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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

R103 Emilie H.

Publié le 3 Décembre 2012 par Luc in Eternel retour de fin (du 1-5 au 14-10-11)

Assis derrière le large bureau au blanc passé, j’observe les mouvements au-delà de la baie vitrée de mon aquarium, les néons qui oscillent dans l’air métallique, les parois grises qui louvoient sous la chaleur des ordinateurs crépitant. Soudain, Emilie passe en marchant très vite, ce qui n’était pas son habitude. Ses cheveux blonds flottent d’un vent intérieur et contrastent joliment avec sa tenue noire, des bottes à talons respectables, aux boucles argentées, jusqu’à son haut à manches longues près du corps où l’on retrouve en guise de ceinture les mêmes boucles que celles ornant ses chevilles, juste au-dessus de pantalons noirs coupe slim. Beauté.

 

Peu avant de sortir de mon angle de vision, elle m’aperçoit, me fixe et continue son chemin. Elle ne doit pas m’avoir reconnu, un oubli de lentilles peut-être ; je la hèle, trois fois. Elle retourne alors son visage vers moi et ses traits s’immobilisent, puis s’étirent. Je soupçonne qu’elle pleure. Pour quelle raison ? Regrette-t-elle le temps où nous nous aimions ? A-t-elle eu quelque malheur ? Il me faut en avoir le cœur net, mon insatiable besoin d’amour ne pouvant être consolé ou crucifié que par la certitude, même si la lâcheté devant la douleur à venir de l’inexistence de ce supposé amour m’a souvent fait préférer l’ignorance aléatoire, cette condamnation au seul espoir éternel.

 

Elle s’en est allée, plus belle que onze ans auparavant, toujours aussi bronzée mais le visage plus affirmé, les yeux bleus toujours rieurs mais plus expressifs dans la douleur que je devine. Il me semble certain que nous allons nous revoir, que nous ne pouvons que nous revoir.

 

Quelque temps plus tard, je fume une cigarette entre deux bâtiments, en plein soleil où se trouve l’emplacement fumeurs, abruti de chaleur, et je la vois, à l’intérieur, dans le petit hall désert de vitres teintées et de poutrelles bleues. Je m’approche en jetant nerveusement mon mégot sur le sol chauffé à blanc, ne prenant pas même le temps de l’écraser d’un coup de talon sec en imprimant un mouvement rotatif afin d’éliminer toute trace d’incandescence, un souci maniaque de plus qui m’abandonne. Je pénètre dans le hall. Emilie réalise alors ma présence et veut à nouveau s’échapper. Je la rattrape en un instant et la serre dans mes bras. Je dois savoir. Mes bras enlacent sa taille, ses pieds ne touchent plus le sol. Elle ne pleure pas cette fois et me scrute par intermittences, parfois intensément, parfois distraitement lorsque son regard se perd au plafond ou vers l’extérieur. Une roideur inattendue se fait jour sous les trop larges pantalons de costume. Elle me dit à ce moment :

 

-         On va rester longtemps comme ça ? Ca commence à devenir gênant

-         C’est vrai – réponds-je en m’esclaffant mais m’inquiétant soudain de notre situation dans un endroit de passage et du fait qu’elle ne pouvait que ressentir la velléité érectile dans une zone se situant entre ses fesses et ses cuisses.

-         On va jusqu’au bout ? – renchérit-elle sans sourire ni passion.

 

Je ne la lâche pas, ne peux lâcher la chair de ses fesses qui me revient aussi molle qu’auparavant, et c’est dans cet étrange attirail que nous nous mettons à la recherche d’un coin tranquille.

 

Mais où que nous allions, quelqu’un surgit, l’air affairé et pressé, dans le bureau attenant, à la photocopieuse sombre, dans le couloir, et même sous la cage d’escalier à côté du broyeur, d’où un homme sort préoccupé. Il n’y a rien à faire. En ahanant après avoir monté la dernière marche du dernier escalier, je la dépose doucement sur le sol, comme je l’eusse fait d’un oiseau blessé. Elle me regarde de ce même air dont je ne sais si l’on doit y voir de la pitié, de l’indifférence ou de l’affection puisqu’il ne saurait plus être question d’amour. Ahuri d’ignorance et de certitude mêlées, je m’assois sur le lino bleu et poussiéreux, pose mon dos contre la cloison amovible grise et pleure bruyamment. Misère.

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