J’en viens donc à mon second exemple d’amassement frénétique et parfaitement irrationnel : l’accession à la propriété immobilière. La maison !
Les arguments pro ont toutes les apparences de la raison, mais nous démontrerons qu’ils ne sont que sophismes. La démonstration se fondera sur les affirmations les plus courantes relevées par l’observation empirique, de la part de sujets se disant intéressés et favorables à l’accession à la propriété immobilière :
- « Je ne veux pas gâcher mon argent dans un loyer, car en achetant ma maison, j’ai au moins l’impression que mon argent sert à quelque chose » : cet argument relève apparemment du bon sens populaire, le même que celui qui envoyait les épileptiques au bûcher pour possession par le démon, le même pour qui l’arabe est un fouteur de merde qui ne vise qu’à islamiser la France, le même qui hurlait avec les loups contre Georges Courtois… Le bon sens populaire n’a jamais tenu lieu de raison, et pour cause : la majorité de ces primo-accédants, prime Sarkozy ou non, s’endette sur 30 ans pour l’achat de biens évidemment surévalués à des taux d’intérêts certes aguicheurs mais dont le montant net versé sur trente ans est largement supérieur à celui qui devait être acquitté antérieurement pour un emprunt sur quinze ou vingt ans selon un taux apparemment supérieur. D’où il s’ensuit que ces acheteurs payent leur logement plus cher qu’un loyer, pour n’acheter que des dettes dans un premier temps, puis un logement promis à la ruine lorsque l’emprunt sera remboursé.
Certains sont conscients de la fragilité de l’édifice et se lancent dans une course absurde à l’achat puis à la revente de leur résidence principale, selon des délais variables (2 à 4 ans le plus souvent), protégés de la ruine de biens mal construits, mais également soumis à la nécessité de prendre toujours plus gros pour avoir la sensation de l’importance de leur plus-value, légitimant ainsi leur schéma. Sauf qu’une plus-value réelle est également absorbée de manière réelle par la surévaluation du nouveau bien acheté. De réelle, la plus-value devient purement idéelle.
En outre, dans une optique d’intérêt collectif, de tels comportements entretiennent la spéculation immobilière, laquelle agit principalement au détriment des plus faibles économiquement, ce qui est à proprement parler inacceptable et contraire à toute citoyenneté.
L’égoïsme et l’individualisme forcenés commencent d’apparaître en filigrane derrière une affirmation « de bon sens ». Nous allons constater leur confirmation par la suite.
- « Je veux laisser quelque chose à mes enfants » ou encore, d’un air admiratif, « Il a travaillé dur toute sa vie pour laisser quelque chose à ses enfants » : après le bon sens, les adeptes de l’accession à la propriété veulent justifier la nécessité de cette dernière par la fibre sensible, le travail et la famille (aucun humour dans ce syntagme, ni accusation de pétainisme larvé, dans la simple mesure où nous démontrerons que le souci de la Patrie est parfaitement absent chez ces individus). Cette position relève de l’absurdité la plus complète, ou du mensonge inconscient le plus éhonté !
En effet, la propriété d’un bien immobilier se révèle à l’usage totalement inutile en matière d’éducation des enfants, laquelle ne souffre nullement de la location, de la mise à disposition d’un logement à titre gratuit, etc.
De la même manière, l’allongement de l’espérance de vie a pour conséquence notable qu’en matière de successions portant sur des biens immobiliers, l’héritier prend sa part réservataire ou non à un âge auquel sa vie est déjà faite, bien plus proche en tout état de cause de la retraite que de ses études en Faculté. Son intérêt dès lors pour la succession n’est pas le mieux-vivre, mais bien l’amassement de richesses dont il eût pu se passer sans difficulté.
L’argument technique vient également démonter l’affirmation : nous avons vu précédemment que la qualité de l’immense majorité des logements construits aujourd’hui induisait en elle-même que ses éjets menacent ruine d’ici trente ans. Hériter des parpaings désolidarisés au toit hasardeux, la belle affaire !
