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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

A Réjane

Publié le 30 Novembre 2010 par Luc dans Dégradation (du 1-7 au 30-12-10)

Les chocs sourds de la pelle dans la terre neigeuse rythment mes ahanements dans l’effort et les larmes. Un réseau de racines épaisses s’acharne à ralentir mon labeur d’ultime hommage à celle qui a disparu, dont les cendres dispersées devront attendre le redoux pour pouvoir s’envoler, engluées qu’elles sont à cet instant dans la pellicule blanche et fraîche.

 

Que de chemin parcouru en quelques jours ! Là où le souci de la dignité le disputait aux dernières piques d’un humour ravageur sous un amas définitivement incompréhensible de tuyaux et de souffrances, il n’est plus qu’un lit vide. Comme nous arpentions les couloirs blafards en tentant de retenir nos larmes dans d’affreux rictus de douleur et de compassion, seuls nous répondirent deux visages sur blouses blanches, l’un souriant gentiment, de façon tellement absurde, l’autre impassible, dont on ne savait s’il exprimait du respect ou de l’indifférence, vite oublié au profit d’un grand sac au côté duquel reposait bien équilibrée une canne bien connue.

 

Elle n’avait pas peur, disait-elle, n’aspirait qu’à la fin de la déchéance, de sa putréfaction dans un esprit clair. Il ne s’agissait pas d’une pulsion de mort, mais bien de la cessation nécessaire, utile, d’une vie qui n’en avait plus que les apparences trompeuses. – A quoi sert tout cela ? - Le renoncement fut éclairé, l’agonie rapide… mais agonie tout de même, puisque le corps inconscient des dernières heures ne put réprimer sa peur d’en terminer, les râles d’agonie durant lesquels nous lui fîmes nos adieux, l’embrassâmes en lui souhaitant de bien passer, accompagnée qu’elle serait par nos baisers et ceux de nos enfants.

 

Descendant quelque temps après de la colline, nous dominions un paysage vallonné, arboré et herbu, aux perspectives complexes telles que seule l’union de l’homme et de la nature sait concevoir, éclairées et ombrées du soleil automnal. Un souffle de vent à peine perceptible nous redonnait à la vie en piquant nos extrémités d’un froid vif. Nous acceptions avec émotion les témoignages d’amitié dont on nous gratifiait en cette occasion qui commençait de ne plus être triste. Rien de plus semblable à un temple que cette salle lumineuse et dépouillée aux bancs de bois clair soigneusement alignés. Rien de plus semblable à une cérémonie des obsèques que les mots d’accueil et de lumière de l’officiant, compassés mais bien placés et touchants, entrecoupés des Kindertotenlieder de Mahler et Rückert. Tandis que le cercueil de chêne franchissait symboliquement la porte de l’au-delà, je repensai à mes propres volontés, mon corps uniquement recouvert d’un drap de lin blanc, déposé à même le petit bois fourni dont on avait empli une barque et qu’on livrerait à la marée descendante puis à l’Océan après y avoir mis le feu près de Port Navalo.

 

Ma fosse est achevée dans le froid d’un ciel qui blanchit. Ma mère a achevé d’épandre les cendres sous les branches basses de chênes verts. L’urne et la plaque sont désormais prêtes à être enfouies. Si fait. J’enrage de la mort et frappe le sol à grands coups de pelle et de pieds pour rendre à la terre et mon âme leur humble apparence première.

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Douste-Blazy, Empereur de Mièvrerie

Publié le 29 Novembre 2010 par Luc dans Un an (du 25-8-05 au 13-6-06)

NDLA : je ressors ce vieux texte maintenant, suite au très faible billet de ce matin de Sophia Aram et repensant (par conséquent !) tristement aux évictions de Didier Porte et Stéphane Guillon, voire Gérald Dahan. Assez de cette bien-pensance droitière où le respect de la personne physique tient lieu de conviction politique globale, où la victime est reine du procès et non plus l'ordre public. Le texte qui suit démontre que la dérive n'est pas nouvelle, malheureusement...

