L’intervention épique de Louis Schweitzer ce matin sur France Inter me donne l’occasion de revenir
sur cet OJNI (objet juridique non identifié mais ô combien dangereux) qu’est la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, dite HALDE ou la hallebarde…
Sociologiquement, cette courte interview a eu le mérite de nous asséner toutes les données du
moment : la victime est reine ; la victimisation est un sentiment moderne et naturel ; l’appartenance à une minorité visible ou non fait présumer l’existence d’une discrimination
et la HALDE met toute son organisation au service des trois principes susévoqués, par des moyens d’enquête, de médiation transactionnelle, de transmission de dossiers au Parquet et de
constitution de partie civile le cas échéant, ainsi que de recommandations ou délibérations.
La gravité de ces actes et le pouvoir exorbitant dont cette hallebarde dispose pourrait
raisonnablement laisser penser que les principes généraux du droit (et notamment celui du contradictoire, celui du droit à un procès équitable et des garanties de la défense) devraient trouver à
s’appliquer par la possibilité de moyens de recours contre les actes (ne parlons pas encore de « décision ») de cette autorité.
Il conviendra donc en premier lieu de définir la nature juridique de cette institution, avant
d’envisager le régime qui est applicable à ses décisions, avant de conclure par les possibilités de recours et la compétence juridictionnelle en la matière.
1. Sur la nature d’autorité administrative indépendante (AAI) de la
HALDE
La HALDE est qualifiée d’AAI par l’art. 1er de la loi
n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. La question de sa nature juridique est donc résolue par le
législateur.
2. Sur le régime juridique applicable aux AAI
Des principes jurisprudentiels ont été dégagés sur le fondement de l’art. 6-1 de la CEDH relativement
aux notions de procès équitable impliquant le respect du contradictoire et une mise en demeure préalable à toute sanction
Deux décisions majeures sont dans ce cadre à citer : CE Ass. 11 mars 1994 SA La Cinq, p. 118,
s’agissant du CSA ; CE 21 février 1996 Mutuelle antillaise des assurances et a., s’agissant de la Commission de contrôle des assurances.
Ces décisions concernent des organismes dotés d’un pouvoir de sanction, contrairement à la HALDE,
mais ce motif est à mon sens inopposable puisque si les AAI ont pour caractéristiques communes de ne pas être des juridictions dont les décisions seraient revêtues de l'autorité de la chose jugée
et relèveraient du contrôle de cassation, ni des personnes morales distinctes de l'Etat et si le Conseil d'Etat estime, en première analyse, que le critère de l'autorité doit
conduire à ne ranger parmi les AAI que les instances détenant un pouvoir de décision, cette restriction ne semble pas toujours pertinente. En effet, le
pouvoir d'influence exercé par certains organismes a conduit le législateur à les qualifier d'AAI : Comité national consultatif d'éthique, CNCIS, CNDS.
Les avis ou les recommandations de ces instances sont très souvent suivis par les responsables
auxquels ils sont adressés. Elles exercent donc une véritable autorité, confortée par la stature morale de leurs membres et par la publicité de leurs rapports. Le Conseil d'Etat
aboutit finalement au même constat, considérant que « peu importe de ce fait que les autorités administratives indépendantes n'édictent pas toutes et exclusivement des décisions
exécutoires dès lors que leur pouvoir d'influence et de persuasion, voire « d'imprécation », aboutit au même résultat » (Office parlementaire de l’évaluation de la
législation, sur le rapport Gélard) ».
Le caractère de décisions faisant grief de la part de la HALDE ne nous paraît guère douteux dans ce
contexte (qu’il s’agisse de rapports ou de saisines du Parquet).
En outre, la Recommandation n° 9
du Rapport du 15 juin 2006 du sénateur Gélard (Les
autorités administratives indépendantes : évaluation d'un objet juridique non identifié, Tome 1) est rédigée comme suit : « L'Office recommande l'adoption d'un cadre législatif définissant les règles applicables aux
procédures de sanction, afin de tirer, pour toutes les AAI, les enseignements de la jurisprudence construite par le Conseil d'Etat à partir des principes définis à l'article 6 de
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ».
Les travaux parlementaires aboutissent donc à la nécessité de légiférer dans le sens du respect
intégral de la CEDH par les AAI.
Au surplus, il faut encore que
l'activité des AAI soit soumise à un contrôle démocratique, conformément à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, intégré au bloc de constitutionnalité
via le Préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
3. Sur les recours juridictionnels contre les décisions des
AAI
La décision du Conseil constitutionnel du 17 janvier 1989 dite « Conseil supérieur de
l'audiovisuel », a consacré le droit au recours contre les décisions des autorités administratives indépendantes.
Par conséquent, sur la compétence juridictionnelle : « Enfin, la nature
administrative des AAI signifie que, si celles-ci ne sont pas soumises à un pouvoir hiérarchique ministériel, elles agissent cependant au nom de l'Etat et engagent sa
responsabilité. Le mode de désignation de nombreux membres de ces autorités, qui fait appel aux autorités politiques (président de la République, présidents des assemblées, Premier
ministre, ministres) et aux plus hautes autorités juridictionnelles, contribue également à leur donner un caractère administratif. » (Rapport Gélard, préc.).
Nous considérons donc que les décisions faisant grief de la HALDE, notamment pour violation des principes
généraux de la procédure d’enquête, devraient pouvoir faire l’objet de recours devant les Tribunaux administratifs.
Mais, chers concitoyens, ce n’est pas le cas à ce jour, puisque bien au contraire, le Conseil d’Etat, dans sa décision Sté
Editions Tissot du 13 juillet 2007 a fermé la porte du recours direct pour excès de pouvoir, la réservant simplement aux cas ou « la Halde entendrait procéder, en usant des
mesures de publicité appropriées, à des recommandations de portée générale exprimées en des termes impératifs », donnant ainsi à la direction de la HALDE le mode d’emploi pour éviter
tout recours pour excès de pouvoir.
En cas d’abus, comme cela a été constaté de nombreuses fois (les enquêteurs de la Halde ayant manifestement trop
regardé de séries policières américaines au vu de leurs méthodes d’investigation et de conclusion…), on peut imaginer que demeure ouverte la voie de l’engagement de la responsabilité de l’Etat en
plein contentieux, sous réserve de pouvoir justifier d’un préjudice (CE 13 juillet 2007, Dame Abric)… dont la modeste condamnation pour les actes d’une autorité ne dépendant pas de ses services
ne sera acquise qu’après sept ou huit ans…