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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

ma c'halon koar (du 6-1 au 24-6-10)

Brasse coulée

Publié le 13 Mai 2016 par Luc dans Ma c'halon koar (du 6-1 au 24-6-10)

Tout mon corps se fend,

D’efforts, d’invitations,

Et se craquèle, menace

Ruine.

Le malaise gagnant,

Le match et sa destination,

Je me trouve en nasse,

En bruine.

Point de mai plus lent

Dans ma déréliction

Que celui-ci, tenace

Ruine.

Je demeure à cran,

Le corps sans passion,

Qui me harasse

Sous bruine.

Il va falloir sang,

Aller sous tension,

Pour qu’enfin passe

Ruine.

Se réveiller dormant

En toute illusion,

Sortir d’une impasse

De bruine.

N’y croyant cependant

Guère, mon affliction

Dans la bruine s’agace

De l’inévitable ruine.

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Jam session ou le musicien raté

Publié le 30 Août 2013 par Luc dans Ma c'halon koar (du 6-1 au 24-6-10)

 

Cela avait commencé là, dans cette avenue sans passage bordée de tilleuls, puis d’immeubles gris. J’étais endimanché. Un costume et une cravate noirs, une chemise blanche et des souliers soigneusement cirés venaient me donner fière allure, nécessaire dans la mesure où je me trouvais à côté de David Bowie. La clarté opaque de la ville grise, les grains de sable lumineux autour des petits cailloux blancs du parc où nous marchions, de l’autre côté de l’avenue, me faisaient l’effet d’un monde sans couleur, une vieille pellicule de Super 8 en noir et blanc, crachant et sautant, striée de filaments noirs.

 

Les filaments blonds de David étaient plus désordonnés qu’à l’accoutumée. On aurait dit la coiffure de John Lydon ou d’Andy Warhol. Son visage était fermé, concentré. Ce n’est qu’alors que je vis les instruments de musique, disposés dans une formation rock des plus classiques. Il m’invita à le suivre et me confia la liste des chansons que nous allions interpréter, avec les tablatures sous chaque titre. La simple idée de jouer dans la rue avec Bowie sans avoir répété minutieusement auparavant me mit dans un état rare d’angoisse. Mais il était trop tard pour reculer : les musiciens avaient commencé l’appel introductif au concert, « ar galv… » songeai-je en breton.

 

Je me rendis bien vite compte qu’une bande son accompagnait les musiciens, probablement pour suppléer à toute défaillance. David me fixa alors d’un œil sévère, les mâchoires crispées, dans une nette surexposition faisant presque confondre son visage avec le faible soleil qui traversait les tilleuls. Il me tendit une flûte à bec et son air ne pouvait me laisser interpréter quoique ce fût : il fallait que j’en jouasse sur la chanson qui avait débuté. Ignorait-il que je n’étais pas flûtiste mais bassiste et éventuellement guitariste à mes heures ? Ne savait-il donc pas que les seules choses que je susse jouer correctement à la flûte étaient « La jument de Michao », « Cad e sin don te sin », « Le Phare » et la « Suite sud-armoricaine », et encore, avec difficulté s’agissant de cette dernière ?

 

Je m’appliquai néanmoins à ne pas le décevoir, pris l’instrument en bouche tandis que je maintenais les tablatures entre mes jambes serrées, et tentai de trouver la note de base des accords joués par les autres membres du bœuf. Je n’y parvins pas. La position inconfortable peut-être ? Bien au contraire, la bande son me renvoyait incessamment ce que j’eusse dû jouer, une envolée en triples croches, une chromatique… Et je bavais avec obstination sur cette damnée flûte dans laquelle je soufflais de moins en moins fort, paralysé par mon incompétence, ma médiocrité de musicien raté. Agacé, Bowie voulut saisir l’instrument et me le prendre, mais je résistai, ne fût-ce que pour essuyer le conduit, ce que je fis avec mon pouce. Cette attitude eut le don d’exaspérer David, qui compara mon geste à celui de gratter avec l’ongle du pouce le fond d’une cuiller de bois destiné à touiller le lait d’enfants.

 

Je baissai la tête et fixai cette cuiller de bois au-dessus de la casserole où le lait chauffait. Puis je la rabotai consciencieusement de l’ongle de mon pouce jauni, tâche inamicale et répétitive qui me laisserait tout le temps, alors que la clarté diminue et que les nuages s’amoncellent, de méditer sur mon intense médiocrité de musicien et d’homme.