 

Le six février 2006, vers 8H25, l’impayable Philippe Douste-Blazy a déclaré : « Moi, je condamne tout ce qui blesse ». Quelle prise de position ! Quelle énergie et quel courage que d’affirmer ainsi ses opinions les plus tranchées !

 

Je sais bien que tirer une phrase de son contexte est un procédé coutumier pour qui veut ironiser, mais là ! Dans cette affaire de caricatures du prophète publiées dans un journal danois en septembre 2005 et rebondissant curieusement cinq mois plus tard sur une enfilée d’incendies volontaires et de manifestations violentes au Moyen-Orient, est mise en question la sacro-sainte liberté de la presse, et plus largement celle de l’expression.

 

Cette dernière est la plus précieuse : rien n’est sacré, rien n’est intouchable, tout est mangé aux mites et tout est risible. Nous avons le droit de le clamer, quel que soit le moyen employé.

 

C’est cela que Douste-Blabla devait défendre, mais au lieu de ça, dans une sorte de bonne conscience catholique ronronnante, pâlement saupoudrée d’un respect sirupeux, il nous a resservi l’équilibre de la bonne vieille balance à plateaux : la condamnation des violences islamistes d’une main moite de faux bronze, et la condamnation de « tout ce qui blesse » de l’autre, encore plus enduite de mayonnaise.

 

J’ai dû en conclure quelque chose : Philippe Douste-Blazy condamne donc la vie, première cause de blessures dans nos existences meurtries et devant bien se garder de toute sincérité dans l’expression.

 

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Emmanuelle se marie

Publié le 23 Novembre 2010 par Luc dans Chair (du 15-10 au 31-12-01)

NDLA : ce texte est parfaitement caduc, à tous égards, puisqu'aucune des personnes évoquées dans ce texte n'est encore avec son conjoint, cruauté de monde moderne, trop rapide et impatient...

 

 

Abandonnons tout cela, qui n'est  pas l'important : mon cœur saigne, Joe ! J'apprends par une bouche étrangère que Manou se marie : après tout ce que nous n'avons pas vécu ensemble, elle ose ! Non là vraiment, le désespoir me guette...

 

J'entends Stéphane proférer des  insultes, le cœur sex (pardon, sec) et Nathalie sourire : il y a de quoi, choisir un opticien, si agréable soit-il, est indigne. Pensez ! Combien de  petites grosses a-t-il défiguré de lunettes rondouillardes, le bridge carnassier et ironique resplendissant de mille feux devant la catastrophe esthétique du résultat ?! Combien de futures trentenaires conjonctivitées a-t-il escroqué en leur vendant les nouvelles lentilles flexibles et jetables, dont les porteuses le sont plus de myxomatose que de confort ?!

 

Le fier soufflé que j'étais vient de subir l'agression d'un coup de fourchette sans pitié ; il s'affaisse, désolé, une baudruche crevée nostalgique d'un inexistant fantasmatique...

 

Des regrets, sûrement, certainement, sans aucun doute.

 

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Une mort comme une autre

Publié le 22 Novembre 2010 par Luc dans L'amour de l'erreur (du 14-5 au 30-7-03)

Je ne trouve plus le sens. Les points de progression avaient pu sembler évidents mais aujourd’hui atteints, je reste cependant hors le monde social dans lequel je voulais me fondre, m’intégrer, me dissoudre.

 

Je reste donc à la porte d’un monde que je ne refuse pas, auquel j’aspire même ! Quelle dérision ! Que d’années me séparant de la mort gâchées dans une recherche vaine… Je ne suis pas perdu. Je sais exactement où je suis, mais me heurte au rejet définitif, inné, insensé du commun profit.

