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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

ernez (du 31-12-10 au 21-4-11)

Le Ciel

Publié le 11 Mai 2016 par Luc dans Ernez (du 31-12-10 au 21-4-11)

 

Je suis recroquevillé dans une antichambre sombre et humide, en proie à un froid caverneux contre lequel je lutte en position fœtale. Je n’ignore pas qu’avant de me retrouver ici, j’ai eu à subir des grognements de mécontentement à mon encontre, dont la question de la justification ne se pose pas. On ne soulève pas d’argument rationnel face à la chose, ce serait une aporie. Toujours est-il que ce contact avec la chose que je ne peux me représenter m’a épuisé, comme d’habitude. Une forme de fatigue létale, un engourdissement de mon esprit puis de mes membres, dans la panique qui corrompt tout.

 

En cet état, tant de pensées fulgurantes viennent traverser ma faible conscience. Certaines s’avèrent bien opaques, voire inquiétantes (la stupide opportunité d’une éventuelle accession à la propriété pour céder à la nouvelle religion en vogue dans nos contrées décérébrées, l’argent immobile et le capital à transmettre, aberrations inventées pour justifier la stupidité de l’accession à la propriété, le score encore trop élevé de l’UMP aux cantonales, un Continental Sport Contact 205/55 W 16 déchiré sur le côté). D’autres sont plus lumineuses (la liberté complète du locataire, l’argent qui n’est fait que pour être dépensé de manière citoyenne, le bon score du Front de Gauche aux cantonales, mon vieux Nokia 1600 et le fait que ma voiture roule encore à deux cents mille kilomètres démontrant l’inanité de la société de consommation).

 

Mais j’entends le fracas des corbeaux sur la margelle métallique de ma fenêtre, le frôlement agressif de leurs ailes sur la vitre, leur œil noir qui me fixe de manière trop compréhensive. C’est ce moment que choisit la voix de ma fille pour me parler, un peu étouffée, lointaine et noyée dans l’écho, ni triste ni joyeuse, sans inquiétude mais caressée d’une aura de tristesse me semble-t-il.

 

Papa, ça y est, je suis au ciel !

Comment ça ? Tu as voulu grimper, comme tu me l’avais dit, à l’échelle de la lune pour faire ta récolte d’étoiles et te reposer dans le croissant ?

Non, je suis vraiment au Ciel, comme mémé Réjane.

Non ! Tu veux dire que tu es… ?

Oui, je suis au Ciel maintenant, et il n’y a même pas un verre d’eau…

 

… fait-elle tristement tandis que croisant une dernière fois l’œil noir d’un corbeau je m’effondre en sanglotant discrètement, les yeux baignés de larmes.

 

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Fukushima intérieur

Publié le 29 Août 2013 par Luc dans Ernez (du 31-12-10 au 21-4-11)

 

Quelle faiblesse dans ce retour ! A la fin d’une journée de jeûne contraint, mes mains commençaient de trembler d’hypoglycémie avant l’orgie à venir, saucisson, chips, antipasti, qui me donnerait à la douleur, à la brûlure de mon estomac inconséquent. Mais dans le bruit, l’activité humaine trop confuse et joyeuse régnant dans mon sweet home en lieu et place du silence immobile que je désirais tant, ce fut l’irritabilité qui la suppléa.

 

Evitons l’euphémisme : il s’agissait dans le réel d’une colère sourde et violente que toute ma conscience tentait de juguler, mais qui restait là, tapie, attentive au moindre de mes délassements, s’engouffrant dans tout interstice laissé par une vigilance amoindrie un instant.

 

Se forcer au calme lorsque le feu de la colère vous ronge est promis au même échec que de vouloir devenir beau lorsqu’on ne l’est pas. Les minutes et les heures passent, ne changent rien à l’affaire : tout imprévu, aussi modeste ou futile soit-il, constitue le prétexte à l’explosion. Mon combat de refroidissement porta néanmoins ses fruits et cahin-caha, lambescain Fukushima, malgré quelques vapeurs de réacteur n° 3, alles war unter Kontrol.

 

J’étais donc fissile hier soir. Et suis entré en fusion ce matin, dans ce jeu subtil de la raison qui, ne pouvant supporter l’autonomie violente de mon inconscient, sa supériorité évidente dans le jeu de la réaction, s’efforce et se convainc de s’approprier une colère qui n’est pas sienne en en rejetant la cause sur un élément exogène. En l’occurrence, tout et n’importe quoi, n’importe qui surtout, pour ne pas risquer l’incohérence ontologique : cette rage qui me secouait était d’origine humaine, la mienne, et devait être imputée pour le bien-être de ma raison à un autre humain.

