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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise (Fin de l'épilogue)

Publié le 5 Février 2010 par Luc in L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise

  Non non non, ça ne va pas ! Il me faut maintenant réaborder l'épineux sujet du style à adopter pour devenir une star.

  Confronté au commercial puis à l'éloquence belliqueuse, j'ai conclu à leur inapplicabilité au cas présent. Une autre idée m'est venue :

  « Et le théâtre ? -questionnai-je innocemment- C'est bien le théâââââtre (à prononcer à la Jeanne Balibar) ! Y'a plein d'personnages, on peut faire des rimes comme en poésie, de l'humour ou du drame, écrire pour Jean Lefèvre et Jacques Weber ». On peut aussi, sans craindre la surranéité, composer pour l'théâtre moderne (quoique les « ommmm... » et les « Arrghhhll ! » possèdent une vertu littéraire qui m'échappe quelque peu). Et à partir de là, avouons-le tout net, la porte ouverte vers le cinéma ; alors petit budget deviendra grand. Cette voie bien tracée me permettrait d'accéder, tel un Steven Spielberg du 21ème siècle, au rang de star mondiale (qui a dit : « Alexandre Jardin l'a déjà fait ! »). Mais alors, il me faudrait savoir vendre, il faudrait savoir me vendre... Or je ne suis pas un commercial (V. supra). Je ne saurais donc manier avec habileté la rançon de mon image, si tant est qu'à force de labeur je réussisse à créer cette dernière. Une fois encore, la gloire paraît devoir m'échapper. Ophélie Winter a dit : " J'ai toujours rêvé d'être une star. Je suis née pour l'être. Je serai une star ". Si l'on passe sur la répétition, peut-être plus volontaire que maladroite, histoire d'enfoncer le clou à la Lelouch (La voix de son maître), le message est navrant pour le mesquin qui ne sortira jamais de sa fange, et carrément consternant pour celui qui croit discerner dans ses tréfonds nébuleux un soupçon de jugeote.

  Néanmoins, ledit message démontre d'une avidité, d'une gourmandise qui confinent probablement à la force de caractère. Il n'empêche que je trouve cela dégradant, alors que je constate la cruauté de mes interrogations, d'afficher une telle certitude. La connerie est vraiment inébranlable et détestable... Que je me déteste !

 

  Je cherche encore à ne pas me laisser aller, pour profiter pleinement de la joie d'un retour au bercail. C'est le dernier (éventuellement) style que je n'ai pas abordé : le récit lyrisant, l'hymne à la joie et au retour à la nature.

  La simplicité littéraire (qui a encore dit : Alexandre Jardin ?), celle qui fait respirer le livre, dont les pages se soulèvent et s'affaissent comme une poitrine, dont on sent le pouls lorsqu'il s'épanche entre nos mains tremblantes d'une sainte envie de vivre. Geweiht ! (variation catholicisante et collaborationniste).

  Demain, je serai donc le nouveau... Frison-Roche, le Giono du diamillenium, un Clavel apocalyptique... Ouais, ça ne sonne pas très bien... Ma cloche est fêlée : je ne suis pas, ne peux être l'auteur de Malataverne, d'Un roi sans divertissements ou de Premier de cordée.

  La campagne m'emmerde prodigieusement, la Provence est peuplée de marseillais et j'abhorre la montagne. L'idée de la haine m'a déjà été piquée par Mathieu Kassowitz... Je vais me mettre au dessin, tiens...

 

  Cette dernière phrase me redonne peut-être un souffle d’espoir… Moi qui avais un style bourgeois apparenté à celui de Drieu la Rochelle, pourquoi ne pas essayer celui de son compère Céline, mais avec un peu de Frédéric Dard alors ? Inspiration… Allez, je me lance !

 

 

  Mais qu'est-ce que c'est que ces conneries ?! L'idiot du village pourrait dire la même chose... en mieux. J'ai bien fait de me reprendre, parce que là, je n'aurais surpris personne en parlant, au terme de la marche, de la petite mare où je pêchais durant mon enfance, les « p'tits gnénuphards », et les « 'ros poissons », l'ombre enchanteresse des saules pleureurs tamisant une douce lumière, la vraie vie quoi ! ... Et mon cul ! Merde ! Je me prélasse au chaud et peinard dans un immeuble gris, de fer et de verre, de marbre, de toc et de fric. Le soleil est pâle parce qu'il est malade à crever, tout comme moi, l'estomac en dentelles de Bruges et le tarbouife plein. C'est la déconfiture, les gars ! Pourquoi continuer ?

 

Ouais… Pas plus convaincant que le reste… Je vais peut-être aller dormir.