 

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Souffle printanier

Publié le 30 Mai 2013 par Luc dans Ma c'halon koar (du 6-1 au 24-6-10)

Face à la fenêtre trop basse, me voici confronté à un printemps bien singulier. L’air matinal agite vertement dans une froide humidité, quelques branches dépenaillées aux rameaux naissants. Lorsque la vie devrait monter, m’emplir d’un enthousiasme de résurrection, des feuilles nouvelles m’obscurcissent la vue, à un mètre à peine. Elles sont jaunes. Ni boutons d’or flamboyants ni pissenlits fantasques, non, un vieux jaune qui sent l’automne et fait pencher ma tête soudain si lourde.

 

La honte et le dépit me reprennent avec d’autant plus d’ardeur qu’ils m’avaient semble-t-il fiché une paix royale ces derniers temps. Le cortège habituel des émotions contradictoires dont ils sont la cause ne tarde pas : oppression, épilation maniaque des sourcils, vitrification des yeux, mutité, nécessité de perte de poids, éviter soigneusement tout reflet trop offensant.

 

Le peu d’énergie du matin déclinant s’est écoulé sans bruit par la fenêtre trop basse, qu’il a fallu refermer avec peine, en claudiquant courbé vers d’autres obligations, sûrement moins lourdes à porter, plus faciles à remplir que la joie de vivre en un printemps décevant.

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R81 Mon Big Lebowski intime

Publié le 12 Mars 2013 par Luc dans Ma c'halon koar (du 6-1 au 24-6-10)

Je vole dans un air insipide qui ressemble fort à un film américain du dimanche soir. Je survole cette sombre histoire de salariés qui se font virer de leur emploi et sombrent dans l’engrenage du chômage. L’alcool, le renoncement, les robes de chambre tout le jour, le déni, les pantoufles, la colère, en parfait ordre. Toutefois, quelqu’un de leur vieille entreprise les rappelle, un cadre à peine quadra, les cheveux noirs coupés courts, de petites lunettes sans monture très tendance, la voix grave et assurée, un peu vulgaire. Il les rappelle un à un pour leur proposer de « revenir » dans un cadre de sous-traitance, en laissant accroire chacun qu’il est le seul à avoir été recontacté, induisant nécessairement une obligation de discrétion, emplie de reconnaissance et d’égoïsme. L’un d’eux a le visage du héros de Big Lebowski, John Goodman je crois. Sitôt qu’il a raccroché le téléphone, vêtu d’une robe de chambre rouge de velours et de pantoufles, le visage rond, gras, mal rasé, ses petits yeux cachés derrière des lunettes, il se tourne vers l’entrée de la cuisine, dans un halo lumineux jaunâtre et lève les bras au ciel dans une image de victoire dérisoire. Victoire ! Victoire pour la famille des Barbapapa ! Et vive l’auto-entreprenariat… Mais un autre salarié refuse ; « Je ne reviendrai pas », articule-t-il de manière inquiétante, de la voix grave et rauque submergée d’alcool, dans une semi-obscurité bleuie et métallique. Alors le jeune cadre se lève et se retrouve vieil homme amaigri, à la tignasse chenue et désordonnée, l’œil fixe et sans compréhension, sourd à la révolte et la fierté tandis que mon vol fini m’en éloigne maintenant.

 

Le lendemain matin, il me faut retourner au travail. Je suis classiquement vêtu d’un costume et d’une cravate sombres. L’un de mes collègues me dit que « tout va changer », qu’il a eu vent d’un grand mécontentement de notre big boss, qui exigerait désormais le port de la cravate réglementaire, griffée au nom de notre compagnie, ainsi que de badges nominatifs manifestant notre appartenance au Groupe. Ressembler à un homme sandwich, transparent derrière ces ultimes atteintes à la vie privée ? Jamais, pas pour moi pense-je en entrant dans une maison qui n’est pas mon bureau. La maîtresse des lieux révèle une origine maghrébine, malgré son absence d’accent et son allure européanisée. De nombreux enfants courent partout dans des odeurs de raz-el-hanout. Je souhaite me laver les mains, mais face au haut lavabo de grès, je ne parviens pas à identifier le savon. Peut-être cet objet, là, informité de plastique violet disposée sur le porte-savon ? Je m’en empare pour constater qu’il ne s’agit que d’un jouet. La femme en conçoit moult deuil et m’indique en soupirant une bouteille située sur la tablette adjacente au lavabo : un bidon de lessive en la forme, mais transparent et à l’intérieur duquel j’ai constaté un enchevêtrement de tuyaux multicolores, de taches de couleurs vives et de tailles diverses, ce qui m’avait fait de prime abord prendre l’ensemble pour un objet d’art, l’œuvre inutile d’un designer tout aussi inutile. A y regarder de plus près, l’amas coloré cache un mécanisme distributeur, de savon bien sûr, que je fais fonctionner et qui à ma grande surprise marche. Enfin, il ne produit que de la mousse, et je m’en accommode.

