Ma tête est lourde et importable, et je ne parviens plus à concilier
l’évidente fatigue de mon corps avec l’activité concentrée de mes yeux à la recherche de la moindre parcelle de lumière dans la pièce noire.
Mes visions, tout aussi désagréables les unes que les autres, se modifient
néanmoins lorsque je tourne la tête dans l’oreiller. Sitôt que le poids de mon cerveau électrique se porte sur le côté droit de mon crâne, le côté gauche irrigué comme il l’entend vient me
refaire vivre une journée de travail de cocaïnomane. Je tourne donc la tête pour enfin sortir de la vitesse si peu enivrante, et voici que le poids étouffant le côté gauche vient faire exploser
d’une oxygénation subite le côté droit d’un cerveau sans mesure ni limite. C’est alors que je perds le contrôle de ma respiration.
Je nous vois tous les deux, elle qui est déjà intervenue à maintes reprises dans mes rêves
et toujours de la même manière, dans des lieux et époques différents, mais éternellement à l’identique. Elle me complexe. Elle se plaint de l’attitude de son compagnon, si tendre et enlaçant au
début de leur courte histoire, griffant et précipité aujourd’hui. Je ne parviens pas à me représenter la couleur des griffures sur sa peau brune, et je continue de l’écouter se lamenter sur le
côté bougon, peu causant de son ami, tandis que le ciel s’assombrit encore, et que je l’invite à nous réfugier de l’absence de pluie dans ma voiture. Nos épaules se frôlent lors de l’entrée dans
le véhicule, dont j’occupe à présent la banquette arrière et elle le siège passager. Je sais bien que la conversation se poursuit sans discontinuer, mais la chaleur me frappe d’une amnésie
immédiate à chaque phrase prononcée.
Seules désormais m’importent la connaissance et la nécessité de la vérifier
par l’expérience. Le questionnement de son désir pour moi fut introduit par sa proximité corporelle et le pétillement de ses yeux ; le questionnement sur son acomoclitisme se révèle quant à
lui ontologique et persistant, un arbre éternel. Ces deux interrogations peuvent se résoudre l’une et l’autre, à ce moment précis, par la prise de risque insensée tandis que la courte jupe noire
est remontée le long de ses cuisses bronzées en raison de l’ergonomie du siège sportif et de la taille de l’habitacle. La prise de risque irraisonnée au service de la résolution de la question du
désir… je manque d’en pouffer, mais ce n’est pas le moment. Il s’agit de profiter de la liberté passagère de mon cerveau droit sans en rater un atome, comme il ne saurait plus être question de ne
pas diriger sa main vers le petit triangle noir de lycra, dernier obstacle avant les réponses.
A ma grande surprise, elle n’écarte pas ma main gauche qui s’approche, pas
plus qu’elle ne la repousse lorsque ses doigts passent sous le fin élastique, pas plus qu’elle ne se saisit de mon bras quand ce dernier écarte le tout, dévoilant la peau grise d’un sexe fin et
glabre, que mes doigts nerveux et jaunes comptent, recensent les débuts de repousse avec méthode, et se réjouissent de l’éternité de ce moment.
Nos regards se croisent alors et je ne lis dans le sien qu’une vaste
interrogation. Aucune approbation, aucune réprobation, aucun geste de défiance ou en ma direction, rien… aucun désir donc. Je m’allonge alors sur ma roideur démesurée, au creux de la banquette
arrière, et l’observe silencieusement réajuster sa jupe puis sortir de la voiture. A travers le pare-brise recouvert de pollens ocres, jaunes et verts, je la regarde s’éloigner entre les ajoncs
immobiles, les chardons consumés. Le risque m’a donné mes réponses et je ne m’en trouve pas plus habile.
Je bondis à mon tour hors du véhicule, la rejoins prestement et la saisis
entre mes bras trop longs et trop nerveux pour en pas faire mal, la soulevant de terre. Je la serre de toutes mes forces en nous berçant d’arrière en avant, psalmodiant la même
litanie :
- il n’aurait pas dû te faire ça, je te console – tu me fais mal –
rassure-toi – tu me fais mal –je te console – tu me fais mal – tout ira bien, tu
verras – tu me fais mal… -