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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

Jeune sexe

Publié le 29 Septembre 2005 par Luc in Marseille (du 2-4-97 à février 1998)

 

Aujourd’hui, les péripéties de sa vie lui paraissent bien mornes. Les “pourquoi” incessants de son fils, à propos de tout et n’importe quoi, ne l’arrachent plus de ses pensées troubles. L’image de cet enfant, animal étonnant s’il en est, bougeant ses lèvres silencieusement, tourne autour de ses genoux, puis semble vaciller, devenir floue, puis s’évanouir complètement, par manque d’intérêt sans aucun doute.

 

Quoiqu’il en fut, le souci essentiel de l’homme assis était à mille lieues des vains agissements désordonnés de son rejeton, des maints vagissements intéressés de sa fille. Les limites de l’une, “That propell emotion” ou “petrolerhead”, parfaitement invisibles, se fondaient dans l’image muette du premier. De cette fusion, il revenait à la photographie qu’il triturait machinalement depuis des mois, cette fameuse photo d’un coucher de soleil absurde, commun et touristique, mais qu’une ombre venait faire douter.

 

Cette obscurité ne s’appréhendait pas. Elle semblait grandir à la mesure de la maladie de l’homme, elle aussi incompréhensible d’ailleurs. Se versant le quatrième whisky de ce début de soirée, il ricana de son access prime time, en s’interrogeant sur les raisons de cette inhabituelle sobriété. L’hyperactivité du gnome questionneur en était sûrement la cause, à l’instar de la bruyante hypersomnie de sa fille. Tout se serrait donc autour de lui, qui n’aspirait qu’à saisir de deux mains fermes sa maladie, par les épaules, lui cracher au visage en hurlant : “Qu’as-tu à me tourmenter ainsi ?! J’irai de moi-même à la tombe !”.

 

L’étrange pathologie recouvrait de nombreux effets secondaires, réels ou somatisés. Les troubles visuels s’avéraient les plus gênants, au travers des lunettes qu’il ne quittait jamais, quelle que fut la circonstance. Certains matins, sa peau lui paraissait écailles larges et plates comme un toit d’ardoises entourant deux yeux rouges, lui rappelant ceux d’un lapin ukrainien atteints d’une myxomatose toute particulière. A hauteur de ces curieux globes oculaires, deux oreilles pointues venaient dresser leur sommet acéré vers le luminaire dorique de la salle de bains, savamment baignée d’une fragrance artificielle de jasmin.

 

A la névrose physique, lorsque personne à son grand désarroi ne relevait son état critique, venaient s’ajouter des troubles mnémoniques. Il s’imaginait être marié, l’avoir été, à Claudia Schiffer sans que la face abrutie de son fils la lui rappelât en aucune façon.

 

Le cinquième whisky ponctua le malaise croissant. Quel Dieu incohérent le suppliciait ainsi ? Il aurait voulu se lever pour le gifler et lui répéter la triste ritournelle du libre choix ultime qu’il destinait à son autre interlocutrice impitoyable, la maladie : “Eh ! Qu’as-tu à me tourmenter ainsi ?! J’irai de moi-même à la tombe !”.

 

Le sixième whisky l’étourdit un peu, et répondit à ses attentes d’oubli ; quelques secondes encore et la douleur fuirait devant l’afflux de pensées incontrôlées. La douleur n’est qu’illusion, comme la faim, le froid, le pain et le riz. L’érotisme dénué de toute vulgarité causé par la mise à l’écart provisoire de la souffrance montait en lui tel le léger ressac d’une mer calme sur la côte décharnée de Gavr’inis.

 

La vision fugace s’imposa de sa fille nue, debout et magique dans les rues de Bangkok, s’adressant à un touriste américain replet dont la concupiscence lui faisait encore vibrer les tympans. Elle était si menue du haut de ses douze ans. Au dessus de ses pieds enfantins couronnés d’étroites chevilles s’allongeaient deux mollets fins dont les courbes languissantes allaient s’épaississant vers le galbe juvénile des cuisses, à peine heurtées par l’intervention subreptice de genoux arrondis. Deux pommes fermes constituaient la base de la radieuse ellipse des reins cambrés et du dos altier, masqué en ses cimes par la longue chevelure brune.

 

Le quinquagénaire tant dispendieux que libidineux accepte l’offre et elle se retourne pour l’emmener au plus secret de l’alcôve sordide. A peine le temps de se graver la mémoire de son profil que deux seins naissants venaient miraculeusement équilibrer, qu’elle dévoila son côté face, pour lequel la poitrine se réduisait alors à deux petits boutons si masculins. La finesse de sa taille se trouvait contrebalancée par l’étroitesse de ses épaules et l’arrondi de son ventre adolescent.

 

Pourquoi, à ce saint instant où la rougeur incestueuse de ses yeux se décidait dans une fulgurance orgasmique à déceler le sexe glabre et fin de sa tendre fillette, dut s’interposer entre elle et lui le fameux tableau “L’origine du monde” de Gustave Courbet et que soudainement le jazz se mit à jouer virulemment ?

 

La représentation d’une vulve monstrueuse dominant la scène où quelques musiciens désoeuvrés rejouaient pour la septième fois, à la demande générale, “The girl from Ipanema”, rappela à l’homme assis l’ensemble de ses douleurs, substituant aux sensations érotiques les perfides morsures de la maladie.

 

Il n’y eut pas de whisky suivant, même dans l’espoir de repêcher avec avidité le souvenir disparu, car le numéro 7 de la suite avait été pris par les jazzmen, et le septième whisky n’aurait su, dans l’âme logiquement élevée et douloureuse de l’homme assis, porter le numéro 8, dans la simple mesure où le précédent était le sixième.

 

Instabilité émotionnelle et logique ontique font mauvais ménage.

 Savoir passer à autre chose s’avançait comme le seul mot d’ordre sensé. Il avait tant ri des naturalistes, des poètes prônant le changement et le départ, des femmes qui ne pensaient, dans leur futilité coutumière, qu’à “changer d’air”, “bouger”... Aujourd’hui, alors qu’il ignorait si la maladie incubait, , se déclarait, était réelle voire, il se rangeait indiciblement à l’opinion générale écologisante. D’un sourire jaune, il réprima un haut le coeur devant cet expédient des faux désespérés, mais il était écrit qu’il boirait la coulpe jusqu’à la lie : il partirait dès le lendemain.

 

Où et comment ? En équiplane, à dos de cazoar, en roulotte... En roulotte, son aversion innée pour le cheval l’incita à opter pour cette solution.

 

Le regard suppliant du petit monstre bondissant allié au fracas revenant de la chambre de sa fille le conforta dans sa décision. Après tout, Claudia tirerait fort bien la roulotte familiale...

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