 

Mes ablutions effectuées, je peux rejoindre la réunion à laquelle je m’étais rendu, par un vestibule peu chaleureux, l’intérieur d’un bunker atlantique. Sortant de la pénombre, je remarque immédiatement un homme en costume muni de clubs de golf, qui se comporte comme si le vestibule était un practice. Il répète son swing, choisit soigneusement un fer, six peut-être, de toute façon je ne connais de ce sport que ce que j’en ai appris de sa version sur la console Mattel Intellivision en 1983. Des sons métalliques, des percussions ou mieux, des détonations m’inquiètent alors. Je constate rapidement que le vestibule n’est rien d’autre que la zone de sécurité située derrière les cibles d’un champ de tir, à balles réelles. Cette certitude m’est acquise quand je vois que les bruits identifiés ne sont autres que les balles qui ricochent sur les hautes plinthes métalliques de type hockey sur glace. Elles heurtent tout d’abord un panneau situé près de moi, puis font le tour du vestibule en glissant sur les autres panneaux soigneusement orientés dans ce but, puis ressortent sur ma droite en ligne, par petites files indiennes discontinues, en grappes sombres. Compte tenu de ce circuit, en serrant sur ma gauche, je ne devrais avoir strictement rien à craindre d’elles. Je sors avec précaution du vestibule tandis qu’arrivé sur l’herbe, je vois des volées de flèches s’abattre sur le côté droit de la sortie. Il y a donc de l’archerie également. Tournant ma tête vers le lieu supposé de la ligne de tir au fusil, je vois un coup partir dans une sphère de fumée blanche, et la balle me reste visible, ainsi que son sillage. Elle ne doit pas aller à plus de 150 km/h, ce qui est un prodige de lenteur, et explique peut-être la ronde minutieusement ordonnée des balles atteignant le vestibule. Je repense à Matrix, un peu amusé.

 

Mais ça y est, je vois mes collègues de bureau, et les rejoins en évitant sans grande difficulté les quelques balles traçantes encore tirées. A mon étonnement, une partie de foot s’est engagée, que je dois rejoindre. Je m’y attelle malgré mon costume, assez inadéquat en la circonstance. Je grimace sous peu, songeant que tous les tee-shirts s’avèrent dépareillés. Je prends pourtant facilement le ballon à une compétitrice maladroite, enchaîne quelques dribbles, mais ne sais ni à qui passer la balle, ni même où marquer le cas échéant. Je la laisse donc à un grand type en dossard noir, connaissant à l’évidence autant ce sport que moi le jardinage. Nul ne répond à mes demandes de composition des équipes, d’organisation des postes.

 

La chaleur me gagne et je décide de retourner dans la maison via le vestibule pour y trouver de l’eau. Là, je constate la mort de mon golfeur de tout à l’heure, sûrement touché par une balle perdue. Je me saisis d’un lui en plastique, en latex, un pantin articulé, et le dispose sur un tabouret en position concentrée, pour ainsi dire recueillie. Il s’avère ne pas faire un mètre vingt. Sarkozy ? Mais je ne me laisse pas le temps de m’en étonner, car le député-maire passe devant le vestibule, accompagné et poursuivi d’une meute de journalistes et d’officiels, l’air grave et décidé. Je me faufile dans la cohue et rejoins mes partenaires d’entreprise au titre de la nécessaire communication institutionnelle, raison définitive de ma présence ici. Il me faut pourtant étancher ma soif. Elle est là, la table sur tréteaux, et elle est là, la bouteille d’Evian, pleine d’eau tiède et de particules en suspension, attestant du nombre de personnes ayant bu à son goulot. J’en bois sans dégoût, pensant à la mort qui s’annonce de partout, pensant à ce condamné à mort qui déclarait après avoir trébuché sur une marche de l’échafaud : « Mauvais présage… ».

