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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

La dernière fête (7.2)

Publié le 11 Décembre 2008 par Luc in Ar gouel diwezhañ (La dernière fête)

 

-          Tu sais, ma sœur s’emporte facilement… Elle se croit persuadée, dès le début d’une aventure, d’avoir rencontré l’amour final.

 

-          Soit, je peux l’entendre… - répondit Loeiz - Mais quel besoin avait-elle de lancer des déclarations enflammées avant d’être sûre de son fait ?!

 

-          Elle est comme ça ! En ce qui me concerne, je ne prononce ce genre de paroles que tardivement…

 

-          Comme toi ! Et même parfois trop tard… - grinça-t-il, en expérience de cause.

-          Toujours est-il que Mari, complètement schizophrène affectivement, croit dur comme fer avoir tout trouvé dès le premier instant, et évidemment, non seulement elle se lasse très vite lorsque la réalité vient démonter son ambivalence de pensées, mais aussi, et surtout elle peut retomber dans les mêmes erreurs avec n’importe quel type, à tout moment ! Vulgairement, c’est un cœur d’artichaut !

 

-          Hem ! Pas très gentil pour moi ! Mais enfin, je suis prêt à l’accepter… Du moins qu’elle me le dise clairement ! Qu’elle facilite mon deuil ! Mon orgueil n’est pas assez imbécile pour me faire croire à l’infaillibilité, à l’omnipotence… Entre Dieu et l’homme, il n’y a que l’orgueil ! [1] Ce maigre orgueil, plus fumée que feu [2]

 

-          Tu me parais bien triste, Loeiz… A ce compte là, je vais voir ce que je peux faire pour toi… enfin… pour vous… Viens donc demain chez Mari, j’y serai en fin d’après-midi.

 

  Loeiz avait souvent méprisé Gwen en raison de ses honteuses tentatives de le débaucher, l’été dernier notamment, quand elle savait pertinemment l’état de sa relation avec Marivonig, sa propre sœur. Il ressentit néanmoins une profonde sympathie, une réelle affection pour Gwen. La proximité kinesthésique de leur dialogue aurait-elle pu faire tourner cette sensation en un sentiment plus fort ? Loeiz résolvait le problème comme à l’accoutumée, en pirouette.

 

- A chaque heure ses soucis ! -

 

- se convainquait-il. Quoiqu’il advînt, il fallait que l’explication eût lieu, mais ce ne serait pas cette nouvelle soirée d’ivresse qui y changerait quoi que ce fût, en l’absence de Mari, qui, victime d’une dispute aussi violente qu’habituelle avec son père Ilan, s’était vue ostracisée sur le continent.

  Loeiz n’ignorait pas la violence d’Ilan et le feu insatiable qui couvait toujours en lui, jusqu’à la perte de conscience, à lancer des couteaux en direction des membres de sa famille, les yeux noirs enflammés, ses cheveux longs et filasses en bataille, sa moustache frémissant de haine au-dessus de sa bouche tremblante. Il s’en désolait sincèrement sitôt la crise de fureur passée, mais la peur, telle un poison, était instillée dans les esprits des objets de sa violence.

  Loeiz éprouvait les pires difficultés à reprocher à Ilan ses accès de folie, puisqu’il se savait lui-même, malgré l’impassibilité qui le caractérisait habituellement, soumis à la perte absolue de contrôle.

  On lui avait raconté que dans ces rares folies, il devenait livide, ses joues se creusaient et ses yeux bleus s’enfonçaient dans les orbites jusqu’à devenir noir d’acier. Il serrait les mâchoires jusqu’à lui donner des courbatures aux muscles masticateurs le lendemain, et alors le danger s’avérait bien présent pour celui ou celle qui lui faisait face.

  Une première fois, sa propre mère avait été projetée sur le mur du bout d’un couloir sans toucher le sol suite à une bourrade incontrôlée de Loeiz, pour avoir trop parlé, trop répété en boucle énervée les mêmes mots, les mêmes reproches. Pebrenn, pebrennig lemm he beg evel spilhennig [3]

  Une autre fois, ce fut un homme qui s’effondra assommé, foudroyé par un coup de poing en pleine face pour avoir maintenu sa position envers et contre tout, en s’obstinant et réitérant sans cesse les mêmes paroles sans un instant d’écoute.

  Une troisième fois, ce fut la massive porte de chêne de la demeure familiale que le bras entier de Loeiz traversa pour mettre fin à la grêle de griefs toujours identiques que faisait pleuvoir sur lui sa sœur.

  Une quatrième fois, le coup de poing qui était destiné à la cuisse de son amie du moment fut détourné par l’accoudoir du fauteuil passager de l’auto où ils se trouvaient, après qu’elle aussi n’eut cessé de lui réitérer dans les mêmes termes qu’il conduisait trop vite ; les yeux pâles de terreur et d’incompréhension devant la violence brute.

  Quatre fois en douze ans la folie l’avait saisi. Tous les trois ans la folie le saisit.

 

- Ur c'hae-spern a ya da dri bloaz,

Tri oad-kae, oad ki,

Tri oad ki, oad marc'h,

Tri oad marc'h, oad den,

Tri oad den, oad moualc'h beg melen,

Tri oad an den e chom ar voualc'h er c'hoad,

Nemet er goañv e ve re yen. [4] -



[1] Joseph de Maistre.

[2] Proverbe breton : « Lorc'hig moan, muioc'h a voged eget a dan. »

[3] Pimbêche, bouche affûtée comme une aiguille.

[4] Une haie d'épines fait trois ans, trois âges de haie, un âge de chien, trois âges de chien, un âge de cheval, trois âges de cheval, un âge d'homme, trois âges d'hommes, un âge de merle au bec jaune trois âges d'hommes, le merle reste au bois, à moins qu'en hiver il ne fasse trop froid.

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