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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise (2.53)

Publié le 4 Novembre 2009 par Luc in L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise

  Dans l’apathie gagnant, du sexe triste à la haine à la mort.

 

  Après l’ennui… l’ennui… Deux sylvaines gentilles ont échoué dans l’amour que je devais porter à la journée.

  Dans une limite de bords, si j’avais trop descendu, peut-être m’eussé-je douté de quoi que ce soit, mais rien n’est arrivé, comme une déception pure, un manifeste froid, « Fou, l’art noir » [1]. Et s’ils pensent maintenant que je suis étrange, sans vie, sans activité professionnelle, je finis, moi, par douter de cette sacro-sainte envie d’attenter sournoisement à ma vie, puisque quoi qu’il en soit, nous allons tous crever.

  Je hais ; j’ai voulu voir ma vie se terminer d’un choc brutal aujourd’hui… Mais le tremblement n’est pas venu, je ne me suis pas crispé. L’Homme s’évanouit en moi. Je me hais. Ce sont les racines que je n’ai pas, les rancœurs (ma nourriture) et la rancune qui me soutient comme un tuteur, qui m’ont soufflé l’âme, comme un fétu. Je me hais. Je m’abaisse, rampe, meurt un peu plus à chaque avilissement, chaque pointage. Mais ce sont les seuls événements de cette vie. Mon corps se tortille vainement dans une lourdeur huileuse. Je me hais. Le ciel s’est fendu hier, et s’est vomi non loin de moi. Mes pieds baignent dans ce liquide et s’agglomèrent. Le mouvement est difficile. Pousser la bile. Piétiner l’opprobre. Je me hais.

  Comme le bœuf écorché de Soutine, je gis, la tête en bas et deux lames de fer plantées en travers de mes chevilles.

  Pas une partie de mon corps n’échappe désormais à mon regard de médecin légiste : je les sens toutes vivantes dans la douleur et exemptes de vices. La pureté par l’écorchure me mortifie car imméritée. Chaque souffle de vent frais en inspiration me fait mal aux dents. La souffrance sauve du sommeil et des rêves de grandeur, quand il a pu sembler quelquefois que nous n’étions pas nés sur cette terre uniquement pour attendre la mort. Il n’existe aucun espoir qui vaille la peine de s’y attacher, tout comme l’autre mérite notre respect mais pas que l’on se batte pour lui. Pour quoi faire ?

 

- Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet -

 

  Ou autrement dit,

 

- nemo dat quod non habet -


 
Mais ce n’est pas fini, on va continuer
[2]… à rouler des yeux blancs aux passants de l’abattoir, attirés par l’équarrissage, l’odeur du sang et des chairs à nu. Les coups de chaîne s’abattent sur mes flancs meurtris, pour me faire travailler et attendrir la viande, m’a-t-on dit.

  Je relève pourtant la tête, maîtrise un spasme qui me tord le cou, tend les muscles de mes bras et hurle à travers les blessures où la brûlure s’insinue. Repensant à la veille, lorsqu’on m’avait ouvert le ventre dans d’horribles gargouillements, je regarde mes côtes bien ouvertes, comme une huître sur le sable en plein soleil. Peu à peu, je décèle l’astre derrière la brume ; tout s’efface à force de luminosité acharnée. Pas de tunnel, pas d’espoir, juste une violente brillance qui balaye tout alentours.

  Les pieds vers le ciel, j’approche l’empyrée, mon Elysée de mort et de pauvreté écorchée dans le vol d’un cygne blanc, ivre de clarté. Soupeser la plaie, défaire les nœuds puis faire cesser.

  Oui, ce soir, j’en ai été certain. Je vais me crever. C’est avec un sourire consommé et peut-être trop habitué que j’ai avoué. L’eau s’écoule régulièrement par son sas d’évacuation, en borborygmes sonores, pendant que chante une flûte de pan. Mon rapport au temps, une fois de plus, est sans signification par rapport au calendrier. Fier de ma raison, je marque mes joues d’encre en m’asseyant sur le papier que je trace, sans respect. Il demeure, dans le halo fourmillant de lumière, la honte du mensonge constant que j’entretiens sur l’avenir. L’œil rond sans idées, je suis une coquille de noix suivant le courant qui la hale. Ce soir, je sais avec certitude que je ferai preuve dans toute ma vie une seule et unique fois de volontarisme positif : je vais me crever.