 

La poésie peut-être ? Une sorte d’Olivier Larronde du 21ème siècle (mais qui sera mon Cocteau ?) ? Allons-y, un petit quatrain (ou quinquin puisque vous constaterez que chaque vers compte quinze pieds, soit trois de plus qu’un alexandrin ; donc avec un quatrain, cela me donne cinq alexandrins, par l’application d’une règle arithmétique toute simple. Voilà voilà voilà...)

 

Tu ne me connais pas... Mais en cette soirée fatiguée,

Tes regard et sourire joints dans une subtile alliance

Ont déclenché dans ma pierraille une subite fragrance,

A ton image magnifique. Je suis dès lors sur ton gué.

 

  Mais mais mais, très attendues, les observations, suggestions, remarques… insultes des censeurs :

 

 

-         La structure de ce quatrain, pour en être originale, n’en demeure pas moins très peu orthodoxe et peu instructive pour les jeunes générations (comment faire une coupe à l’hémistiche sur des vers de quinze pieds ?! Ce petit monsieur se moque de nous !).

-         En outre, nous noterons que dans la décomposition issue de l’exclusion des trois derniers pieds de chaque vers, la rime alexandrine se révèle bien pauvre : une bien triste allitération entre “soirée” et “lors”, à laquelle il conviendra de préférer la rime riche embrassée “une sub” des deuxième et troisième vers. La maniement sophiste de l’allitération se retrouve dans la décomposition des trois derniers pieds de chaque vers, car correspondant à la rime en quinze pieds...”

 

  Etc. Etc... Ereinté par la critique avant même de commencer à devenir un poète, je préfère refuser l’obstacle en hennissant ma déception.

 

  J'ai beaucoup rêvé, et paradoxalement peu dormi. J'oscille donc entre besoin de repos et nécessité de m'activer. La main bouge pendant que les yeux se closent. Cela ne saurait durer... Et puis, pourquoi écris-je ? Est-ce juste histoire de faire une montagne de trois fois rien ? D'insinuer l'intérêt dans l'esprit du lecteur par quelques manies formelles, effets de style, allitérations recherchées ou autres armes de l'écrivailleur ? En un mot, à défaut d'avoir le moindre récit en tête, j'abreuve la lumière de l'âne lisant de rodomontades grammaticales dont la vertu ne réside que dans la structure et non le signifiant. Cette recherche de la forme m'a souvent égaré dans les méandres du paraître, et d'une vaine quête négligeant la sincérité de la pulsion ou l'inéluctabilité de la sensation. Je suis démuni de toute entéléchie au sens de Leibniz.

  Mais après tout, cela me convient tel quel... En effet, puisqu'à la découverte d'un texte, chacun y voit généralement selon ses souhaits ; pourquoi dès lors ferais-je l'effort d'y insérer, surajouter un sens bien marqué, une déclaration ? Je laisserai donc la glose au glossateur futur (soient-ils nombreux...).

 

  Je me souviens à ce sujet, de l'interprétation commise par une sommité antique, qu'il avait extirpé d'un poème de Gérard de Nerval dans « Les Chimères » (peut-être bien « Artémis » ou était-ce « El Desdichado » ? De toute façon, ne vous inquiétez pas, j’ai définitivement renoncé à la poésie). J'en étais resté soufflé, piteux, ébahi et dépourvu devant tant de science : d'un quatrain apparemment obscur (car obscurantiste), le susnommé vous donnait par la carte le menu du jour de l'auteur. Saisit-il au vol une image évidemment forte, dont je supposais que seul l'auteur pourrait jamais l'analyser (et encore !), qu'il dénébule tout d'un coup la tumeur cérébrale ou les hémorroïdes dudit.

 

-         Et puis - dit-il - s'il y a là des rimes embrassées, c'est l'amour courtois ; doivent-elles se chevaucher que l'amour devient faune.

 

  Et les rimes croisées, questionnai-je en mon for intérieur, qu'est-ce donc ? De l'échangisme ? Robert Bidochon regardant Télé-Foot sur le canapé (c'est toujours mieux en croisant fatement les jambes) ?

 

-         Rien de tout cela - fit-il, sentencieux, comme s’il avait lu dans mes pensées - les rimes croisées représentent les entrelacs enchevêtrés des cercles éternels du temps.

 

  Là, je dois admettre qu'il m'avait de nouveau scié, en s'avérant plus obscur que Nerval lui-même !

 

  Enfin, tout ça pour dire, outre qu'Alexandre Jardin est bien le plus grand écrivain du siècle dernier, que Marc Lévy est le plus grand écrivain de ce siècle, qu'il n'est nul besoin de message pour noircir le papier en se libérant l'âme : je ne fais pas de publicité ; ni dieu ni maître, je n’appartiens à aucune religion ni entreprise.

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