 

Tout était parfait : ce fut tout à fait raisonnablement que j’enrageai, mon inconscient idiot n’ayant plus rien à voir là-dedans. Ce fut pétri de fondements inattaquables, de preuves irréfragables, d’excuses de provocation évidentes que ma colère se déchaîna sur l’un des sujets de mon amour, pour le coup très objet…

 

Ma nervosité me navre maintenant que l’explosion est passée, que je suis repu de violence, que j’ai tout dévasté avec le sentiment de satisfaction qu’est d’avoir mangé à sa faim. Je deviens calme dans la peur que j’ai suscitée, ai presque tout oublié déjà quand les larmes des survivants n’ont pas encore séché, et cela me navre.

 

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Hyperasservissement féminin

Publié le 29 Mai 2013 par Luc dans Ernez (du 31-12-10 au 21-4-11)

Est-ce en raison de la récente journée de la femme que j’ai rêvé ce titre ? Je ne le saurai pas, accablé que je puis être par le sommeil tandis que ma main ne parvient pas à se projeter vers le bac de remplissage n° 4 de l’imprimante. Je ne tiens plus debout et mes yeux se ferment contre ma volonté.

 

Une amie me fait alors part de son désespoir quant à l’attitude de son ex-conjoint. Appuyé lourdement à la machine, je marmonne qu’en tant qu'enfants de divorcés, elle et moi savons bien que la vie est comme la mer : avec des flux et des reflux... Il est impossible d'un coup d'un seul de rayer vingt ans de vie commune. Il y a des rancœurs légitimes, des retours d'amour ou vœux de réconciliation, toujours, même inconscients, en raison du gâchis qu'est une rupture après tant d'années. Mais s'ils sont normaux, ces sentiments ne doivent pas nous tromper : ils sont voués à l'échec et à la souffrance à chaque fois renouvelée. Rappelons-nous les sept mariages et sept divorces de Liz Taylor et Richard Burton !

 

Plus prosaïquement, pendant des années, une femme qui m’est proche fit des allers-retours regret amoureux/haine à l'égard de son ancien mari (qui lui n'en avait plus rien à faire d'elle depuis bien longtemps !), ce qui n'a eu comme impact que de la faire picoler et mettre sous Trenxen 5mg... Sitôt que le regret amoureux cessa (cinq ou six ans plus tard), il ne resta plus que la haine, qui doucement se transforma en mépris, puis en indifférence (avec quelques remugles agressifs de temps à autre, quand même !).

 

Une relation amoureuse de longue durée est comme un vase Ming : une œuvre d'art, une céramique fragile, qu'on ne peut recoller une fois brisée, quelle que soit la douleur ressentie à sa perte.

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Le ciel blanc de Saint Florent

Publié le 11 Mars 2013 par Luc dans Ernez (du 31-12-10 au 21-4-11)

Fut-ce pour me faire pardonner de t’avoir descendue en flammes, mon envie en déversoir, lors d’un projet qui semblait te tenir à cœur, que je fis ce rêve, me jetant dans la stupeur.

 

Nous étions deux accoudés à une barrière, sous le ciel blanc de Corse où claquaient les bannières du port de Saint Florent, sur le quai chaud et gourd, accoudés sur l’arche de métal gris et lourd.

 

Derrière tes lunettes de soleil de mouche, tu me tenais rigueur, un rictus sur la bouche, d’un jugement peu flatteur que j’aurais émis, injuste à ton encontre, indigne d’un ami.

 

Je tentai bien de me débattre dans l’eau noire de mes contradictions paternalistes, d’asseoir la rationalité de mes propos cruels par l’objectivité bon teint mais idéelle.

 

Rien n’y pouvait faire : sous le fallacieux prétexte de te vouloir du bien, j’avais écrit un texte faisant de toi une linotte écervelée, par la faute d’une litote échevelée. Je ne pouvais bien évidemment pas l’avouer de manière aussi directe et ta moue gênée me faisait savoir que tu ne l’ignorais pas, silencieuse comme assistant à un trépas.

