388 Du 02-10-01
au 08-10-01
Les jours passés et aujourd’hui, j’ignore comment je parviens à ravaler mes émotions, un peu plus amer et ironique peut-être, ce que les gens peu à l’écoute ne décèlent pas. Or personne n’écoute.
Les questions demeurent telles quelles, sans réponses précises... Je me trouve à la fois en colère et amoureux, lucidement cynique et abruti de contemplation...
Je suis...
Un Luc méchant... A la réflexion, et celle-ci ne porte guère à la gentillesse ravie, tu ne nous a pas laissé la moindre chance. J’avoue ma colère. Toi qui disais ne pouvoir faire l’amour qu’avec l’être aimé de tout absolu, toi qui disais ne pouvoir aimer que passé le long temps de l’apprentissage, de la connaissance de l’autre, tu m’assènes ta certitude insolente, issue de quarante-huit heures de copinage insensé. Tu vas à l’encontre de toi, tu as forfait, parjuré les plus profondes de tes idées, justement celles en lesquelles je te rejoignais, mais pour ma part, les actes sont allés dans le même sens. Cela n’a pas été ton cas. Tu as cédé sans interrogation, sans réflexion ni conception de la gravité de l’acte. Tu t’est absoute et soumise à la pulsion ; tu t’es ravalée au rang de l’animal sensible que tu as tout fait depuis quelques mois pour construire et t’y identifier, l’hybride monstrueux d’une psychanalyse d’escroc et de la peur de nous.
Ta terreur te fait souhaiter le “bon” couple, bien établi, te fait désirer ces fameux voyages et le projet dans l’action pure, les voiles opaques de ta conscience, la drogue merveilleuse qui fait oublier de penser... et de rêver. Rêver de voyages lointains, c’est songer sans but à l’ailleurs pour l’ailleurs, dans la crainte physique et instinctive d’affronter quoi que ce soit de proche et animé. Se comporter follement dans l’ailleurs est du crétinisme : ne pas oser le dixième chez soi (le fameux “formalisme”, si cher à tes yeux !) des comportements aberrants arborés ailleurs, érigés en maigres concepts plutôt qu’adoptés en conscience, et pour lesquels tu me reprochais mon absence d’adhésion, relève de l’indignité, de l’hypocrisie et de la mythomanie.
Que n’as-tu exercé cette mythomanie pour un instant nous imaginer un avenir...
Je ne connais pas l’intrus. Il n’est peut-être qu’un ersatz, qu’une ampoule bientôt grillée, le saint amour ou le membre viril démesuré d’un rêve sexuellement déviant, voire le portefeuille garni que tu as tant appelé de tes prières... Tu n’as pas eu le courage de l’humilité matérielle, du voyage intérieur, de la passion mortifère dans un univers confiné. La peur t’a fait désirer la fuite, comme un mouton se jette dans un ravin quand un gamin imite le cri du loup. La terreur du triste constat (“la mort est la raison finale de tout”) t’a serré la gorge d’un espoir vain, que reflétaient aussi les yeux traîtres et minaudant de Maëlle, huitième merveille du monde et pourfendeuse de nous, dont le babil hasardeux retenait plus ton attention sourde que mes paroles, de quelque nature qu’elles fussent.
La rage monte en moi quand je me souviens de ta phrase “Je te l’avais dit depuis avril”, en balayant mai et juin d’une périphrase sans tenue, morne nonobstant dans ta bouche. Cela sonne à mes oreilles comme le glas du “Je ne vous ai jamais rien promis” d’une certaine Viviane. Ta présence à ma table, dans mon lit dans l’entre-temps, me faisaient part du parfait inverse.
Je ne connais pas l’intrus et ignore encore comment tu as pu deviner en si peu d’heures votre connexion intime, vos souhaits communs, juger “qu’il n’est pas un coup”, imaginer ta vie future avec lui sans l’ombre d’un doute, consommer sa chair sans dégoût, faire théoriquement de lui un “sportif” (bien sûr que je ne l’étais pas !).
Je ne veux que récuser ton “Il ne faut plus que l’on ait de relations sexuelles”... Quelle attention et quelle torture dans ces mots... Quelles relations sexuelles !? C’est d’amour dont il s’agissait, fût-il désespéré. Les rougeurs carminées de ta poitrine ne laissaient guère place au doute.
