.

  Ce sont les rites de la grande entreprise qui tendent à convaincre chacun des collaborateurs du caractère sacré de sa mission, tout en voulant le cantonner dans une aveugle fidélité. Ici encore, l’essentiel n’est pas tant que les procédés de contrôle et de surveillance, de sécurité, soient réellement efficaces, mais simplement qu’ils soient impressionnants, de la même manière qu’une cathédrale sera toujours plus majestueuse qu’un petit temple luthérien.

 

- Tous les regrets de la rédaction pour cet interlude lié à un mouvement de grève du personnel technique -

 

  Une fois franchis les sas métalliques, il se rendit à l’accueil où siégeaient deux opératrices apparemment plus affairées à gérer le fil ininterrompu des appels téléphoniques qu’à se préoccuper de sa propre présence. De vingt minutes, le retard se porta rapidement à la demi-heure. Lui pour qui la ponctualité procédait d’une nécessité absolue, presque vitale, se voyait ainsi torturé par le sort et une dure Destinée. 

 

  De fait, une explication malencontreuse de l’itinéraire par une secrétaire simplette et la parfaite ignorance du moindre usage par les hôtesses d’accueil le mettaient d’un état physique proche de l’apoplexie. Le col de sa chemise le serrait jusqu’à l’étouffement, et la fièvre commençait de bourdonner dans son crâne meurtri qu’un flot de chaleur envahissait peu à peu. Enfin, alors qu’il tapotait nerveusement de ses doigts le comptoir, l’une des opératrices s’enquit des raisons de sa venue trublionne. Il hésita alors sur la réponse à fournir : fallait-il poser calmement « J’ai rendez-vous avec M. Pascal A. », ou bafouiller « J’avais rendez-vous avec M. Pascal A. », du fait de cet intempestif et impardonnable retard. Comme à l’accoutumée, il prit la tangente en même temps que la voie médiane, ce qui relève d’une souplesse d’esprit assez remarquable, et opta pour un sobre « Je suis ici pour rencontrer Pascal A. ».

  L’opératrice composa ensuite un numéro de téléphone et prévint l’interlocuteur de l’arrivée de son rendez-vous. Il lui fut alors expliqué le chemin pour parvenir jusqu’au lieu de l’entretien d’embauche. Quelque peu échaudé par ses récentes expériences, il sollicita l’hôtesse sur le fait de bien vouloir réitérer ses propos en n’omettant aucun détail.

  Celle-ci, au tempérament probablement obéré, roula des yeux ronds et s’acquitta de sa tâche, ne sachant à qui elle avait à faire (on ne sait jamais…).

 

- En haut des escaliers, le bureau juste à droite -

 

  Rassuré par ces précisions et désormais certain de ne pas se perdre, il s’engagea dans l’escalier et songea à la réaction de la standardiste qui ne savait qui il était, comme tant d’autres sûrement.

 

  Il se dit qu’autant dans les P.M.E. il était aisé de connaître tout le monde, personnellement et hiérarchiquement, autant cela était impossible dans la grande entreprise, où fourmillaient les costumes cravates, les paires de lunettes, les mocassins vernis et les airs affairés. L’uniformité qui se dégageait de l’ensemble n’aidait guère à savoir qui l’on croise ou à qui l’on parle. Le mauvais goût vestimentaire étant une règle universelle, il lui semblait illusoire de ne vouloir se fonder que sur l’élégance ou la qualité des tissus portés par son interlocuteurs. Aussi bien en effet, le Président suprême pourrait-il être vêtu d’un costume de moyenne gamme, le directeur opérationnel d’une odieuse cravate Kyabi, et qu’un simple stagiaire au contrôle de gestion porterait quant à lui un magnifique costume Hugo Boss, très stretch et tendance, ayant consommé six mois d’indemnités de stage. L’habit ne fait pas toujours le moine.