 

N’étant pas patient par nature et n’aimant finalement guère le camping, je vais donc en terminer de moi-même, libre de progrès, exempt de beauté, débarrassé d’empathie.

 

Seul et responsable.

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Rêve 91 L'effondrement des Twin Towers de l'Ile d'Arz

Publié le 18 Novembre 2010 par Luc dans Dégradation (du 1-7 au 30-12-10)

Nous avons bu toute la journée, Anne, Yohann et moi, mais il est maintenant temps de rentrer… en voiture naturellement. Nous roulons bon train sur l’A51, direction Aix en provenance de Digne. Du côté de Venelles, je vois Yohann, qui nous suivait jusqu’alors, sortir de l’autoroute en trombe. Sur la voie de décélération, sa BX Break rouge va plus vite que mon Audi. J’imagine qu’il veut poursuivre sa route jusqu’à Aix par la nationale, par souci d’économie, mais le péage de Pertuis est déjà passé, ce tronçon est donc gratuit. Sur ces interrogations écartées d’une moue de dédain, mon regard rejoint le bitume et constate la présence d’un véhicule sombre arrêté sur la file de gauche. Je ralentis. Un homme sort de la voiture immobilisée, un moricaud l’air effrayé et tenant fermement ce qui doit être un enfant. Il avance difficilement, en tendant la main en direction du flux de voitures. « Il fait n’importe quoi », soupire-je, et c’est presque au pas que je dois donner un grand coup de volant à gauche pour ne pas le heurter. Je réussis à passer entre lui et sa voiture sans rien toucher. Je soupire encore et poursuis ma route.

 

Arrivés à un surprenant péage, nous déplorons la présence d’un barrage de police. Avec ce que j’ai picolé, c’en est fini de mon permis de conduire ! Sans choix puisque sur les rails invincibles de l’autoroute, je me place sagement dans la file des véhicules à contrôler. Un inspecteur me fait bientôt signe de descendre la vitre de ma portière puis m’invite à me garer sur la file de droite, pour finir par m’ordonner de m’asseoir à l’arrière de mon véhicule, laissant Anne devant. J’acquiesce silencieusement, préférant ne pas lui parler de face de peur que mon haleine trahisse notre journée détendue. Tout cela ne sent pas bien bon néanmoins. Peut-être une minute s’est-elle écoulée lorsque deux hommes élégants quoiqu’aussi avinés et angoissés que moi viennent aussi prendre place dans ma voiture sur consigne pandorienne. L’un s’assied à mon côté à l’arrière, l’autre prend le siège conducteur.

 

Derrière nous, quelqu’un klaxonne comme un forcené. Je me retourne immédiatement. C’est Yohann : est-il donc fou ?! Ce n’est pas le moment de se faire remarquer, d’ajouter des circonstances aggravantes telles que le tapage à la conduite sous l’empire d’un état alcoolique. Cette fois, nous sommes bien bons pour la vérification d’identité ! Malgré mes gestes suppliants de sémaphore qu’il voit fort bien, il continue à frapper le centre de son volant manifestement dénué d’airbag avec véhémence, dans l’intérieur enfumé de la BX rouge. Des éclats de voix me font me retourner dans l’autre sens, et j’entends distinctement l’inspecteur rameuter tous les agents en hurlant que « l’homme qui a tué l’enfant a été retrouvé », qu’il « a tenté de s’échapper à pied ». La confusion règne désormais et la barrière de péage de notre file immobile vient de se lever pour laisser passer un véhicule de police. Je souffle les lèvres crispées à l’homme assis à la place du conducteur que « c’est notre chance. Accélère et passe : on se casse ! ». Il transpire des tempes à grosses gouttes, il serre les dents, enclenche la première et passe doucement la barrière, comme si de rien n’était. Personne n’a réagi, on s’en est sortis.

