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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

vivre... par depit (du 24-6 au 20-9-96)

Homme-poisson

Publié le 23 Septembre 2005 par Luc dans Vivre... par dépit (du 24-6 au 20-9-96)

           Après le périple, le corps lourd et l'oeil brouillé, la station horizontale devait m'apporter le réconfort. Les paupières baissées, j'ai de nouveau senti les accélérations tourbillonnantes de la fatigue. J'ai encore vu les murs s'effondrer comme des châteaux de cartes lents et plaintifs. Ils étaient gris, choyaient sur le sol, s'éparpillaient dans l'air noir et blanc.   

          Je déglutissais, et à chaque fois que la pomme d'Adam touchait la glotte, les yeux se closaient plus encore, pour que l'ombre recouvre les scènes de désolation, à peine devinées pourtant.  

 

          Vaticinant et donc craintif, je continuais à subir les flux et reflux de la poussière et des bruits informes. La claire tangente exprimée par la porte entrouverte se disposait trop loin... l'accélération me plaquait dans l'allongement. Alors je me surpris à espérer le retour du quotidien, dans sa lassitude bienveillante, sa tranquillité annihilante. Aujourd'hui, loin du voyage et de tout, le calme a subi un échec cuisant dans ma reconquête... 

 

          Alors que je me revois encore avançant à la seule force de mes mains le long d'un mur crénelé, surplombant un précipice, je ne songeais qu'aux feux traversant la nuit chaude. A ces rangées de flammes où nous riions, quelque peu anxieux cependant. Les lumières brûlées se reflétaient sur nos visages jeunes et découpaient nos traits de cette manière tellement profonde, comme une lame rend l'honneur. Donc, encore ivre de cette plénitude, mais amer de sa faconde fugace, une bonne nouvelle, qui ne pouvait être que bonne, a attiré mon regard empli de dépit.

          J'ai vu, sur une pancarte recelant de multiples encarts publicitaires, la couverture d'un journal qui me rendit au plaisir. La photographie était vulgaire, par conséquent colorée et souriante... Alexandre Debanne était là, devant moi, bronzé et découvrant un bridge rutilant ; la nacre éreintante de son sourire stupide m'a un moment aveuglé, empêché de comprendre la bonne nouvelle, mais la raison m'a repris dans ses bras froids et osseux, m'a réinculqué la lecture. Alors j'ai lu :  

Alexandre Debanne victime d'un terrible accident de moto sur la RN 7  

           Je ne pus retenir ma joie, et en explosai, comme à mon habitude, en relevant le coin gauche de mes deux lèvres. Continuant ma route désormais joyeuse, ma satisfaction vint à s'assombrir : outre que si l'intempérant était décédé des suites de l'accident, plutôt que paralytique ou comateux (ce qui ne doit guère changer son activité cérébrale antérieure), cela m'eût mieux convenu, je regrettai amèrement qu'il ne transportât point ce soir là, sur la selle de l'engin béni, le sémillant Bernard Montiel.           Celui-ci méritait tout autant la mort, pour son absconsité chronique, sa stupidité et son cabot qu'il ne vaut pas.  

 Le couple terrible est enfin séparé ! Jésus, que ma joie demeure !

         

  Il n'est donc pas une idée qui me retienne fermement de marcher les pieds collés au sol... Les yeux s'ouvrent, souffrant de la sueur qu'ils expulsent, vacillant dans la lumière faiblarde... Ils savent que le rêve s'est amusé la nuit précédente, mais les images qui se jouaient derrière eux ne passent plus devant. Ils demeurent sur l'idée confuse d'une abstraction ; le rêve est peut-être quelqu'un d'intéressant, de fascinant, ou de risible... mais invisible. Les scènes de l'acte s'estompent déjà dans la mémoire quand le rêve n'en a pas laissé filtrer la plus petite parcelle à la conscience et au regard.

 Il s'agit d'une impression effrayante, celle de s'ignorer.  

 

          Je n'aurais pas dû rester aussi longtemps dans l'eau... De retour sur la terre, mes yeux manquent d'irrigation ; mes branchies fonctionnent mal... ce qui donne la sinusite du poisson (!). Mais ce n'est pas tout...  

          Mes deux queues palmées se lovent étrangement pour frapper le sol de manière régulière et me faire mouvoir. Je mue aussi ; mes écailles partent peu à peu, celles du bout de mes nageoires en particulier, qui me servent désormais à me saisir des objets que je ne pouvais auparavant qu'appréhender avec mon bec.   

          Celui-ci, asséché, se mute en autre chose, sanguin, de plus doux et tendre. Constatant la transformation progressive, je me réconforte en pensant que d'ancien bar, j'ai gardé une face de loup

 

          Peut-être la transmorphie n'est-elle pas achevée, mais je ne parviens toujours pas à me reconnaître dans le schéma de Leonardo Da Vinci, de quelque manière que je m'y place.  

 

          Marchant avec bruissement sur mes dernières écailles, et ne démontrant plus que d'un assèchement mêlé de maux d'estomac, je regarde l'avenir, l'air et le tunnel...  

 

          Je fus un poisson vieillard à la croisée des chemins, je ne suis plus qu'homme... dubitatif. 

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