  Néanmoins, il existait à son sens un détail fonctionnant presque toujours : si votre interlocuteur était un homme, grand (1,80 m et plus) et en costume, il existait de fortes probabilités pour qu’il fût cadre, le cas échéant de direction. En France, où la notion de cadre était solidement implantée du fait d’un amour continu pour les organigrammes pyramidaux plutôt que transversaux et écrasés, le cadre devait être grand. Une personne de petite taille ne devrait qu’à ses talents réels et à sa ruse l’accession à ce statut, lorsque ce dernier allait de soi pour les grandes tiges. Des études démontraient ce fait de manière indubitable (Nicolas Herpin, INSEE, 2001), de la même manière que les chances de rester célibataire étaient de très loin plus élevées pour les petits que pour les grands.


[1] J. Garello, op. cit., p. 12.

[2] « Petit nain » en breton. J’attire l’attention du lecteur de petite taille qui pourra s’indigner de l’utilisation facile et discriminatoire d’un critère de l’apparence physique, sur le fait que l’auteur lui-même est le contraire d’un géant !

commentaires

Ob ich schriebe...

Publié le 19 Novembre 2009 par Luc dans Deux ans de reconstruction (1-98-31-10-99)

Ob ich heute abend schriebe, frägte ich mich wenn ich vor dem Tür endlich käme. Une fois la lumière allumée, ma conviction fut moins forte. J’ai souri, de moi, des questions habituelles tarabustant ma minable existence, de mon incapacité à m’intégrer. Oui ! Parmi ces questions...

 

Comment rencontrer des gens ? Depuis quelque temps, je m’essaie à l’idée du mouvement géographique : refaire sa vie ailleurs, dans une sorte de délire romantique, jeuniste ou judéo-chrétien, consistant à se persuader d’une quelconque possibilité de nouveau départ. Comment les rencontrer ? Je n’imagine pas un instant un moi sûr de lui allant aborder un(e) inconnu(e) à la terrasse d’un café, grande et étonnante spécialité de certaines connaissances, par peur que les manches de ma veste en tombent. Je n’envisage pas plus une liaison amicale dans le milieu professionnel, dans laquelle il se révélerait impossible d’être réellement soi-même, sauf à hypothéquer le garde-manger dans son ensemble. La malchance veut en outre que nous soyons un cercle d’amis très soudé, lequel sans se fermer obtus n’en accueille pas moins fort peu de nouvelles têtes... Ma vie ne permet pas la rencontre : triste constat, dépit insatisfait, mais insuffisant pour tout bouleverser ou quitter.

 

Une autre question : pourquoi M. a-t-elle forci ? Cette si jolie personne, frêle, mince et idéale de blondeur et de clarté, que je vois avec les années s’enrober, en attendant la vraie robe immaculée, que mon costume noir n’accompagnera pas à l’autel... Elle s’épaissit, d’un incontestable fait. Dès lors, elle devrait se montrer plus accessible à ma concupiscence inchangée... Mais non... De la même manière que je ne partirai pas pour rencontrer d’autres gens, je n’esquisserai pas le moindre pas vers sa chère personne, par peur que les poches de ma veste s’en retournent et tombent.

 

Une dernière question pour ce soir : pourquoi E. ne m’a-t-elle pas appelé ? A-t-elle été choquée parce que je lui écrivais un autre soir de sincérité, ou s’en moque-t-elle tout simplement ? Alors je saurai sûrement la contacter, ne serait-ce que pour savoir de quoi il en retourne... Mais non... Je craindrais trop que le col de ma veste se dépiche et en tombe.

 

Allez, une dernière question pour la route... A quoi cela sert-il d’écrire, en répondant par la négative à la question titrée, sans aucune qualité littéraire, poétique, philosophique ou de tout art connu ou innommé ? En tout état de cause, je ne publierai pas, car les pans de ma veste, dont il ne restait plus que cela, viennent de chuter sans bruit avec mon moral sur une moquette douillette.

commentaires

Sur un toit de tuiles

Publié le 18 Novembre 2009 par Luc dans Marseille (du 2-4-97 à février 1998)

Nous avons passé une bonne journée et décidons de monter sur les toits, pour la terminer hauts et rêveurs. Je crois qu’il y a là Y., S., M., A., et sûrement pas N., trop prudente, ou encore E., trop belle.

 

Je remarque surtout Y., affalé de tout son long sur la terre cuite rouge et paraissant si fatigué que son visage aux traits lourds va s’affinant alors qu’il s’assoupit le long des tuiles chaudes, à quarante-cinq degrés.