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Cristallisation

Publié le 8 Février 2013 par Luc dans Ma c'halon koar (du 6-1 au 24-6-10)

Quelle est cette neige que je pensais glacée

Et qui vient s’effriter en blancs cristaux cassés,

En poussières aqueuses sous un pied connu ?

Je ne pouvais le soupçonner ni l’avoir su.

 

C’est avant l’aurore que nous fûmes surpris

Par le trouble, et c’est avant l’aube sans abri

Qu’a creusé mon corps reniflé l’ire fatale,

Que tout s’est détruit en moi, de bris de cristal.

 

Je traîne ma carcasse de verre pilé

Sous le soleil matutinal, la tête enflée

Couvrant ses oiseaux apeurés hurlant leur deuil.

 

Dans le fracas du verre, écroulé sur le seuil,

J’embrasse encore l’air, puis renifle les feuilles,

Pour sentir en mon cœur une lame effilée.

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Céphalée

Publié le 3 Janvier 2013 par Luc dans Ma c'halon koar (du 6-1 au 24-6-10)

La tristesse est immense, du matin fatigué,

Le fond de l’œil lacéré dans l’air par trop dense.

Grande est la tristesse de mon âme irriguée

A grands flots dévastés en sanglante cadence.

 

Nous aurions pu croire en le renouveau des jours,

Qui nous ont bien joué le tour fameux de l’accroire

En la bonne mémoire des temps de douceur,

De caresses, d’amour, du bon côté de l’histoire.

 

Mais la douleur nous saisit pourtant de bras grêles,

Qui nous glacent et gèlent sans aucun répit,

Nous font décrépis, piteux, vermoulues crécelles.

 

Et ces gorges de miel rêvées, le champ d’épis

Dorés, dans le dépit disparaissent du ciel

De nos espoirs sans fiel en ce matin épris.

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Ma c'halon koar

Publié le 29 Novembre 2012 par Luc dans Ma c'halon koar (du 6-1 au 24-6-10)

Dans les effluves malheureux du printemps

Avec l’acide de mon estomac montant,

Le tant prévisible devait survenir

Dans l’instant, pourtant sans prévenir.

 

La logorrhée du ciel laiteux et suintant

Ne cesse de me renvoyer, haletant,

A mes souffrances passées, de quoi tenir

Face au pire que prépare l’avenir.

 

Alors elle a fini par dire, avouer s’entend,

Que son cœur avait frémi palpitant

Pour un autre que moi, au flatteur sourire,

Aux compliments troussés qui font frémir.

 

Elle me l’a dit, pleurant et hésitant

Sur la nature de ce qu’il nous reste de temps,

Son rêve d’être mise en reine d’Epire

Sur le trône de l’adoration, un rêve de luire.

 

Je demeure pour ma part sombre comme le temps,

Un Saturne immobile et sinistre tentant

De saisir le lien entre l’amertume, l’ire,

Le fol espoir et l’envie de ricaner, puis rire.

 

Je livre bonne face, triste et digne, évitant

L’esclandre, l’envolée, le cri éructant,

Pour une compréhension bonasse, ivre

Du coup porté à mon cœur lors de cire.

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Cartomancie

Publié le 7 Novembre 2012 par Luc dans Ma c'halon koar (du 6-1 au 24-6-10)

NDLA : il s'agit ici d'un texte de naguère parlant d'un écrit de jadis, que j'ai cru bon d'exhumer ce jour, à l'occasion de la réélection de l'hypocrite libéral Obama...

 

 

Nous nous souvenons tous, peu ou prou, des cours d’histoire de première et de terminale, lorsque nous abordions l’Europe des Nations à partir de l’Empereur, coïncidant avec la Révolution industrielle, l’avènement du capitalisme, puis l’Europe et le monde des blocs, la guerre froide.

 

A l’ouest, la société du Mont Pèlerin et le thatchérisme ; à l’est, la chute du Mur et du communisme, la fin des Etats socialistes, la libéralisation économique, à grands pas et tout crin, avec les dégâts que l’on connaît.