 

C’est alors que tu prononças le mot « Envie », ou était-ce « Concupiscence », voire « Interdit » ? Comme cause unique de ma lâche traîtrise, car inassouvie, la frustration qui se brise.

 

C’est alors que tu lanças ton visage bistre et souriant vers mon propre visage sinistre, et m’embrassas à pleine bouche, sortant ta langue cramoisie venant laper mes lèvres exsangues. Pour aussitôt revenir à ma gueule vaine, tandis que dans le même temps ta main sans veine glissait de bas en haut sur ma hampe sans hast, petit bâton désarmé sur le quai trop vaste.

 

Blotti au sein de ton baiser interminable, sottement soumis à une raideur minable, je ne pouvais qu’attendre, les yeux las implorant que tout cesse dans le ciel blanc de Saint Florent.

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Nuit liquide

Publié le 5 Février 2013 par Luc dans Ernez (du 31-12-10 au 21-4-11)

Quelque chose me titillait depuis quelques jours, et plus particulièrement cette nuit, les vingt-quatre ans, je crois, de la première fois que Béatrice m’a quitté. Dans ma mémoire fiévreuse, les dates s’emmêlaient : je pensais fêter l’anniversaire de mon abominable testament, de ma seule véritable tentative d’attenter aux jours douloureux, mais non, après vérification, ce serait dans un mois tout rond.

 

Peu importe, ce furent des tremblements de dément qui me saisirent hier soir à l’heure du coucher, inexplicables, sans recours. La danse de Saint Guy du cadre médiocre… Ma nuit débuta emmitouflée et pourtant glaciale ; même la position fœtale n’arrivait à me réchauffer, et je devais me résoudre à subir mon sort de congélation.

 

Toutefois, les heures passant atones sur les cristaux liquides du réveil lointain, la froidure se transforma en chaleur, douce tout d’abord, dans les bras de laquelle j’espérai un instant trouver le sommeil, puis violente, un baume agressif déposé sur la peau de mon buste. L’élément liquide s’empara de moi à une vitesse désarmante. Je cabotais désormais dans une baignoire à lit ouvert, tout en refusant obstinément d’en ouvrir le couvercle de couette-minute, en méprisant toute possibilité de me débarrasser de mes frusques trempées.

 

Souhaitais-je me noyer alors dans ma propre sueur enfiévrée ? Du tout. Voulais-je céder aux appas de la mort follement côtoyée comme jadis ? Pas plus.

 

J’aurais voulu dormir, d’un sommeil de plomb, sans devoir toute la nuit me débattre dans l’eau, aller chercher sous la pluie des cigarettes chez un débitant de tabac bien connu faisant aussi bouquiniste mais qui cette nuit là déménageait, me laissant démuni devant les grands étalages vides, m’invitant à aller chez l’autre buraliste aux néons pâles trouant ma nuit liquide.

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Nuit de lie

Publié le 21 Décembre 2012 par Luc dans Ernez (du 31-12-10 au 21-4-11)

L’outre épouvantée ne cessait de soupirer,

Honteusement bruyante, dans la nuit étirée

Jusqu’à la rupture, aux épaules disloquées

Entre songes et demi éveils répliqués.

 

Ver tortillant, l’outre se fit épouvantable.

Elle vint empêcher le sommeil par d’invivables

Lamentations, pleurs de vesse aux vents irritables,

Sacra le renoncement dans mon âme instable.

 

La confusion nouvelle entre rêve éthéré

Et pitoyable réalité atterrée

Me laissa dépourvu, soumis et incapable.

 

Durant de longues heures, patient et appliqué,

J’ai dû boire, sans dégoût, mes pensées étriquées

Pour échapper à la mort, ce sort imbuvable.

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Jour de fuite

Publié le 28 Novembre 2012 par Luc dans Ernez (du 31-12-10 au 21-4-11)

Une nuit agitée,

Une nuit attristée,

De flegme en lit,

En gorge de lie.

Une nuit de fuite,

Court prurit,

J’étais faux voleur

Poursuivi dans l’heure.

 

Ma femme et son amie,

Un enfant aussi,

Me jetèrent un œil

Mauvais sous les feuilles

Quand je vins à surgir

De la plage à rôtir

Espérant refuge et asile

Dans la soupente axile.

 

Je n’avais pourtant tiré

Qu’à amorces superposées,

Aucun feu n’eût pu s’en extraire,

Mais le flic était en colère.

Il se mit à braire, coller

Dans une folie échevelée

Le canon de son arme

Sur ma tempe en larmes.