“Je ne t’oublierai jamais”, ajoutais-tu : avoir, sans refuser au moins une fois l’obstacle, accepté sa pénétration (je constate avec tristesse que contrairement à moi, souviens-t’en, peu d’hommes peuvent prendre patience pour acquérir une certitude amoureuse, une hauteur et un honneur : c’est bien dans l’attente que l’amour grandit ; dans la précipitation, seul le sexe grandit, brièvement), c’est m’oublier, m’effacer, me couper en deux sans avoir pris le temps de me prévenir de ma condamnation dans les formes... pris le temps d’exécuter la sentence à un moment où je ne m’y attendais presque plus, dans un ultime souci d'humanité... qui t’a échappé.
Je suis...
Un Luc amoureux et jaloux, oublieux des règlements de comptes. Comment te l’avouer en contrariant l’orgueil maladif de celui qui n’a jamais été quitté, qui avait jusqu’à présent toujours tiré froidement les conséquences de la putréfaction d’une histoire désormais endeuillée ?
J’aimerais tant que tu reviennes sur ta décision, que tu reviennes tout court. Qu’ai-je été ? Je t’ai caché tant de choses et refusé tant d’autres. J’ai décliné l’offre de vie commune, en sachant sûrement que cela nous condamnait, par peur (aussi !) sous le sublime prétexte de “prendre le temps - on a tout notre temps”, sans rien changer (le voulais-je ?) à ma vie. J’ai préféré rester seul lorsque tu désirais passer du temps avec moi, dussé-je te pousser vers la porte, vers notre perte, avec un ménagement hypocrite.
Même si tu n’as pas vu ou voulu lutter contre mon angoisse, j’en assume les conséquences... J’aurais pourtant été si facile à vaincre : un mot de toi et tout était joué, dans cette manie d’attendre, d’être mis au pied du mur, puis de regretter après coup de ne pas l’avoir été tout en s’en étant défendu de toutes forces !
Pas plus que je n’ai eu le courage de t’avouer mes fantasmes, par trop excessifs ou présomptueux pour ma personne, démesurés par rapport à la haine de ma propre nudité, et cela même si j’éprouve moins cette honte, cette tache, après toi qu’avant. Tu as su libérer en moi quelques sentiments et postures impudiques, mais ne m’as pas laissé le temps d’assouvir le corps que je t’aurais désiré, le corps d’une statue vivante et chaude, d’émeraude mouvante, joyau lisse et humide.
Tu as également su me changer de forme et de fond, pour savoir maintenant placer le sarcasme à propos, se l’épargner quand il serait malvenu, pour avoir développé l’écoute et le contact, fait admettre la pulsion irraisonnée, le sentiment exprimé.
J’aime ton corps et ton esprit, curieux, volages. Tu es, a été - Qu’en sais-je ? - ma chance... trop brève... Je ne te mentais pas en jouant avec Maëlle, mais tu me l’as bien retirée, pour des raisons que j’ignore, sans avoir eu le temps de l’assimiler. Déjà un soupçon de départ, dans ta peur de ses comportements dans ma maison, que tu devais bien ressentir comme étrangère alors...
Je vis dans la douleur et tu ne peux t’en accommoder... Cela n’empêche pas mon amour décousu, mon coeur de s’arrêter lorsque j’entends ta voix au téléphone dans un bureau voisin, et qu’à ma blessure je n’y décèle aucune émotion, aucune souffrance, juste une certitude administrative déclamée dans ce lieu professionnel que j’aurais imaginé insécable de ma propre personne.
Peut-on oublier l’amour quand celui-ci existe, même unilatéralement ? Tu parais vouloir t’en convaincre... Je t’en conjure, Pascale Auger, explique-moi pourquoi tu me quittes pour un autre, pour quelles raisons, pour quels sentiments vrais qui lavent nos étreintes, purifient tes buts ?
Egoïstement, suis-je à ce point transparent que ma présence devant tes yeux échappe à ton regard ?
Amoureusement, peux-tu m’oublier si rapidement ?
Différentes couleurs, différentes ombres nous baignaient, comme si chacun possédait un soleil ne suivant pas la même course, mais dont les rayons se reflétaient tous dans mes yeux grands ouverts, emplis de larme et plongeant dans les tiens jusqu’au coeur de ton être...
Je n’ai jamais cru que des éléments matériels suffisaient à vaincre l’éternité de l’amour vrai. J’avais sûrement tort.
Je suis...
Un Luc cynique et lucide sur le monde, qui ressent pourtant le fol espoir de ta rétractation, qui ne place la charge qu’à l’équilibre entre nous deux. Trouve donc ce que j’aimerais de toi entre la rose, le réséda et tant de mots dont ta froideur feinte nous sépare, le pressoir. Ecoute le pressoir.