 

Puis l’explosion du World Trade Center, de la bulle Internet, le sarkozysme, l’absurde obamania, les subprimes et l’explosion de la bulle immobilière, les faillites de l’Islande, de l’Espagne, de la Grèce, malgré les gesticulations des banques centrales, la réélection de Barroso, how the West was won… avec le caractère imprévu que se plaisent à reconnaître les analystes à tous ces événements.

 

Et pourtant… un vieux dialogue :

 

« Longtemps il n’a rien voulu dire sur la fin des Etats et du monde contemporains, et sur ce qui renouvellerait complètement le monde social, mais au bout du compte, et avec quelle peine, j’ai réussi à lui tirer quelques mots :

 

-         Je pense que tout cela va se passer de la façon la plus banale qui soit, m’a-t-il confié un jour. Tout bêtement, tous les gouvernements, malgré toutes les balances des budgets et l’absence des déficits, un beau matin vont s’embrouiller définitivement et, du premier au dernier, ils refuseront de payer, pour se renouveler, du premier au dernier, dans la banqueroute générale. Pourtant, tout l’élément conservateur du monde s’opposera à cet état de choses, parce que c’est lui qui est l’actionnaire et le créditeur, et il refusera d’admettre la banqueroute. Alors évidemment ce sera le début, pour ainsi dire, d’un aigrissement général ; on verra affluer le youpin, ce sera le début du royaume des youpins ; et puis, ensuite, tous ceux qui n’ont jamais eu d’actions, en général, ceux qui n’ont jamais rien du tout, c’est-à-dire tous les mendiants refuseront naturellement de participer à cet aigrissement… Une lutte commencera et, après soixante-dix-sept défaites, les mendiants démoliront les actionnaires, leur prendront leurs actions et s’installeront à leur place, comme actionnaires, cela va de soi. Peut-être qu’ils diront quelque chose de nouveau, peut-être que non. Le plus probable est qu’ils feront banqueroute à leur tour. Ensuite, mon ami, je ne peux rien lire dans les destins qui changeront le visage de ce monde. Du reste, regarde dans l’Apocalypse…

 

-         Mais tout est vraiment si matériel ? c’est vraiment seulement à cause des finances que le monde d’aujourd’hui est condamné ?

 

-         Oh bien sûr je n’ai pris qu’un petit coin du tableau, mais, ce petit coin, il est lié à tout le reste, pour ainsi dire, par des liens indestructibles. »

 

Ce dialogue est celui du jeune Arkadi Makarovich Dolgorouki et d’Andrey Petrovich Versilov, sous la main de Dostoïevski en 1875 [1]. Clairvoyance ? Divination ? On peut légitimement hésiter puisque plusieurs lectures temporelles sont possibles de ce dialogue, et entre autres :

 

-         lecture 1, plus clairvoyante : fin des Etats, avènement du communisme, guerre froide et chute du Mur ;

-         lecture 2, plus divinatoire : crise économique mondiale, défense des banques centrales, montée en puissance des anciens PVD qui bouleversera l’équilibre des puissances pour faire la même chose que l’Occident en son temps.

 

Ou simplement rien de nouveau sous le soleil pluvieux de l’humanité ceinte de l’indestructible palais de glace de l’égoïsme et de l’utilitarisme ?



[1] In L’Adolescent (VOL. 1), trad. André Markowicz, Actes Sud, Babel n° 305, 1998, pp. 396-397.

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R80 Bag Noz

Publié le 11 Octobre 2012 par Luc dans Ma c'halon koar (du 6-1 au 24-6-10)

La petite plage du Morbihan est blanche sous le ciel, au bout semi-circulaire d’une patte d’araignée, ceinte de récifs bruns saillants. Il me semble que nous sommes en famille. La mer monte et je commence à ranger les affaires lorsque j’entends Erwann rire et parler, de manière presque lointaine.

 

Je tourne la tête en tous sens, m’élève dans l’air humide se rafraichissant et le vois enfin : il est sur un petit banc de sable à l’extrême pointe de la patte d’araignée, qui se réduit de plus en plus, que la marée vient couper du reste de la terre ferme. De petites fumeroles montent de la terre que le chant nouveau n’emplit plus, et la nuit tombe tandis que la mer et le ciel deviennent noirs.