 

J’ai repris ma place, celle du conducteur, et transféré les deux hommes ainsi qu’Anne dans la voiture de Yohann, également passé mais en klaxonnant et en faisant rugir son vieux moulin. Je dois aller me changer en un endroit précis, là, entre Penero, La Falaise à l’île d’Arz, et le bastidon de la Crémade au Tholonet. Mes affaires, je m’en souviens fort bien, sont juchées en haut de la pile la plus éloignée de palettes en bois, juste à côté du terrain défoncé de basket, culminant à trois mètres. Je grimpe sans difficultés et me change. En descendant, mon pied se coince tout de suite dans l’avant-dernière palette. Je force et réussis à me dégager avant de me réceptionner lourdement sur les fesses. Remontant les yeux, je vois que les deux palettes du haut ont bougé lors de ma manœuvre, qu’elles sont désormais en équilibre plus qu’instable. Elles chutent finalement sur le sol de bruyère humide, tandis qu’il commence à crachiner. Le brouillard se lève aussitôt. C’est sur mon séant que mon regard  se perd dans les autres empilements de palettes, si nombreux. Ce sont les deux tours de la bibliothèque municipale qui retiennent mon attention. Trente mètres de haut au bas mot. Les deux palettes tombées de ma propre pile ont dû heurter quelque chose à la base de la bibliothèque, ébranler l’architecture générale du plan, et impuissant, j’assiste à l’effondrement des tours jumelles de la bibliothèque municipale de l’île d’Arz en Tholonet, toutes faites de palettes de bois empilées.

 

Pas un grain de poussière ne s’élève de la terre humide. Aucun chant nouveau n’est encore composé sur la catastrophe. Je préviens mon père du désastre par téléphone. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas satisfait, un peu comme s’il avait participé lui-même à la construction de la bibliothèque, ainsi qu’en atteste sa recherche de solutions techniques de maître d’ouvrage. Quant à moi, je me déclare ennuyé par l’affaire puis raccroche. Il est temps de rentrer à la maison. M’y voilà. Je n’ai envie de voir personne, encore gris et craignant que me nuise mon rôle dans la destruction de la bibliothèque, tous ces précieux volumes alignés en haut des nobles piles de palettes tombés dans la bruyère, l’herbe coupante et la terre meuble des prémices du marais.

 

C’est à ce moment que Karine et Olivier débarquent. Je me réfugie aux toilettes, laissant à Anne le soin de les accueillir, puis m’échappe par la fenêtre, marchant sur le chemin pierreux menant du bastidon de la Crémade au ground 0 de l’île d’Arz, rasséréné par la fraîcheur mouillée de la nuit tombante, dans les odeurs incroyablement mêlées du thym, des joncs et genêts, de la mer et de l’humus épais des bruyères. Je demeure quelque temps immobile, laissant l’humidité refroidir mes os, et aperçois au loin dans l’atmosphère bleutée, là-bas, tout au bout du chemin clair, Olivier prendre sa voiture, tout sourire, pour venir me rejoindre. Afin de me créer une contenance, je me mets à courir régulièrement vers lui, comme un jogging idiot en tenue de ville. Je cours vers lui qui me sourit derrière ses doubles foyers, et la distance diminue étrangement entre nous dans ce moment dont je pouvais pourtant soupçonner l’éternité.

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Rêve 90 Apocalypse

Publié le 16 Novembre 2010 par Luc dans Dégradation (du 1-7 au 30-12-10)