 

Je m’expliquai,

Balbutiant benêt,

Nul ne m’écoutait

Sur le front de haine.

Il me fallut fuir encore,

Projeter mon corps

Sur les chemins de poussière

Jaune et délétère.

 

Repoussé et réveillé,

Harassé et étrillé,

Je m’en remis à demain

En joignant mes mains.

Je savais que nous nous verrions,

Que ton œil histrion

Vibrerait encore à ma vue,

Me mettrait encore à nu.

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Quarantaine des 40 ans

Publié le 6 Novembre 2012 par Luc dans Ernez (du 31-12-10 au 21-4-11)

Moi qui pensais qu’elle avait disparu ! La croyais morte et enterrée, enlevée en Loire-Atlantique, ou même, en cauchemar éveillé, mariée et enceinte ! Elle revient !

 

En somme, je m'exprimais avec l'enthousiasme de ma jeunesse, dont elle pardonnerait l'émotion et la confusion, pour regretter amèrement qu'une nouvelle rencontre fût impossible. La seule hypothèse d’une possibilité, misère de misère ! C’eût été à s'en tordre les mains, le souffle court, pâle et tourmenté... Le calme revint cependant avec le mode épistolaire, plus sage, moins impétueux.

 

Après un ancien légionnaire, voici qu’elle mettait à son tour le couvert s’agissant de mes pratiques sportives. Ah le sport ! « Toute la question est là » pensai-je : j'avais en quelque sorte raccroché les crampons sans le vouloir réellement (quelques problèmes de santé suivis l'agonie de ma grand-mère, les conditions hivernales, les contraintes calendaires, etc. Toutes les excuses étaient bonnes pour ne pas aller brusquer mon cœur défaillant lors d’un quelconque effort). Etrangement, un syndrome de Raynaud au majeur de la main gauche apparut à cette période, de même que l'angoisse fêtait son grand retour après plus de cinq ans d’absence, quoique certains rêves récents aient pu en constituer les précurseurs. L’oversize luggage que constitue le mariage de pépins physiques bénins et de l’angoisse arriva donc. L’hypocondrie, les pulsions de mort immédiatement refoulées de manière véhémente : je voulais profiter encore de mes enfants, les voir grandir, je ne pouvais pas crever alors, la colère ajoutant encore à la peur…

 

Crise de la quarantaine, sûrement, chers lecteurs ! Certainement même : comme la sensation de passer de l'autre côté du sommet, vers la pente, le déclin.

 

Mais rassurez-vous, nom de Dieu de bordel de merde de vérole arabe, il est pour moi hors de question de tomber dans cette nullité ontologique qui consisterait à acheter une moto, faire de la salle, multiplier les sex-friends meetiques pour se prouver la pérennité de sa capacité de séduction (je n'ai jamais eu le moindre espoir sur ce point même quand j'étais jeune) pour ne pas dire de turgescence !

 

Non, ma quarantaine est tout le contraire de ce que ma mère appela avec désespoir la période de « la quéquette en fleur » ; elle serait plutôt à l'image de ce qui l'a précédé : l'amour est la plus grande force, la plus brutale et la plus cruelle, mais aussi la plus douce et la plus magnanime, c'est l'élan vital de Lucrèce, la volonté de puissance de Nietzsche, toujours entre ombre et lumière. Ma seule raison.

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R94 Angoisse

Publié le 9 Octobre 2012 par Luc dans Ernez (du 31-12-10 au 21-4-11)

C’est une grande et belle journée à la Tour du Pin, dans le grand jardin recouvert de gravier blanc et rond réfractant agréablement le soleil. Mon cousin Marc, juché sur une table, manie avec habileté un petit engin télécommandé dernière génération ressemblant peu ou prou à un coléo-hélicoptère. Son attention paraît s’être portée sur le pan supérieur droit d’un immense panneau blanc, rectangulaire et haut d’une vingtaine de mètres au bas mot, clôturant le côté opposé du jardin. A l’aide de l’appareil, il affole un frelon, au grand éclat de rire de tous les convives, nombreux et passablement avinés.

