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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

Le Couple (3.21)

Publié le 5 Septembre 2008 par Luc in Le Couple (essai satirique)

II

 

LE COUPLE RATE

 

Nil admirari [1]

 

 

  Cette vie est une erreur fausse et sans fin… Une âme brisée oubliant tout dans la crainte… L’amour est tout sauf la plus grande force, de celles qui détruisent tout. Longtemps que tu es parti(e), autant que tu es oublié(e). Une hésitation coupable que d’avoir pensé à toi ! Une bêtise puérile que d’avoir été hors de toi… Je suis obituaire.

 

  Traduction (un peu libre) de la sensation éprouvée par l’un des membres du couple mort d’ennui, entrant difficilement dans la décennie délicate des quadras. Ce couple aberrant seul a réussi à perdurer une vingtaine d’années, avec ce que cela peut comporter de mensonges, de pertes et profits ou d’enfants. Toutefois, par une étrange réjuvénation à l’approche intellectuelle de l’assurance vie et du PERCO, donc du troisième âge [2], la femme qui a souvent plus mal vieilli que l’homme, se retrouve avec le feu au derrière dans une dernière et improbable tentative de séduction pré-ménopause. Ainsi voyons-nous arpenter les artères, particulièrement en nos régions méridionales, de ces femmes de quarante ans comme ne dirait pas Balzac, défilant en minis ras-la-touffe, boots blanches à franges ou couleurs étranges insérées dans des coiffures ébouriffées. L’homme a quant à lui la quéquette en fleur lorsqu’il constate en bavant d’envie le frémissement encore gourd des petits seins d’adolescentes démunies de soutien-gorges.

 

  Que l’élément féminin prenne mal de la bouteille, cela est indéniable : les hanches et la taille s’engorgent de cellulite ou au contraire se dessèchent sans charme, seul un vieux papier fripé et bruni recouvrant alors les os pointus.

  Les tissus se relâchent dans tous les cas de figure ; les seins tombent comme des soufflés agressés à coups de fourchette. Les varices naissent ; les enfants le sont déjà quant à eux depuis un certain temps. L’homme, s’il peut se conserver à peu près correctement, même au-delà de la date de péremption, révèle une tendance corrélative à l’embonpoint, de ces bouées qui  apparaissent insidieusement entre les côtes flottantes et les hanches quand chutent les premiers ou derniers cheveux sur sa ceinture abdominable, une réaction énarchique

  Je n’envisagerai même pas l’ignominie de cet homme ne rêvant qu’à chair fraîche et corps graciles, aux formes juvéniles, qu’il tente de retrouver pour mieux oublier ce qu’est devenu sa femme. Impéritie finale de cette dernière qui tape dans le plus âgé pour se croire plus jeune, ou au contraire dans le jeunot désaxé, mue d’une approche pour le coup très masculine… Quelle hypocrisie malsaine… Je m’amuse à noter que l’hypocrisie est ma qualité favorite, mais au cas présent, elle me fait horreur, tout comme me répugne le jugement moral et moralisateur que je viens d’émettre. Mais le pétrissage de mes contradictions se rend indispensable au vague conglomérat qui me sert de personnalité attachante.

 

  Attachant, comme le couple, de mille rets qui sautent un jour quand les époux ont trop longtemps retenu leur respiration. Je me moque bien de la violence conjugale, des coulpes dits libérés, de l’alcoolisme… Je veux parler de divorce, de liquidation de régime matrimonial, d’anéantissement des donations faites au titre des fiançailles dont la bague doit être rendue à celui ou celle qui en avait acquitté le prix, sauf pour les biens propres par nature de l’article 1404 du Code civil… Voilà à quoi se réduit ce couple qui s’imaginait romantique : un amas juridique, un marché du Maghreb dans lequel tout marchand se croit en droit de vous saisir par l’épaule pour vous entraîner dans son échoppe…

  Le divorce est tout d’abord un drame psychologique en ce sens que s’achèvent ainsi la vie douillette, la situation fiscale avantageuse de par le système des parts, ainsi que l’enfance des enfants. Maintenant, il s’agit plus de partager les acquêts, non sans les avoir auparavant identifiés avec certitude (et mauvaise foi)…

 

  Comment dire… cette annihilation était inéluctable : l’homme et la femme comportent des différences qui ne s’emboîtent pas aussi facilement que leurs corps… Ce ne sont pas des rouages huilés, ni les roues dentées initiatrices du mouvement perpétuel ou d’une noria de bonheur. La succession des génitifs racoleurs et parties génitales mécaniquement imparfaites pèse lourd dans l’idée d’échec. Le divorce juridicise les complexes et inhibitions. C’est dans le processus d’acte grave décrit par E. De Greef que je trouve le fondement du divorce. L’accumulation de médiocrité finit par devenir insupportable à l’inconscient de tel époux, et l’acte commence alors de poindre dans son esprit, conscient au bout du compte. Certaines exhibitions peuvent retarder le début d’exécution, comme s’offrir des fleurs, s’émouvoir ensemble des enfants qui grandissent, compatir à leurs problèmes ou les sanctionner, et tout ce qui constitue une aide pour ne pas penser à leur fin qui s’avance. Par ces subterfuges sophistes, les années s’écoulent. Par ses faiblesses, le couple dure.