Est-ce un film auquel j’assiste ? Une sombre histoire vue et revue d’extra-terrestres prenant la forme de l’humain qu’ils viennent de supprimer, avec un visage plus impavide cependant, tellement d’ailleurs qu’ils ne trompent personne. Est-ce un film, parce que même s’il ne me ressemble pas physiquement, je me sens vivre en l’un des personnages… humains s’entend. C’est moi, pourrais-je même dire vulgairement, c’est nous devrais-je dire de manière moins orgueilleuse. Et nous nous rendons compte de tout. Cet homme chauve qui apparaît à l’embrasure de la porte a la tête bonhomme et rondouillarde du général dans Stargate SG-1, mais aussi un cigare rivé au coin des lèvres, son œil bleu désormais fixe et impitoyable, marchant vers nous d’un pas décidé. Nous le voyons quelques minutes auparavant, dans un petit appentis, avec la même tête en gros plan, il avance, disparait de notre champ de vision, remplacé par cette même tête au même endroit, en sueur témoignant de son humanité, les yeux exorbités et son menton s’affaissant bientôt sur sa poitrine, son buste se pliant en deux dans le même mouvement, offrant à notre regard son dos rougeoyant percé d’une balle.

 

Entrant dans la salle d’un air mécanique, il se retourne avec une grande vivacité lorsque deux individus, un que je distingue mal et l’autre blond et barbu aux cheveux épais et hirsutes, manifestement tout aussi extra-terrestres que lui, poussent également la porte. Il dégaine son arme et leur colle une balle dans la tête sans plus de sommations. Ainsi croit-il tromper son monde, ce qu’il parvient à faire au vu des félicitations qui fusent de bouches se hâtant de quitter une pièce où reposent trop de cadavres, sauf à notre égard, le corps où je réside et moi-même, le spectateur. Jouant le jeu mais effrayés de la présence de cet ET, je souffle à mon hôte de demander à un humain assis derrière son bureau de nous fournir une arme pour assurer notre sécurité jusqu’à notre domicile en ces temps troublés. Le général, proclamé nouveau chef du bureau, va fouiller un porte-manteau disposé à côté de l’entrée, copieusement garni. Il en extirpe une forme noire et rigide dont je ne distingue que l’étiquette orange passé : « Fabriqué en Argentine ». Il s’agit d’un gilet pare-balles en carbone. Nous réitérons notre demande d’arme à feu, n’importe quoi, un PM, un 38 spécial, un Beretta, mais rien n’y fait : le fonctionnaire assis derrière son bureau nous informe que toutes les armes ont été saisies, sont sous scellés pour les besoins de l’enquête. Trop de cadavres ici, c’est vrai…

 

J’opte donc pour la sortie, seul cette fois. Il me faut aller chercher femme et enfants. Anne doit être à la Faculté. Je me dirige promptement vers un amphithéâtre étrangement dégarni en toute sa partie inférieure, ce qui fait que nos places préférées, dans le ventre mou et discret de la cohue, se retrouvent finalement au premier rang, ainsi qu’en atteste la présence à côté de son ordinateur portable blanc, du petit blouson d’Anne, très seyant. Elle n’est pas là, mais une voix m’interpelle, en provenance d’une jeune fille brune enrobée, vêtue de noir, mais aux lèvres rouges et au sourire éclatants. Elle me demande pourquoi je n’étais pas au séminaire ce matin. « Pas au courant… », grommelle-je. Elle enchaîne ensuite sur ses inscriptions à de trop nombreux séminaires optionnels, lui occasionnant un emploi du temps pire que lorsqu’elle travaillait, avant de partir dans un grand éclat de rire absurde. Je salue et pars.

 

Je retrouve les enfants dans la grande salle centrale d’un édifice Renaissance au moment précis où une grande et large planche se descelle du plafond et chute sur le sol dans un grand fracas poussiéreux, à la façon de la mise en scène de Chéreau de Z mrtvého domu de Leoš Janáček. Surgit du nuage jaune pâle un âne emplâtré dont je soupçonne immédiatement qu’il est carnivore, de son œil fou, ses dents serrées figées dans un rictus de rage que semble vouloir détromper la petite danse rebondie de l’ourson qui l’accompagne. Les enfants veulent s’amuser avec les animaux et s’engagent dans une ronde avec l’âne et l’ours. Je me place devant le premier, afin de m’interposer entre sa soif de boucherie et les enfants. Je n’avance pas trop vite, surveille bien ses dents. Il accélère sans en avoir l’air, il va attaquer, c’est une certitude.