 

Pour ma part, situé en retrait sur la gauche de Marc, j’ai peur, tout simplement. Je m’éloigne donc prudemment vers la maison. Au même instant, le petit hélicoptère heurte à la fois le frelon et le pan suite à une erreur de pilotage. L’engin tombe et l’insecte fond, fou de rage, en ma direction. Je cours, parviens à la large porte arrondie d’un salon vitré et m’attèle à la refermer promptement. Cette damnée porte, plus légère que je ne pensais, ferme mal. Je la claque deux fois, trois fois, et y parviens enfin, mais l’insecte réussit à se faufiler en dessous par un interstice du sol bosselé. Reprenant son vol, elle se jette sur moi et son attaque me heurte au niveau du cœur. Criant sous le coup, je tombe à la renverse avec le frelon rivé sur mon épaule gauche.

 

Un frelon ?! La bonne blague : ce n’est qu’un taon, de bonne taille certes, dont la morsure peut susciter une certaine douleur, mais rien à voir avec le venin du frelon. Soudain revenu au calme, d’une pichenette de la main droite, je décapite son faciès impassible aux yeux rouges et globuleux, ne laissant que son tronc sur mon pull, qui disparaît bientôt à son tour par la grâce d’une seconde et précise pichenette.

 

A l’endroit précis où son corps est tombé, je remarque un curieux insecte, une sorte de très grosse fourmi au crâne aplati, une trentaine de centimètres à peu près, dotée de fortes mandibules, du nombre adéquat de pattes et d’antennes. Elle parait ahaner dans le silence, en souffrance. Peu à peu, la bête se transforme en pupe verte fluorescente, dans un ahurissant renversement de l’évolution naturelle. La pupe se tortille sur le carrelage poussiéreux et baigné de chaleur… en ma direction. J’ai l’idée un instant de l’écraser d’un coup de talon, mais me ravise et me précipite finalement dans la pièce adjacente afin de partager ma découverte. Jetant un coup d’œil à travers les carreaux de cette porte qui ferme mal, je constate que la nuit tombe. Passant le seuil de l’autre pièce, c’est ma sœur qui m’accueille, totalement hilare, vêtue d’une blouse blanche maculée de sang de façon presque artistique.

 

Lui parlant de la pupe, j’en suggère l’examen par l’un des scientifiques travaillant sous sa supervision, en désignant notamment l’un de nos aliens jaunes et écailleux procédant dans le laboratoire voisin à la dissection d’un animal que je peux percevoir en raison de la hauteur de la cloison sur laquelle reposent les baies vitrées du labo. Ma sœur m’indique gentiment qu’on ne peut le déranger pour le moment. Je proteste en arguant avec virulence que ce que j’ai vu est à l’évidence aussi d’origine extra-terrestre, et je le vois là en train de ramper dehors, puisqu’il a dû réussir à repasser sous la porte par où était passé le taon. Rien à faire.

 

Je me mets donc à la fenêtre pour surveiller l’avancée molle et lente de la pupe sur le parking de bitume, dans l’obscurité de plus en plus marquée, sa fluorescence m’aidant néanmoins à  la garder à vue. Au loin, le la vois escalader la façade métallique d’un entrepôt, dont un bureau au second étage est encore allumé malgré l’heure tardive : c’est celui de Jean-Michel, le directeur opérationnel, un ponte. La pupe achève son ascension et son extraordinaire viscosité lui permet de se faufiler sans difficulté entre le joint et la structure métallique bleue de la fenêtre close. Elle grimpe le long de la vitre et parvenue au plafond cesse de bouger, comme si elle perçait un trou avec sa tête. Cette brève opération terminée, elle laisse tomber le reste de son corps dans le vide et se trouve suspendue, son balancement cessant progressivement en même temps qu’elle perd sa couleur verte, puis sa fluorescence, jusqu’à devenir parfaitement translucide. On dirait un tube souple, presque une éprouvette dont le cul ressemblerait à un réservoir de préservatif. Cette chose immobile et transparente, accrochée au plafond de plaques grises, me renvoie avec effroi à certaines œuvres de Gieger.

 

Jean-Michel, froid et impénétrable, en pleine réflexion sur une décision stratégique probablement, détourne son regard vers la fenêtre, qui a attiré son attention du fait de la rencontre inopinée entre un rayon de lumière artificielle et un reste de trace visqueuse que la pupe a laissé lors de son ascension. Il la retire du doigt, en regardant ensuite ce dernier avec circonspection, mais sans inquiétude apparente. Ce faisant, il s’est avancé et a libéré le champ de sa lampe de bureau. Eberlué, je constate que le plafond de la pièce est recouvert de centaines de tubes identiques à celui qu’est devenue la pupe : des larves suspendues.

