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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise (1.82)

Publié le 7 Août 2009 par Luc in L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise

  Les visions empreintes de poésie ou d’imagination se raréfient, alors même que l’ironie perd de son charme. A ce compte là, que restera-t-il ? J’entends des rires monter d’une pièce voisine, que je ne comprends pas.

  Que peut-il y avoir de drôle dans cet endroit clair et spacieux, dans lequel le loisir fait figure d’incongruité ? Persuadons-nous que ces étranglements passagers sonnaient faux, quoiqu’il en fût. Eussent-ils été vrais que l’injustice en aurait été trop flagrante.

  Qu’ils rient donc, couvrant les sons de cloche et les piaillements infernaux des sorties de classe ! Pour ce qui me concerne, à cette heure, je lancerais volontiers ma tête vers l’arrière pour me pénétrer du plafond gris, de mon ciel granuleux de proximité, et m’aveugler du néon blanc. Ce dernier agrémenterait la vision des choses de jolies petites taches de couleur… Des petits pois lumineux ou sombres pour modifier la relation à l’objet une fois la lumière fixement scrutée.

  L’esprit se révèle bien faible en ce jour amarile, trompé par les éclats de voix qui continuent à fuser de la pièce voisine. Aussi vaut-il mieux cesser là, et se cacher, de peur d’y être attrait…

  La vie avance donc de bonjours courtois en ricanements masqués. Savoir qu’il se produit bien plus dans le dos que devant les yeux revient à faire preuve de réalisme. Opiniâtre, je gratte désormais le précaire vernis de la sincérité du sourire pour connaître le faciès haineux ou méprisant de mon interlocuteur.

  La valse des accoutrements est si diverse qu’une vie ne suffirait pas à les recenser tous, ce qui serait hautement inutile d’ailleurs. Certains moments d’espoir font frémir : que penser d’un monde sincère et amical, ne camouflant pas, non plus que ne nébuliserait à loisir sous une aura brouillasseuse sa faible personnalité ? L’étonnement frapperait à un tel point que cela équivaudrait à se jeter sans résipiscence et à la vitesse de la pensée sur un mur infini, et recommencer la percussion à chaque instant. Alors qu’un monde mielleux et fourvoyé recèle tant de richesses, d’imagination, d’habileté et d’intelligence ! La manœuvre, dans tout le talent qu’elle comporte, a pour conséquence unique d’éviter le mur susévoqué, dans un ultime réflexe de sauvegarde personnelle. C’est aussi pour cela qu’il faut savoir respecter ceux qui vous crachent dans le dos. Ne jamais se soumettre à l’étonnement primal d’un monde incontrôlé.

  Outre les jours, les simples minutes passent dans un éther variable, qui me soumet tour à tour à l’attrait fascinant et au dépit de l’échec, pour finir par le céder au désabusement.

  Rester encore immobile dans une confusion sonore de fond, que je reçois comme le silence, dans lequel je n’aurais rien à faire, où l’ennui ne tardera plus. Avec son cortège d’abattement et de renoncement.

  Une discussion tout à l’heure, qui pourrait signifier mon intégration dans de plus hautes sphères de l’Eglentreprise, me fera peut-être sortir de la médiocrité, et marquera ainsi l’abandon de la sécurité. Quelques minutes plus tard, ça ne va plus. La tête me tourne et les molaires s’emboîtent avec violence. Les yeux doivent devenir tristes et s’abaisser. Fébrile et faiblissant, je cherche à sonder les destinées inconnues, à faire taire la peur qui me broie le ventre et obscurcit le champ de vision devant moi.

  Est-ce histoire de faire miroiter tous les avantages que j’ai laissés en cours de route, de faire resplendir le passé et le présent, sûrement faussement, au détriment du prochain tournant ?