 

Un terrible grondement sourd le fait cesser net sa marche. L’ourson l’imite, la truffe frémissante. Ils se tournent tous les deux dans la même direction, vers le fond sans ouverture de la salle. Je me jette à une fenêtre latérale et vois le grand parvis, la magnifique façade gothique de l’église, baignés par le soleil mourant du crépuscule, les lueurs orangées indicibles, d’argile et d’ocre lumineux. Je remonte la façade, du trumeau aux gargouilles jusqu’aux flèches, et découvre le ciel derrière elles, qui eût été bleu si les nuées aveuglantes ne l’avaient pas envahi.

 

Des nuées d’argile moutonnent, bouillonnent jusqu’à l’ébullition, se lancent dans l’air du soir pour mieux retomber en d’immenses bras désarticulés, roulent au sol et projettent à plus de dix kilomètres de hauteur. Elles dévalent le ciel vers la ville. Le mot « Apocalypse » me vient immédiatement à l’esprit. Prenant les enfants par la main, je sors de la salle et cours vers l’église en contrebas. L’entrée est là. J’ai le temps d’entrer avec Ilana avant qu’une femme la porte à double tour, soigneusement. Face à mes véhémentes protestations, elle accepte de rouvrir, et je vois Erwann ainsi qu’un petit asiatique en pleurs, tandis que les premières poussières se ruent sur le sol et des gens, humaines comme extra-terrestres, sont déjà allongés sur le sol au dehors, probablement asphyxiés par les vapeurs délétères, leurs querelles de pouvoir oubliées. Je fais entrer Erwann toujours en larmes et la femme referme la porte au nez du petit asiatique.

 

Je cherche désormais, entre deux prières, l’endroit où nous pourrions supporter les nuées, un lieu avec une architecture basse (afin d’éviter l’enfouissement définitif sous des éboulements) et solide bien sûr. Les contreforts peut-être ? Là, dans les travées latérales, le tombeau en marbre d’un évêque médiéval… Je ressens l’inanité de ma quête. Acceptons, mes enfants, ma femme, que nous sommes déjà morts et prions.

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Savoir

Publié le 12 Novembre 2010 par Luc dans Engagement (du 8-4 au 28-12-04)

Ta voix est si changeante,

Et me fait varier comme alouette.

Je voulais partir, volonté affirmée,

Et t’avoir entendue dans la gêne et la douleur

Me donne au doute, une fois encore.

 

Que me veux-tu finalement ?!

Que me veux-tu, à quoi je ne sais répondre ?

Que me veux-tu qui me contraint à l’inaction ?

Je l’ignore mais crois que ce ne pourrait être

Qu’une exigence et une démarche positive de ma part.

Faire un pas vers toi est une concession.

Je n’attends que de l’aide

Et tu me demandes de la force.

 

Je disais hier que tu ne m’aimais plus,

Et je ressens ce soir en toi la peur

Que je ne t’aime plus…

Quelle aberration…

Ô combien ridicules sommes-nous…

 

Nous pourrions nous aimer,

Mais cela serait trop simple et évident.

Alors il nous faut nous déchirer,

Nous éloigner petit à petit,

De corps et puis d’esprit,

Dans la mort d’une lueur… d’espoir…

J’y avais cru un instant.

 

Mais c’est fini.

Demain soir, tout sera consommé,

Et je revivrai la même histoire

Que les précédentes,

En en tirant les mêmes conclusions.

Je n’aime pas.

Je ne sais pas aimer.

Je ne sais que mourir.

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Cioranisme

Publié le 10 Novembre 2010 par Luc dans Vivre... par dépit (du 24-6 au 20-9-96)

Comment se cacher de cette image vénéneuse, d'une grande mort puant le pognon ?