  Le calendrier me rappelle parfois à lui. Encore un jour improductif, et dire que c’est ma fête n’est pas un vain mot. En ces moments où un hasard vous transforme en centre fugace du petit monde, il faut savoir faire preuve de lucidité. C’est alors que je réalise une donnée terrifiante : depuis combien de temps ne fais-je rien, que parler du… temps, qu’il fait, qui passe, médiocre ou va la cruche à l’eau qu’elle se casse. C’est tout de même incroyable ! Moi qui ai toujours craché sur les Jardin, Frison-Roche ou autres Rousseau, je me retrouve nature à disserter sur les tenants et les aboutissants du temps qu’il fait. Je dois réagir, me persuader à nouveau :

 

1.      que ma laideur m’a conféré le génie et l’ubiquité,

2.      qu’en tant que génie, la douleur et la mélancolie demeurent les seules certitudes [3],

3.      que nous sommes sur terre pour en baver un peu et ne rien connaître, ni avant, ni après.

 

  Penser qu’un jour peut-être, mon corps se balancera doucement sous une poutre, ondulant sensuellement, vain et grand.

  Mais je manque de souplesse.

 

  Ô Dieu, toi, qui provoques ma fin, tu reviens vers moi, et je t’entends me dire :

 

  « Tu ne te souviens pas de ce que tu as fait ou commis la veille au soir… Tu ne sais plus quel était ton visage à ce moment là. Tu es mort.

 

  Tu te penches vers le sol où s’écrasent en général tes espoirs… Tu vois que ce sol est comme un miroir, puisque c’est ton image qu’il renvoie. Tu es mort.

 

  Tu te relèves pourtant ; la tête te tourne affreusement. Alors, rêvant de verts collines et de jours sereins, dans la tempête de la bataille qui fait rage entre ta raison et cette envie de boire, tu vas te recoucher dans ton lit empestant la sueur. Tu es mort.

 

  Allongé, tu es dans cette position merveilleuse. La tête est douce, quelques larmes pourraient même couler tellement la sérénité t’est inconnue. C’est normal, comme la prémisse de ta mort. »

 

  Mais Dieu et son Eglentreprise polymorphe sont naturellement des gens pleins de ressources (à tous les sens du terme), dont la cruauté est l’offertoire des espoirs imbéciles d’intronisation de leurs exclus, dont le tabernacle recueille l’ambition dévorante de ceux-là qui pensent qu’un rebond est toujours possible.

  

  Ce fut le cas de notre exégète, repêché par hasard au plus profond de l’abîme métaphysique dans lequel l’avait plongé son exclusion du monde, lui l’adapté modèle au système, lui qui pensait qu’un travail n’était qu’alimentaire et ne pouvait être pris avec passion, lui qui pensait que la raison viendrait à bout de tout… Il était repêché, grâce à Dieu et surtout à quelques relations influentes dans le siècle, qui un soir de beuverie ou dans l’urgence d’un besoin opérationnel naturellement non anticipé, se rappelèrent son existence…



[1] Yves Buin in « De la déception pure, manifeste froid », Sautreau, Velter, Bailly, Buin, 10-18, 1973.

[2] « … à voler dans les airs et les supermarchés… », Les Têtes Raides in « Ginette », 1ère version dans la galette 25 cm « Not dead but bien raides » auto-produite, packaging carton, 1989. Râlez-pas ! Je l’ai, c’est tout ! Vous pourrez toujours l’acheter en version CD chez Tôt ou Tard, 10/98.

[3] Pour ressentir dans toute sa profondeur la bile noire et les maladies y afférentes, V. Aristote, « L’homme de génie et la mélancolie » (Rivages poche / Petite Bibliothèque, 4ème éd.).

Merci à Valérie N. de m’avoir fait découvrir cette lumineuse évidence, la première depuis « Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée » de Kant (1786) : « Amis du genre humain et de ce qui lui est le plus sacré! admettez ce qui, après un examen scrupuleux et sincère, est à vos yeux le plus digne de foi, que ce soient des faits ou des arguments rationnels. Mais n'allez pas contester à la raison ce qui fait d'elle le plus grand bien de cette terre : le privilège d'être l'ultime pierre de touche de la pensée ».

C’est à l’occasion de la citation de cet opuscule génial à l’occasion que je réitère cette fois toute mon admiration à Alain Chareyre-Méjean (qui me l’a fait découvrir), dont je recommande à tous la lecture de la thèse « Le réel et le fantastique », 1991, sous la direction de Clément Rosset (ou le livre du même titre chez l’Harmattan, 1999).

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