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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

Le Ciel

Publié le 11 Mai 2016 par Luc in Ernez (du 31-12-10 au 21-4-11)

 

Je suis recroquevillé dans une antichambre sombre et humide, en proie à un froid caverneux contre lequel je lutte en position fœtale. Je n’ignore pas qu’avant de me retrouver ici, j’ai eu à subir des grognements de mécontentement à mon encontre, dont la question de la justification ne se pose pas. On ne soulève pas d’argument rationnel face à la chose, ce serait une aporie. Toujours est-il que ce contact avec la chose que je ne peux me représenter m’a épuisé, comme d’habitude. Une forme de fatigue létale, un engourdissement de mon esprit puis de mes membres, dans la panique qui corrompt tout.

 

En cet état, tant de pensées fulgurantes viennent traverser ma faible conscience. Certaines s’avèrent bien opaques, voire inquiétantes (la stupide opportunité d’une éventuelle accession à la propriété pour céder à la nouvelle religion en vogue dans nos contrées décérébrées, l’argent immobile et le capital à transmettre, aberrations inventées pour justifier la stupidité de l’accession à la propriété, le score encore trop élevé de l’UMP aux cantonales, un Continental Sport Contact 205/55 W 16 déchiré sur le côté). D’autres sont plus lumineuses (la liberté complète du locataire, l’argent qui n’est fait que pour être dépensé de manière citoyenne, le bon score du Front de Gauche aux cantonales, mon vieux Nokia 1600 et le fait que ma voiture roule encore à deux cents mille kilomètres démontrant l’inanité de la société de consommation).

 

Mais j’entends le fracas des corbeaux sur la margelle métallique de ma fenêtre, le frôlement agressif de leurs ailes sur la vitre, leur œil noir qui me fixe de manière trop compréhensive. C’est ce moment que choisit la voix de ma fille pour me parler, un peu étouffée, lointaine et noyée dans l’écho, ni triste ni joyeuse, sans inquiétude mais caressée d’une aura de tristesse me semble-t-il.

 

Papa, ça y est, je suis au ciel !

Comment ça ? Tu as voulu grimper, comme tu me l’avais dit, à l’échelle de la lune pour faire ta récolte d’étoiles et te reposer dans le croissant ?

Non, je suis vraiment au Ciel, comme mémé Réjane.

Non ! Tu veux dire que tu es… ?

Oui, je suis au Ciel maintenant, et il n’y a même pas un verre d’eau…

 

… fait-elle tristement tandis que croisant une dernière fois l’œil noir d’un corbeau je m’effondre en sanglotant discrètement, les yeux baignés de larmes.

 

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