 

Je me précipite et nage avec difficultés, quelques brasses encore, contre le courant assaillant la côte, et je le rejoins. Je le mets sur mes épaules, mais je n’ai déjà plus pied et son poids surprenant me fait couler comme une pierre. Le soulevant à bout de bras, je sors à mon tour la tête de l’eau et prends une respiration profonde. Je vais essayer de retourner sur la côte sur le dos, va mab [1] blotti sur l’une de mes épaules.

 

Mais Erwann se débat comme un beau diable, paniqué par l’eau agitée, dont le noir ne le cède parfois qu’à l’écume violente de tourbillons resserrés, dans la folie hurlante du courant qui nous emmène loin de notre but, que je ne décèle maintenant plus. Chaque fois qu’il se débat, je coule, et je me noie encore chaque fois qu’il monte sur ma poitrine. Je ne peux le sauver, c’est désormais une évidence. Je me détache de lui et parviens enfin à respirer tandis qu’il s’enfonce petit à petit entre deux eaux.

 

Non ! Je ne peux laisser ainsi mon fils se noyer, fût-ce au péril de ma propre vie. Conservant la tête hors de l’écume sauvage, je cherche entre deux eaux avec mes jambes, et c’est avec mon pied qu’entre deux eaux je retrouve le pauvre petit. Je le remonte à la surface par petits coups de pied successifs. Il semble s’être calmé, les cheveux rabattus sur le front et l’air d’avoir vu le Bag Noz.

 

Le courant nous emmène encore. Je vois au loin une bouée de bâbord, bientôt précédée de petites nacelles de béton, des brise-lames pense-je. Je projette Erwann dans l’une d’elles et me hisse à bord à sa suite. La mer passe à l’étale. Nous sommes sauvés des eaux. Disposant d’un peu de temps, je vois la côte proche. Nous avons simplement fait le tour de l’araignée : je vois bien en pleine nuit la patte sont nous sommes partis, et maintenant son corps, sur le bord duquel se trouve un restaurant ouvert, à la décoration gwen ha du. Non seulement nous ne serons pas morts loin de la Bretagne, mais encore nous sommes bien vivants. En quelques brasses, Erwann sur mon dos, nous rejoignons la côte en profitant de la mer apaisée.

 

Je dispose Erwann muet sur une chaise et m’effondre sur une autre. Sous peu l’on me sert un grand café que je bois d’une traite. L’air pensif, je déchire une rognure d’ongle que je jette en direction de la coupelle mais qui atterrit au fond de la tasse vide. Les deux ou trois serveurs, aux mines sévères et habits sombres, comme tout bon Vannetais, sont agenouillés face à un brise-lame de béton utilisé à titre de décoration. Le même que celui qui nous sauva voici peu. A l’intérieur, notre chatte Brünnhilde refuse de partir, malgré les efforts du personnel. Je m’approche et prononce quelques mots gentils :

 

- Deus amañ, pegen koant out, ma c’hazig ! - [2]

 

Elle bondit promptement hors de sa cache et se dirige vers moi en ronronnant, à la surprise des serveurs. Erwann dort sur sa chaise, et je m’écroule de même sur la mienne, Brünnhilde sur mes genoux.

 

Lorsque je me réveille, Christophe est là, l’air affairé, en train de boire un café. Une tasse pleine et fumante est également disposée devant moi. Ni mon fils, ni ma chatte ne sont plus là. Je dois travailler et avoir rêvé la funeste expérience de la nuit. Je m’en saisis et la bois, avant qu’un bout de miette probablement tombé dans la tasse ne vienne se ficher entre mes deux incisives, et Dieu sait que je déteste cela. Je repose la tasse et dirige mes doigts vers mes dents afin d’y retirer la miette importune. Il ne s’agit pas d’une miette, mais d’une rognure d’ongle, et je ne pense qu’à m’étonner du fait que dans cet établissement, ils ne changent pas les tasses de la veille au lendemain.



[1] Mon fils

[2] Viens ici, comme tu es jolie, mon petit chat !

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R79 Sous l'IAE, la plage...