 

A ce même instant, la gestation, l’incubation se terminent et un petit oiseau noir bien différent de ce que je pouvais imaginer, à peine plus gros qu’une hirondelle, s’extrait de sa gangue. Ses congénères le suivent de près et j’imagine le fracas régnant dans le bureau à l’air affolé de Jean-Michel, cédant à la panique, mais rapidement raide comme un piquet somnambule, ne se souciant plus des escadres d’oiseaux piaillant en cercles concentriques autour de lui. Les cheveux étrangement longs et ébouriffés, il avance maintenant d’un pas lent, non pas vers la porte mais la fenêtre de son bureau, qu’il fracasse lentement avant de chuter dans le vide sans un mouvement ni un cri.

 

Des myriades d’oiseaux s’échappent par l’ouverture en hurlant, et après une première anarchie libératrice, ils se recomposent bientôt en escadrille et m’offrent leur première figure organisée dans la nuit bleue. Ils se mettent maintenant en formation d’attaque en V et fondent vers la baie vitrée où mon visage ne s’est pas décollé depuis la chute de Jean-Michel, vers moi, malheureux survivant du taon, qui sors maintenant sans me trancher à travers la baie vitrée qui n’accueille plus la buée de mon souffle court. Me voici passant humant la fraîcheur de la nuit. Les oiseaux vont me picorer malgré mes grands gestes en moulinets, ma vaine tentative de fuite vers les bâtiments, avant que de terminer le travail avec tous ceux qui restent, plus tard.

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R93 Deuil

Publié le 19 Septembre 2012 par Luc dans Ernez (du 31-12-10 au 21-4-11)

Nous marchions avec ma grand-mère Réjane, lentement dans les couloirs du métro parisien. Je l’accompagnais, en ce quatorze janvier 2011, prendre un train. Nous devisions silencieusement dans les escalators déserts, l’écho assoupi des allées s’affalant délicatement sur les sols luisants. Les lignes droites éclairées d’une lumière douce m’étaient rassurantes, au même titre que la chaleur douce qui s’exhalait des bouches d’aération.

 

Arrivés au bout d’un long couloir, je constatai l’architecture fantasque de la gare où ma grand-mère devait prendre son train. Une façade immense et multicolore, dans un style intermédiaire entre le graff et Looney Tunes, une façade déformée comme dans un palais des glaces, le concave le disputant sans cesse au convexe. Réjane me prit par le bras avec fermeté, m’entraînant vers les portes vitrées marquant la sortie.

 

Elle était vêtue d’une jupe bleu marine, droite et s’arrêtant sous les genoux, d’un gilet assorti à la jupe sous lequel elle avait enfilé un corsage blanc et simple. Elle marchait avec sa canne de noyer rutilante à la main gauche, le buste légèrement penché en avant, témoignant de la ténacité, du volontarisme de son caractère. Son œil s’assombrissait et son pas s’accélérait à mesure que nous approchions des baies vitrées, tandis que ma panique augmentait. Je savais que je devais prendre un train, mais à Montparnasse, pour la Bretagne évidemment, et j’ignorais fichtrement où nous étions, quelle était cette gare étrange et colorée.

 

Ma raison me dictait que nous nous trouvions à Saint Lazare, direction la Normandie, la seule qu’aurait pu prendre ma grand-mère soucieuse de rejoindre ses ancêtres à Saint Nicolas d’Aliermont, mais non, je la connaissais bien cette gare et ce ne pouvait être elle. Mon cœur s’arrêtait de battre à chaque bruit, des brûlures nerveuses pointaient ça et là sur l’ensemble de mon corps apeuré, des fourmillements intempestifs venaient paralyser à chaque second, là mon bras droit, là mon pied droit, le tout s’éteignant brutalement dans un frisson général.

 

C’est alors que ma grand-mère ouvrit la porte vitrée et sans un mot me montra la direction à prendre : vers l’église Notre Dame du Travail. C’est le quatorzième… c’est déjà ça, je pourrai m’orienter pour retrouver Montparnasse. Je me retourne vers elle et je comprends dans son regard que nos chemins se séparent ici, définitivement. Son train n’est pas le mien, mais elle m’a montré le chemin que j’aurai à prendre seul en ce début 2011.

 

Toutefois, Réjane, ma grand-mère, était morte le dimanche 21 novembre 2010.

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