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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

Le sous-marin de l'autoroute

Publié le 5 Octobre 2015 par Luc in Nerveux vieillard

Réveillé en pleine nuit, à peine deux heures après m’être endormi d’ailleurs, par des brûlures d’estomac que je croyais oubliées, j’avais dû patienter jusqu’à l’aube pour repartir de ce damné hôtel après une indigeste journée de séminaire.

 

Lazzeri était au volant du véhicule pour nous ramener à bon port, au siège, à mon bureau, mon havre de tranquillité solitaire. Il parlait quand je restais muet, en ne conduisant que de la main gauche, son tempérament méridional l’incitant à appuyer ses propos avec des gestes du bras droit. La route était encore obscure et nous croisâmes soudainement un jogger vêtu de sombre sans catadioptres ou lignes fluorescentes. Etait-il complètement fou de courir nuitamment dans une telle tenue sur le bord d’une route sans accotements ? Je pestai encore contre sa face subméditerranéenne aux yeux écarquillés par l’effort quand je vis dans le halo des phares un autre Maghrébin courir sur l’étroit bas-côté. Ses joues maigres entouraient une moustache noire ; ses yeux étaient hébétés, effarés, dans une forme de folie sous l’épaisse masse de ses cheveux frisés en couronne insensée. Je crus même voir ses dents, seul point de lumière dans sa tenue uniformément noire. Mais où étions-nous ?! Qu’étaient ces joggers inconscients ? Il ne s’écoula pas vingt secondes avant que Lazzeri ne dût donner un coup de volant vers la gauche pour éviter un troisième larron coureur d’origine supersaharienne qui cavalait quant à lui largement sur la chaussée. Nous soufflâmes d’un bel élan, nous félicitant d’avoir évité un accident.

 

Lazzeri enfonça le champignon dans la montée qui suivait, et la route désormais sans arbres s’illumina des premiers rayons du soleil. En haut de la côte, dans une grande courbe à droite, nous constatâmes un début de bouchon. A coup sûr l’un des autres lapins matutinaux s’était fait heurté par une voiture. Déjà qu’il faut être malade pour courir et casser genoux puis colonne vertébrale, seuls des drogués pouvaient participer à ces raids nocturnes sans autre intérêt que la souffrance et le shoot d’endorphine y afférent consécutivement. Ce n’était pas le cas : en plein milieu de la deux voies située en bordure d’une rivière à gauche, dont le courant était manifestement puissant dans le sens inverse de celui de la circulation automobile, une forme oblongue, argentée, gris Mercedes dépassait du bitume. Cet objet lisse et métallique, phallanstique et fantallique, devait bien faire deux à trois mètres de haut. Une voiture avait dérapé et fait un tête-à-queue, probablement au moment où l’objet avait chuté ou était sorti de goudron, et l’avait heurté, la réduisant à l’état de demi-épave quand l’objet n’avait pas eu une égratignure. Deux femmes israéliennes en manteaux de fourrure étaient appuyées sur les portières du véhicule accidenté, choquées.

 

Une grue était déjà sur les lieux. Son crochet placé sur l’anneau de l’objet oblong, elle commença à treuiller ce dernier, qui s’avéra d’une longueur et surtout d’une structure insoupçonnée. La grue éleva dans l’air non ce qui aurait pu ressembler à un gros obus, mais bien un navire, ou mieux encore un sous-marin de surface ainsi qu’en attesta la cabine aux armatures noires et rouges qui apparut bientôt à nos yeux ébahis. La grue tourna très vite et largua sa charge dans la rivière voisine dont l’impétueux courant entraîna rapidement hors du champ de nos regards le fin navire argenté.

 

Je proposai aux deux accidentées, bien en chair constatais-je à mesure que je m’approchais, de les véhiculer jusqu’à l’endroit de leur choix. Elles ne parlaient pas français. J’articulai un insuffisamment échauffé « Do you want to come with us? We’ll bring you back where you want. ». Elles acceptèrent soulagées. Je les conduisis jusqu’à la voiture et ouvris la portière arrière droite. Ce ne fut qu’alors que je constatai la présence de la jeune assistante asiatique de Lazzeri, assise derrière ce dernier. La corpulence de nos deux nouvelles passagères rapportée à la catégorie B de notre véhicule de location ainsi qu’à ma propre morphologie ne laissait guère de place au doute : il fallait qu’une des deux Juives allât s’assoir devant tandis que je prendrais l’inconfortable demi-place du milieu sur la banquette arrière. Je me retournai vers les deux Sémites et demandai tout haut : « Who’s the towlest ? », en rectifiant sans délai mon erreur d’accent, « Who’s the tallest ? ». Celle des deux qui était rousse et moustachue, aux joues légèrement pendantes, les yeux globuleux et la bouche trop rouge en triste demi-lune se déclara positivement en grognant et, me bousculant à moitié, alla s’installer sur le siège passager.

 

Je tentai quant à moi de m’infiltrer sur la place du milieu mais ma progression était gênée par deux choses : le passage de la transmission entre les sièges avant et la banquette arrière, ainsi que la poussée inamicale que je subissais de la part de la deuxième accidentée dans mon dos. La jeune Asiatique tenta de surélever sa position pour faire en sorte de me dégager suffisamment de place pour disposer mes gambettes, mais pour ce faire, il me fallait passer la tête devant elle pour mieux rebrousser chemin une fois mes jambes placées. La femme encore hors de la voiture me poussa encore et je me raccrochai à la robe rouge de l’assistante, en sentant derrière mes paumes la fermeté extraordinaire de ses seins menus. A peine le temps de profiter de cette sensation, une ultime bourrade sur mon séant acheva de déstabiliser mon précaire équilibre et je tombai à plat-dos sur la banquette, entraînant dans ma chute la jeune Asiatique tombant quant à elle à plat-ventre sur moi. Elle m’embrassa à pleine bouche et redressant son visage, elle me dit : « Je t’aime plus que tu ne m’aimes ».

 

Je ne protestai pas. C’était la pure vérité. Son rouge à lèvres trop voyant et trop étalé avait le goût de la pourriture. Son visage fin et agréable avait achevé de se muer en faciès simiesque, aux petits yeux gonflés, le nez court et épaté, la bouche de poisson, les joues trop pleines. Son rouge à lèvres sentait l’orange chimique, et moi je balançai un grand coup de pied dans la cage thoracique de l’autre qui ne cessait de pousser pour rentrer dans la voiture, ce qui n’avait pour conséquence que de prolonger le contact avec la jeune fille. Je ne comprenais plus comment se relevant elle redevenait jolie et naturelle, mais que s’affalant sur moi elle n’était plus que vulgaire et puante. Et mon mal à l’estomac reprit sans tarder dans une farandole acide.

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