 

Il doit être derrière la corniche, S., dont la litanie des sarcasmes plus ou moins convenus s’imprime dans ses insultes incessantes et ses réactions avaricieuses, ces dernières telles que son amitié d’ailleurs.

 

M., fine de physique essentiellement, doit également se situer en retrait du bord fini du toit, admirative du sommeil de Y.

 

A. métaphorise, entre la lumière des ampoules aux pieds et les doux songes de la fièvre aphteuse. Elle se dandine mollement au son des craquements des tuiles sous notre poids, et du gémissement de la gouttière rouillé et sonore.

 

Nous voilà donc, ce gentil petit groupe perché sur les toits de tuiles rouges. La brique surchauffée par le soleil d’été pourrait sembler désagréable si n’était cette odeur de four de pierre qui sauve tout.

 

Quant à moi, je ne parviens pas à m’allonger, ni à me lever. Pour n’avoir jamais été soumis au vertige, je n’en ressens pas moins un malaise certain, comme la gouttière grise qui chaloupe insidieusement en deçà et au-dessus de la ligne d’horizon.

 

Décidément, je ne me sens pas si bien, alors que l’ambiance calme et apaisée d’une après-fête devrait plutôt m’inciter à la détente la plus méritée…

 

Invincible mal-être ; je me juche à califourchon sur l’arête d’une avancée constituant le toit étroit d’une mansarde, serrant les cuisses à rompre l’architecture. Ainsi solidement campé, le vertige va cesser.

 

Mais non. Le monde tourne et se tord de plus belle. Partis, Y. et son petit somme. Je ne vois plus à tour de rôle que les nuages et les tuiles. Envolés, S. et ses sarcasmes. Je me livre, je tourne, je vole… je chois. La terre ma mère m’accueille, à moins que ce ne soit le goudron.

commentaires

Dormir

Publié le 17 Novembre 2009 par Luc dans Jours décisifs (du 6-1 au 5-3-97)

Que dire encore ? Après une activité passée à s'injurier copieusement, en désaccord sur la décision même, et naturellement sur son exécution... Fallait-il entendre direct lorsqu'à l'évidence indirect avait été prononcé. Toujours est-il que le résultat fut comme à l'accoutumée en deçà des espérances communes. Le commun profit passait par l'invective.

Dans cette humeur chagrine, nous tous vers une très grande salle carrelée des planchers au plafond. D'aucuns allaient se doucher dans une annexe. D'autres préféraient boire un coup, tels que moi.

Mais je déclinai la bouteille d'eau qu'on m'offrait, car je me sentis malade.

Soutenant le corps d'un bras tendu au bout duquel la main se posait contre le mur, et baissant la tête, les aliments revenaient vers ma bouche, non digérés, régurgités à la manière des ruminants. Je crachai quelques grains de riz à travers les plaques de fer trouées qui stationnaient sur le sol.

Mais cela continuait à remonter. Ma langue fouillait nerveusement les parois extérieures de la dentition et ramenait vers les lèvres toujours plus de grains de riz, quelques épluchures de légumes aussi...

 

Je vois un collègue boire de l'eau à la bouteille, et j'expulse mon riz, lorsque les rots se font plus chauds, bileux et glacés au suc stomacal. J'abandonne et pars.

 

Revenu chez moi avec soulagement, la faim s'avère bien présente. J'éprouve le besoin invincible de manger, contrebalancé par la raison qui dicte et ordonne un repas léger suite aux mésaventures digestives et gustatives de tout à l'heure.

Je suis les préceptes de la raison et me prépare à dévorer une pomme. Je me dirige vers le bac à légumes et fruits du réfrigérateur, l'ouvre... et vois de pauvres pommes, achetées l'avant-veille pourtant.

De pauvres pommes, pour les unes noircies ou brunies, un liquide putride s'échappant de leurs mille hernies ; une autre, atrocement triste, comme réduite, lyophilisée autour du trognon, un visage recevant à pleine volée un verre de napalm.

 

Mon estomac, écœuré..., se remet à envoyer des messages en tous langages, qui viennent acidement baigner mes molaires. Je fonds. Je suis si fatigué. Dormir et ne plus manger. Dormir.

commentaires
1 2 > >>