  Ma tête forcée de se retourner, ce faisant ne vais-je pas rater le virage décisif, par manque de visibilité ? C’est plutôt le manque de lisibilité des informations que je redoute, dans la frayeur. Il va falloir que tout cela cesse bientôt, car je sombre un peu plus chaque jour, comme une petite chanson, qui va decrescendo, qui se perd mollement dans son xylophone ralenti sur deux notes, peut-être mi et fa, frappés à chaque temps. Lorsqu’elles sont jouées ensemble, la différence d’un demi-ton provoque une vibration inhabituelle dans une chansonnette telle que celle-ci, comme embrumée, et moi… éreinté. L’air frais me réveille, mais la suite de notes, puisqu’on ne peut parler de mélodie, me poursuit, tenace. On dirait presque du Glockenspiel. Eine Lerche sang ? Non, je ne suis pas Rilke à Prahà, mais pas grand-chose à Lyon. Il n’y a guère d’oiseaux sur les branches tachetées des platanes alignés. Certainement, la chanson douce est une idée de retour, que je vais dès lors devoir affronter. J’aurais voulu attendre que mon règne vienne, mais il faut se résoudre à patienter pour avoir la chance de devenir esclave, qui est le seul espoir de vie. Le pouvoir a failli m’intéresser, mais j’outrecuidais.

  Alors je me suis corrigé, plus conforme à mes moyens. Dans l’ombre où est ma posture, je ne peux, ne veux pas avancer. Dans la discrétion, je peux atermoyer selon mon désir, m’affranchir de la honte des reculades, savourer la béatitude du lâche et du paresseux. Que ferais-je du pouvoir, puisque je domine déjà de très haut ma propre personne ? Je tiens à sombrer sans que nul s’en soucie, ne pas importuner tel que je déteste que l’on me dérange.

  Je reste sur place, implorant le téléphone de sonner, porteur d’une fausse nouvelle, ou simplement éventuelle. En attendant, je suis paralysé par la peur et le compromis à trouver.

  Les rêves furent probablement agréables, cette nuit, si j'en crois les réminiscences caressantes qui me parcourent encore le corps ce matin. Je devais accéder à la gloire, du moins au succès, monde fascinant où j'aurais été le pôle de la confiance, de la science et de la beauté. C'est en bâillant devant ce portrait énorme d'ennui que s'est imprimé... défloqué sur moi le gris du plafond, me recouvrant d'une enveloppe brûlante. Alors, l’écœurement gagnant, le liquide s'est extirpé par tous les pores... La pluie du corps apporte la fraîcheur, sauf au visage héliophobe qui se consume de manière continue, mais sans ardeur.

 

  Une page se tourne donc, que mon tempérament propice à la nostalgie regrette déjà. Une sensation de malaise et de lourdeur immédiatement contrée par celle, plus violente et vivace, de l’obstacle. Je m’en approche en trottant ; mes légendaires œillères m’empêchent de voir autre chose du paysage que ce mur situé en face de moi, dans la ligne de ma course. Je sais bien qu’il faut y aller, que je vais devoir sauter en évitant de laisser mes jambes à son sommet. Le silence est atroce autour du seul bruit de mes pas.

  Ce n’est pas tant le risque de la brisure ou de l’écorchure sur les pans de ce mur qui causent ma peur, que l’ignorance complète dans laquelle je me trouve de ce qu’il y a derrière. Je ne vois rien et trottine paisiblement vers l’obstacle, sans information sûre autre que sa couleur, ocre et grise.

  Comment ne pas céder à la tentation d’imaginer cet instant fugace, lors du saut, pendant lequel on constaterait que seul le néant se trouve à son issue, et qu’alors on essaierait de s’agripper, de revenir en arrière… en vain.

  D’aucuns disent que le changement, l’inattendu, les surprises mettent un piment salutaire dans la morne vie quotidienne et fonctionnaire. Pour ma part, outre que je me passerais fort bien de l’angoisse, je ne sais plus que penser. En tous cas, j’avance à pas comptés vers ma grande ascension, vers ma fin… Qui sait ?

 

  Qui sait…

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