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Mademoiselle N., Mademoiselle N. !
J’ignore si l'ubiquité s’inscrit pleinement dans nos relations, mais toujours est-il que l’interrogation languissante sur ton sort, présente depuis quelques mois, de manière plus sourde encore ces derniers jours, me donnait la prescience qu’il allait survenir quelque chose...
Si fait, une carte ! Plus qu’une carte ! Un signe de vie !
La première émotion passée, je ne te pardonnerai évidemment pas l’ironie mordante et non dénuée de facilité dont tu as fait preuve quant à ma supposée procrastination de toi (blablabla septembre ? blablabla automne ? blablabla avant l’hiver ?), dans la simple mesure où le devoir de mémoire me contraint à te rappeler ton incroyable faux bond : qu’est-il advenu du fameux nouvel an si séduisant, dans la bâtisse sans âge de Venelles, aux murs doucement pourléchés des lueurs orangées d’un feu de cheminée devant lequel tintinnabulaient les couverts argentés des convives gaiement attablés ?
(respiration profonde et indispensable, je cramoisis)
« Où Diable ai-je bien pu fourrer ce damné
carton d’invitation ? Dévorerons-nous le fameux crumble à la tomate ? Aurons-nous à subi bénéficier de la présence éclairée de l’escouade des enseignants
volubiles ? » étaient les questions qui m’agitaient, me tourmentaient encore le 31 décembre en début d’après-midi... Mais rien, pas de
lieu pour les réponses.
Nous dûmes donc nous rabattre sur une soirée champêtre à Tallard, durant laquelle toutes les différences de mode de vie et de communication entre la paysannerie alpine sabotée et la bourgeoisie urbaine désabusée ont cruellement resplendi à la lumière crue d’ampoules nues...
Que dire du silence éreintant opposé aux quelques messages laissés par ma voix hasardeuse sur l’odieux répondeur ?
Non non non, Mademoiselle N., s’il n’en tient qu’à moi, dont les vacances estivales ont duré, oh une bonne semaine au bas mot, nous n’aurons pas à attendre que fissure nos peaux de son souffle glacé le mistral hiémal !
Je t’embrasse et à très bientôt !
P.S. : tu pourras peut-être t’étonner du choix du mode épistolaire pour ma réponse, tandis que le téléphone eût peut-être été plus simple et diligent, mais je connais ton rigorisme procédural, celui qui fit ta réputation auprès des fessiers effrayés des bancs d’amphithéâtre, et je n’aurais donc pu violer la règle du parallélisme des formes.
P.P.S. : tu reçois cette lettre en version tapuscrite parce que mon écriture va empirant avec les années. Alzheimer ? PhilippeLéotardisation récurrente ? Encéphalite spongiforme bavarde ? Qui sait ?