 

Je le vois, là, accroupi au fond d'une pièce sobrement mais dispendieusement meublée, entouré de filles nues magnifiques, ou de représentations sur papier glacé de filles nues magnifiques. Mais il n'a pas l'esprit à la galéjade. Il tient une arme entre ses mains de dégoût. Cette arme fut son sexe, c'est maintenant un assemblage de pièces métalliques.

 

Il se demande où apposer le canon, l'œil noir incident. Dans la bouche, comme Kirilov, pour imaginer une fraction de seconde durant, lorsque l'obscurité sera obtenue, les éclairs de feu fusant hors de ses yeux, nez et oreilles ?

 

Sous la mâchoire tendue et fièrement lancée vers l'avenir, pour envoyer un dernier coup de tête mussolinien à son pitoyable entourage ?

 

Entre les deux yeux, fasciné qu'il a toujours été par l'Inde autant que par les scènes de cinéma où un simple cercle non auréolé de brûlures noircies de poudre fait figure de fin romantique sur le front, sans sang, sans crâne éclaté ?

 

Ou encore sur la tempe, une petite roulette russe, à l'ancienne ?

 

Pourquoi pas sur le cœur, qui demeure l'endroit le plus romantique après le sexe de Jeanne Moreau dans « Les Valseuses », qui reste le point du « Feu follet » de Drieu La Rochelle, Maurice Ronet et Louis Malle...

 

Tiens, il vient de remarquer que tous ces gens sont morts... Peut-être pas Jeanne Moreau, mais à la voir, cela revient au même, tout comme Depardieu d'ailleurs. Tant de passé, Dewaere et les autres, c'est normal... Il n'arrive plus à se décider...

 

Alors, alors médiocre et sans passion, il remet indifférent à plus tard sa fin grandiose entourée de filles nues magnifiques, d'argent, de gloire, ou de représentations sur papier glacé de filles nues magnifiques, d'argent et de gloire...

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Nécro Marie-Christine P.

Publié le 8 Novembre 2010 par Luc dans Embannoù-kañv (Nécrologies)

Marie-Christine nous a quittés sans fanfare

Ni trompettes, dans une cérémonie sans fards.

Il y avait quelque chose de tutélaire

Dans cette personnalité autoritaire,

Mais empathique, à l’écoute, enfin, attachante

Pour tout dire. Et devions-nous alors voir en elle

Le symbole d’une époque révolue, celle

Où les paroles prononcées étaient tranchantes,

Justes et franches d’un fort et vrai caractère ?

Le sceptre désuet d’engagements honorables

Sans liens avec la modernité détestable ?

Foin de ça et de tous ces faux thuriféraires !

Qu’on se le dise, le message d’humanité

Certes parfois austère, par elle délivré

Devra rester dans nos mémoires invitées

A la fêter vraiment, sans tenues ni livrées.

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Rêve 89 Du bureau individuel à l'openspace...

Publié le 4 Novembre 2010 par Luc dans Dégradation (du 1-7 au 30-12-10)

Ah ! Me voilà revenu de congés payés ! Nous sommes au bureau, à déconner dans celui de Christophe B. Un peu comme d’habitude, mais je décèle rapidement quelque chose d’étrange dans l’ambiance. Je m’en soucie peu dans un premier temps, plaisantant même sur le fait que je n’ai pas mis de cravate sur ma petite chemise Karl Lagerfeld, gris sombre à col et poignets en feutre noir. Voyant qu’ils ont tous la même cravate, signe de notre appartenance au Groupe C., je me moque d’eux en mimant une strangulation en resserrant mon col ouvert. Leurs mines s’avèrent pourtant graves derrière des sourires sincères mais bien brefs.