Enfin, l’argument familial cède irrésistiblement sitôt que plus d’un enfant est concerné : l’indivision est le pire des régimes juridiques, nonobstant les velléités de réforme actuellement envisagés. Sauf crack immobilier (qui rendrait l’accession à la propriété bien inutile, sauf spéculation sur le plus long terme), les cours actuels de l’immobilier défendent à la majorité des citoyens de ce pays de racheter la part des autres héritiers : le résultat est simple, la vente du bien, l’inclusion de son montant (généralement réduit, ainsi que le démontre la pratique en termes de cession de biens indivis faite généralement dans l’urgence et la volonté « d’en terminer ») dans la masse successorale et son partage entre les héritiers. Modeste contribution en vérité du de cujus au maintien d’une cellule familiale stable et proche géographiquement !
Par conséquent, l’affirmation de la nécessité de transmettre un bien à ses enfants, qui paraît s’inscrire dans la droite ligne du droit romain dont nous héritâmes et dans une tradition familiale bien établie en France, ne constitue pas autre chose que la maladroite tentative de justifier un comportement égoïste et individualiste reposant sur la seule volonté d’amasser des biens et richesses. Cette volonté doit être inconsciemment masquée du fait, c’est un lieu commun mais indiscutable, de la fameuse culpabilité chrétienne quant à l’acquisition de biens matériels, à l’interdiction de l’usure et des métiers d’argent, laissés aux juifs.
- « C’est important d’être chez soi » ou, autre variante, « C’est important de ne rendre compte à personne » : dans ces phrases, il n’est nul besoin de souligner le caractère profondément individualiste de leur auteur, et je n’y reviendrai donc pas, tout en attirant l’attention du lecteur sur le fait que je ne m’essaierai pas à une tentative d’explication psychanalytique sur la nécessité vécue d’amasser des richesses (étant incompétent pour ce faire), me contentant de la juger contraire à la morale nécessaire de tout citoyen éclairé.
J’insisterai in fine sur le mode de vie adopté par les propriétaires, achetant croyaient-ils pour leur plus grand bonheur. L’observation empirique démontre chez eux le ressenti d’une activité de tout instant, regardée comme nécessaire pour parvenir enfin au bonheur du chez soi. Le bien si chèrement acquis doit constamment être valorisé, faire l’objet de travaux incessants destinés tout autant à augmenter le confort de vie au quotidien qu’à apporter des plus-values audit bien (nous relevons ici plus un tempérament spéculatif qu’une volonté successorale !), au prix de relations continues avec plombiers, couvreurs, maçons, charpentiers, pisciniers, turcs, yougoslaves (« l’artisan français est long et trop cher »…), amis d’amis qui savent comment on fait ça, connaissances du beau-frère dans le BTP, le tout autour de barbecues arrosés de mauvais rosé où les yeux vitreux contemplent le chantier éternel de l’insatisfaction du propriétaire jamais assouvi d’amasser… Toujours dans l’action et la réfection, tellement que les couples ne se parlent plus que de tâches administratives ou de travaux, sans songer jusqu’à l’inévitable divorce à échanger sur l’art que constitue le maintien des liens amoureux. A force de cacher ces derniers sous la décoration (qui n’est pas toujours de l’art) et les tas de gravats issus des excavations d’une piscine ridicule, ils se sont perdus, à jamais, et ce n’est pas la spéculation immobilière qui changera à l’affaire, la fameuse bonne affaire à laquelle ils aspiraient…
Quant à moi, je préfère poser mes valises, mes trois meubles dans une location où je n’ai rien à faire, vivant au crochet d’un propriétaire soucieux d’action, heureux d’encaisser l’aumône que je lui consens chaque mois, pour ma tranquillité d’esprit.
Ne plus bouger. Cesser toute action. Lutter immobile. Contre l’amassement.