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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

La dernière fête (4.0)

Publié le 24 Octobre 2008 par Luc in Ar gouel diwezhañ (La dernière fête)

IV

 

QUE FAIRE ?

 

A Nikolaï Gavrilovitch Tchernychevski…

 

 

  Le matin désormais calme passa invisiblement pour Loeiz, mais après quelques courses au stal-voued [1] et une fois le maigre déjeuner avalé, il commença son attente de neuf heures, et Dieu que le temps était long, assénant avec une régularité de métronome ses lourdes salves de solitude.

  Exténué par l’inactivité et l’attente qui n’en finissait pas, il s’allongea, résistant difficilement aux assauts subreptices du sommeil. Il s’émoussait, doucement, dans la question du « Que faire ? ». En l’absence de tout fondement horaire, l’ennui, que le vide attire par-dessus tout, s’empara du monde, et celui-ci explosa instantanément. Alors Loeiz ferma ses écoutilles, reprit le dialogue intérieur qui le faisait s’ériger, presque puérilement, en antagoniste de Marivonig, jusqu’à la provocation. Il devait pouvoir survenir l’incident qui eût rompu l’insupportable ennui qui le frappait, et une arrivée inattendue car prématurée de Mari serait pour sûr cet événement. Mais allumait-il une cigarette qu’il la terminait en l’écrasant d’une violence dépitée sans que rien se produisît. Rien ne semblait bouger d’ailleurs, ni même exister au dehors, sous le ciel pâle encombré de nuages d’altitude. Pas un tressaillement des tamaris entourant la maison. Pas un bruissement dans le bois de pins de Kernoël. Pas une risée pour faire tourner le moulin entre Rudevent et Fontaine Varia. Pas un brin de mer à la pointe du Grougn à reter [2]. Pas un éclat de voix en provenance de la cale de Pénera ni de la plage de Kerolan à gevred [3]. Déréliction. Que faire ?

 

- An amzer a dremen, hag an amzer na dremeno biken… Gortoz a ran. - [4]

 

  De temps à autre, il passait une tête devant la fenêtre, et alors, seul l’écho fœtal de la nuit tombante répondait au vain sarcasme du grincement de l’espagnolette. La musique avait cessé son lancinant manège ; le rythme de la nuit, incompréhensible, faisait éclater le peu de vanité rationnelle qui restait à Loeiz. Que faire ? lorsque les fondements de l’attente ont disparu… Un verre, juste un petit, pour la route immobile…

 

- Yec’hed deom holl ! Hemañ zo vont da goll ! - [5]

 

*          *

*

 

  Etrangement, aucun bruit ne précéda le sonore appel de son nom. Emergeant subitement d’une torpeur létale, il se redressa et constata dans le trouble l’entrée de Marivonig. Une nouvelle horreur commença pour lui.

  Il essuya une tempête de paroles, qui lui semblaient autant de crachats d’une lave en fusion. Cette fois sans pouvoir parler, ankylosé d’avoir trop attendu, il endura le supplice, même lorsque ce qu’il entendait comme futilité absurde lui précisait ce que pouvait être l’Enfer et aurait dû susciter une réaction dans sa posture amorphe. La bouche béante, le cœur probablement détruit, il regardait se déverser inexorablement sur son corps l’insatiable volonté de gagner de Marivonig. Elle voulait gagner sur lui, plus que pour ou contre lui, en vue de lui imposer son propre schéma de fonctionnement, gagner sur la société, le thème récurrent de l’argent revenant avec encore plus d’acuité. Avec autant d’autosuggestion que de conviction, elle s’évertuait à expliquer à Loeiz en quoi elle était « une gagnante », ambition parfaitement saugrenue aux yeux de son muet interlocuteur, qui n’osa rétorquer un sévère :

 

- Que faire ? Que gagner lorsqu’on n’en a pas les moyens ?

Gwell eo bezañ paour eget staget gant ur chadenn aour… [6] -

 

 

- Ya, eo sur ! Paour, dreist-holl etre spered ken gallout a ran lavaret,

pa binvidika gwashoc’h evit an diaoul ez a ! - [7]

 

  Le désespoir l’envahit devant ce qu’il considérait comme une naïveté totalement infantile. Mari se croyait plus forte que la chose, que l’élément d’extranéité. Il prenait conscience du fait qu’elle n’aurait jamais raison de lui mais qu’il ne pourrait jamais tolérer la pression qu’elle développait pour le convaincre de la justesse de ses arguments. Un problème de méthode, de communication, songeait-il, car les plus défendables des positions de Marivonig se noyaient dans l’incohérence générale du propos et surtout la défiance farouche de toute objection, en refusant absolument de s’interroger sur le fait de savoir si elle était ou non fondée. Un dialogue de sourds.

 

  Loeiz écoutait hagard le monologue effrayant en suppliant sa raison vacillante de lui donner le courage de l’acte. Quel serait-il ? La violence revenait poindre en lui, le partageant entre l’opportunité de frapper et celle d’insulter. Dans le premier cas, il ne pouvait se résoudre à user d’une telle facilité, à renoncer à sa qualité d’Homme. L’hypothèse de la violence verbale ou mentale semblait s’imposer, mais Mari pourrait-elle comprendre la relation de cause à effet entre la répulsion que son roulis de paroles inspirait à Loeiz et l’éventuelle vigueur de la réaction de celui-ci ? Rien n’était moins sûr, et il s’abstint alors de reprendre de pleine volée cette beauté trop parlante. Il préférait la laisser s’enfoncer dans ses souvenirs, mélangés et virevoltant avec le présent, répétés et sans importance, le seul point commun de tous les récits étant son absence totale du passé, du présent et de toute prospective de Marivonig.

  A l’opposé, le silence de Loeiz était perçu par Mari comme une écoute distraite, une provocation, un message comme quoi il ne renoncerait jamais à un pouce de sa chère liberté, empêchant de ce fait toute construction d’un avenir commun. Cette attitude faisait décupler les efforts de la belle pour le convaincre… Sans plus de résultat.

 

  Ils devaient aller au bar de Pénero ; Loeiz n’eut pas le courage d’interrompre Marivonig pour rappeler ce qui avait été convenu. Il aurait pu l’enlacer, la faire taire enfin de baisers intarissables ; il n’eut pas la force de lever les coudes et le postérieur du lit, hébété, les jambes ballantes. Il aurait pu fumer, boire en la présence de Mari par provocation, pour précipiter la fin du supplice, mais l’inanité du Tout ressentie à ce moment l’empêchait tout simplement de penser…



[1] Magasin d’alimentation.

[2] L’est.

[3] Le sud-est.

[4] Le temps passe, et ne passera jamais… J’attends.

[5] Santé à nous tous ! Celui-ci (ce verre) va à sa perte (disparaître).

[6] Il vaut mieux être pauvre (et libre) qu’attaché avec une chaîne d’or…

[7] Oui, c’est certain ! Le pauvre, surtout en esprit si je puis dire, qui s’enrichit devient pire que le diable !

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