Publié le 20 Septembre 2012 par Luc dans Ma c'halon koar (du 6-1 au 24-6-10)

Je pénètre dans une vaste pièce éclairée d’un soleil direct et meublée de deux larges bureaux sur lesquels se dressent des monticules de papiers multicolores. Je sais fort bien être à l’IAE pour y être venu rencontrer Olivier, dont le bureau est désert, tandis que me sourit joliment la femme occupant l’autre, avant d’incliner de nouveau sa tête vers le travail en cours. J’ai donc tout le temps d’observer la pièce spacieuse, complètement vide, murs compris, à l’exception de ces deux éléments mobiliers.

 

Un bazar à côté du bureau d’Olivier interpelle néanmoins mon attention : il s’agit de deux amplificateurs, de nombreux jacks en désordre et d’une basse Fender à six cordes. Accoutumé à intervenir à l’IAE pour donner des cours, de légendaires prestations, je me dis…

 

- On va voir ce qu’on va voir ! Je m’en vais leur montrer, moi… -

 

… et m’empresse de brancher la basse sur l’ampli, en veillant soigneusement mais très rapidement à l’accorder avant de presser la touche Mute. J’enclenche le compresseur et suis désormais certain de mon son. Je n’aurai malheureusement pas le temps de le tester : une sensation présente m’indique qu’il est… amplement… le temps de partir.

 

Je m’exécute et prends le chemin du retour. A la sortie du bureau, j’avance péniblement sur le sable d’une plage extrêmement étroite, surexposée, qui me fait mal aux yeux. Au bout de quelques pas, l’incident : une carriole mécanique est affalée sur le sable, tandis que deux hommes semblent travailler à sa réparation. L’engin bloque complètement le passage. J’ignore ce qu’il y a sur ma droite, mais sur la gauche de mon champ de vision altéré, l’eau étroite et infinie, une flotte grise aux mouvements artificiels, une mer pisseuse de film de série Z. Elle ne m’inspire pas confiance. Je tente donc de contourner le mécanicien muet à la face patibulaire, mais une vaguelette grise vient griser le sable sous mes pieds en les recouvrant. Sa froideur de méduse ne m’invite pas à rééditer l’expérience. J’essaie alors de passer entre la carriole et l’homme assis sur un tapis de sol.

 

Ca passe. Par un phénomène étrange, je me retrouve assis à mon tour sur un tapis de sol orange et m’évertue à avancer sur le sable dans cette position.

 

- Han ! Han ! -

 

… meugle-je en poussant sur la plage de mes deux bras, gagnant décimètre par décimètre et laissant derrière moi l’obscur attelage à partir duquel je creuse un sillon d’escargot. Bientôt exténué et surtout me rendant compte de l’absurdité parfaitement inutile de ma posture, je me lève et marche tranquillement, de nouveau sous un soleil ardent.

 

J’entre dans une demeure faite de briques de terre cuite, à la porte basse. A l’intérieur, je me déclare surpris de la grandeur de la salle qui m’accueille, très éclairée nonobstant l’absence de fenêtres, et se terminant, loin au bout, par un grand escalier double quart tournant de pierre claire. Des éclats de voix viennent d’une pièce adjacente, à ma droite. Il est temps de partir, je le sais, avant d’être rattrapé. Marchant au plus court vers l’escalier, je dois longer l’immense table de banquet disposée au centre de la salle.

 

Avec un couvercle de casserole pioché sur l’un de ses coins, je rebouche consciencieusement et de manière sonore chaque pot de verre ouvert que je vois en marchant les jambes fléchies pour me mettre au niveau du bord de la table. J’inventorie soigneusement tous les produits qui s’y trouvent, leurs marques, dates de péremption, caractéristiques des emballages, avec toujours ce même geste de les bénir dans un écho métallique de mon couvercle de casserole.

 

Par petits bonds successifs, je finis par atteindre l’escalier, en monte les marches tandis que les éclats de voix prennent forme humaine derrière moi. Je manipule la lourde porte de bois et sors en remontant la fermeture Eclair de ma parka, soulagé dans l’air hivernal et expirant mon aventure, mon souffle chaud se perdant dans les haies mal entretenues. A quelques dizaines de mètres de moi, je vois alors Anne avec une amie, qui sortent manifestement toutes deux de l’hôpital où elles exercent. Anne me hèle et me demande :

 

- Tu y vas ? -

 

Oui, j’y vais. Je lui réponds :

 

- Oui. Je suis crevé. -

 

Et la tête prise d’une fièvre enflammée, je me dirige vers ma voiture au loin. Dormir. Il n’est rien d’autre à faire dès lors.

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