  La préparation au divorce peut être inexistante pour celui des époux qui aspire à une franche coupure : on le ou la voit s’amener bille en tête, et annoncer plus ou moins froidement son départ… définitif. Deux hypothèses générales se présentent dans la casuistique du divorce.

  En premier lieu, les désaccords s’avéraient flagrants. En de tels cas, les disputes ajoutaient leurs piques moutardées au train-train quotidien, et la séparation, pratiquement voulue par les deux têtes de l’hydre, va se ressentir comme un soulagement par tous. Que dire de la séparation de corps, le divorce des catholiques ? Pas idiot ! Une mesquinerie de plus pour continuer de se montrer ensemble le dimanche matin à la messe, mettre la piécette dans le tronc de Saint Christophe en le priant de bien vouloir rester couché chaque fois que le conjoint prend sa voiture. Plus d’un cureton confesseur a dû se fendre la poire ou d’une condamnation symbolique (deux ados, trois pavés et un cratère) à l’écoute des débauches de nos bons bourgeois disciples de Christus. Ceux qui connaissent les mœurs étranges du Tholonet, de Neuilly (sur Seine bien sûr) ou de Saint Germain en Laye me comprendront !

  Je ne cesserai mon combat que « lorsque j’aurai pendu le dernier patron avec les tripes du dernier curé » [3].

 

  En second lieu, rien ne transparaissait, ni ne transpirait erga omnes et ceteris paribus d’une éventuelle mésentente entre les époux. L’accumulation des bassesses et la montée en pression se faisaient silencieusement, sourdement, jusqu’à l’explosion finale. Celui des deux qui sent devoir prendre la décision vitale se déclare, un soir normal de retour de travail, le plus simplement du monde, à l’ébahissement total, l’étonnement violent de l’autre, qui ne s’y attendait pas. Alors les fondations, les infra- et superstructures de sa construction vacillent pour finir par s’écrouler dans un nuage de poussière étouffante. Cette poussière de destruction domine la scène où l’on remarque un époux effondré, la face contre la nappe de la table de cuisine, de laquelle s’exhalent les infects effluves d’eau croupie, passée de la vieille éponge à la toile cirée. Pendant ce temps, l’autre ne peut manifester, une fois son bref discours achevé, que d’une triste détermination et d’une gêne chronique, ainsi qu’en témoignent ses gestes nerveux.

 

  A-t-il bien fait ? La peur et la faiblesse le reprennent à la vue de l’épave humiliée qui lui a servi de conjoint durant toutes ces années endeuillées par l’absence de liberté. Les questions financières ne sont pas inscrites à l’ordre du soir de cette réunion de crise. Celui qui est en partance va devoir piteusement s’acheminer vers l’hôtel le plus proche pour y passer la plus mauvaise nuit libre qu’il ait eu à connaître. Quoiqu’il en soit, il repassera dès le lendemain pour se renvoyer en possession de ses affaires et effets, embrassera ses enfants comme un bonjour. Peut-être même le réflexe de regarder la télévision le reprendra-t-il, pour un grand prix de F1 ou un match de rugby proche de la fin du tournoi des Cinq Nations, le seul enjeu du printemps qui s’annonce…

Qu’importe… après tout, n’est-il pas chez lui ? Plus maintenant ! rétorquera l’autre, vert de bile et les yeux gonflés au valium-whisky (le guronzan-vodka n’étant prescrit que pour les jours de fête, ce qui n’est pas particulièrement le cas en l’espèce).



[1] « Ne s’émouvoir de rien », Horace, Epîtres, I, 6, 1. 

[2] Ne râlez pas, les quarantenaires, si l’on en croit Shakespeare, il y a sept âges en tout !

[3] Célèbre maxime de la géniale marionnette de la poétesse mondialement reconnue, j’ai nommé Mlle Arlette Laguillier, la reprenant après Philippe de Champaigne en 1969 (qui en avait maculé un portrait de Richelieu). Mais où cela devient drôle, c’est que l’origine de la phrase se trouve dans une saillie du bon curé Jean Meslier (1664-1729) qui devant le despotisme des seigneurs et archevêques, souhaita que « les grands de la terre et tous les nobles fussent pendus et étranglés avec des boyaux de prêtres ! ». La loute ouvrière aurait-elle fait son catéchisme ?

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