 

Je me dirige donc comme à l’accoutumée vers mon bureau individuel, petit mais tellement à mon image que je ne m’en passerais pour rien au monde, à peine distant de cinq mètres. J’ouvre la porte, la clé fonctionne, mais je constate que trois slots y ont été installés en ligne sur le côté gauche, trois postes informatiques séparés par des cloisons anti-bruits transparentes, culminant à un mètre soixante à peine au dessus du vieux lino. Tout le côté droit de mon bureau n’est donc plus qu’un couloir d’accès à ces trois postes de sardines, et disparu ma bibliothèque, mon vaste bureau hors d’âge et ma chaise ergonomique marron soviétique !

 

N’envisageant pas un instant de travailler dans ce cadre dématérialisé et soumis à la promiscuité, j’en conclus sans délai que durant mes congés, on a simplement déplacé mon bureau dans le cadre d’une réorganisation plus générale. Je ne suis pas encore au courant et voilà tout. Je me souviens dès alors qu’une fois, on avait profité d’une courte absence pour enlever les affiches qui décoraient soigneusement et totalement la large fenêtre transparente située à côté de la porte d’entrée de mon bureau. Je ne m’étais guère réjoui de la transformation de mon antre silencieux en vulgaire bocal, mais avais dû composer, témoignant d’une faculté d’adaptation dont je ne me pensais pas capable. Car au début, cette vitre était tellement dérangeante. La perception du bruit et du mouvement n’est pas la même selon que l’ou peut ou non voir ce qui se passe dans le couloir. Pas d’élément visuel égale pas de réaction particulière aux stimuli extérieurs à base de bruit ou de mouvement. L’ouverture transparente sur le monde extérieur déclenche la crainte et la curiosité, le torticolis garanti, aimanté que l’on est par qui passe ou s’attarde devant la fenêtre du bocal.

 

Cessant ces réflexions, je me dirige d’un pas décidé vers l’ancien bureau de la paye, persuadé que l’on a dû me mettre là. Mais non, suis-je bête ! C’est le bureau de Christophe B., dont je viens précisément, que ne m’en souvenais-je pas !? J’ouvre toutes les autres portes du couloir et l’on finit par me faire signe que je suis enfin parvenu à mon poste de travail.

 

Un bureau lumineux, bien plus vaste que le précédent. Une promotion ? Non, Sire, un open-space… Quatre postes installés en ligne sur le mur gauche et un à angle droit par rapport aux autres situé là, juste à gauche en entrant, le mien ! Les quatre autres opérateurs vont pouvoir regarder ce que je fais en temps réel, ce que je hais. Ils vont pouvoir écouter mes entretiens téléphoniques, ce que j’exècre. Ils vont pouvoir rendre compte de mes moments de latence, de réflexion, de rêverie, de travaux personnels, ce que je ne saurai supporter une seconde.

 

Je sors de l’endroit ivre de lumière blanche, moderne, conforme à tous les standards anglo-saxons d’organisation du travail et claque la porte au nez de tous ces principes de merde, annihilateurs de créativité.

 

Je claironne avec assurance dans le couloir que je vais aller voir mon chef et lui poser ma démission sur son bureau… individuel. J’échange quelques paroles avec les salariés que je croise en posant, plus ému cependant, que :

 

- C’est du harcèlement moral.

Ils savaient que j’en avais toujours fait une question de principe,

que la souffrance au travail en open-space serait pour moi insurmontable.

Ils l’ont fait quand même, sans me consulter,

alors que j’aurais pris n’importe quoi, un placard à l’autre bout de l’entrepôt,

mais tout seul, bordel !

Ils l’ont fait quand même, alors je leur colle ma démission ! -

 

Sitôt ma tirade achevée, je tourne de plus en plus vite dans les couloirs, le labyrinthe de la nouvelle organisation, et les larmes emplissent mes yeux. Mon pas est de plus en plus éperdu, de moins en moins décidé, et les larmes coulent maintenant le long de mes joues tendues, creusées.

 

Ma tête bourdonne et se liquéfie sous la souffrance, fond, va tomber.

 

Ils n’auront donc pas eu grand-chose à faire pour l’avoir.

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