Finalement, j’ai osé… oublier cette damnée culpabilité sur un instant paradoxal de faiblesse devant lequel j’eus
vraiment la sensation de partager quelque chose. Tu sais, cette forme rare de proximité qui atténue la langueur des mois distanciant nos rencontres.
Je n’ignore pas ta situation, aussi ne prendras-tu pas cette lettre pour autre chose que ce qu’elle est sensée être
(cette phrase peut paraître absurde, mais à la comprendre en position « méta », elle s’avère d’une hypocrite clarté…), c’est-à-dire un aveu.
Je voudrais te connaître, consommer tes sourires, pouvoir supporter ce regard qui plonge en moi et me pétrifie, qui me
contraint à l’humilité en me faisant abandonner la lutte, les yeux partout ailleurs que dans les tiens, à la recherche d’une inspiration hypothétique. Alors ma langue s’agite et j’évite la
confrontation directe, ne considérant avoir aucune chance à jouer, aucun espoir en un mot… La manœuvre d’évitement, un simulacre de plus à mon passif…
Il est tout aussi vrai que j’éprouve un sentiment de complète extranéité au positivisme un peu abstrait que tu faisais
tien lors de notre discussion. La fameuse Gestalt, donner une structure signifiante… Si j’ai bien compris ce que tu m’en as dit, la Gestalt propose, plutôt que d'expliquer les origines des difficultés, d'expérimenter des pistes de solution dans la libre construction d'un sens. Je t’avoue que tout cela me paraît
privilégier l’expérimentation systématique au détriment de la conception d’un jugement.
Tu parlais de « contacts » lors de cette thérapie (faute d’autre mot), qui faciliterait le repérage de tes processus de blocage ou d'interruption dans le cycle du contact et dévoilerait tes inhibitions et évitements (tiens, comme c’est bizarre ?! Voici
un mot qui ne m’est pas étranger…).
Pour ma part, malgré une « bulle » assez vaste et compacte (qui va s’amenuisant cependant au fur et à mesure
que les soirées avancent, je le confesse…), la nécessité s’impose d’un système préexistant à son objet d’application : la Gestalt ne me semble pas avoir de fondement autre que pragmatique
(théorie de l’expérimentation), dans la mesure où elle privilégie comme moyen de démonstration le phénomène, la sensation, plutôt que le noumène, et surtout ne procède à aucun moment à une
quelconque tentative de représenter le résultat général de son application sur un autre pan que celui de l’individu isolé. Il s’agit donc d’une notion contingente. La Gestalt ne serait donc pas
un concept et ne saurait fonder in abstracto et a priori un système de pensée.
Cela dit, et nous nous accorderons je pense sur ce point, nous devons pouvoir trouver un moyen de mieux
vivre les émotions et les sensations, mais je ne saurais m’accommoder à titre principal du « sentir comment » de la Gestalt, venant en sus du très évident « savoir
pourquoi », le « quoi » et le « pourquoi », si nous devons utiliser le jargon de la PNL, me paraissant être infiniment plus importants pour fonder
le jugement que le « comment » voire le « pourquoi faire d’autre » auxquels renvoie sans conteste le « savoir comment ».
Que l’objectif soit atteint par la connaissance transcendantale, conforme à la morale nécessaire, de ces sentiments et
émotions est un postulat que j’adopte. Et cette connaissance s'occupera moins des objets que de notre manière de les connaître en tant que ce mode de connaissance doit être possible a
priori. En second lieu, partons de la possibilité, perçue comme une nécessité, de bâtir une métaphysique entièrement a priori, sans aucune référence au champ de l’expérience, sans
recours à des principes empiriques. Enfin, il en va identiquement de la morale nécessaire qui s'exprime par l'impératif catégorique : Tu dois ! (donc tu peux).
Cette démarche n’est et ne saurait qu’être individuelle. A ce titre, l’awareness du praticien de la Gestalt, sa
prise de conscience implicite et immédiate dans le champ du ressenti émotionnel et corporel, me dérange véritablement car il interfère gravement dans les modalités de prise de connaissance
transcendantale de son propre être (les rapports ici avec le concept d’entéléchie sont évidents). Dans ce contexte, l’attention du praticien au processus développé dans le contact physique,
prétendument destiné à favoriser l’émergence d’une figure qui donnerait du sens à l’expérience vécue, n’est pas représentée a priori et in abstracto, et la conséquence de l’acte perpétré
en application de la pseudo-théorie Gestalt ne saurait dès lors relever que du hasard (donc du phénomène) et non d’un système de pensée. Or ce qui ne relève pas d’un système de pensée n’est pas
une théorie.
De la même manière, le concept usité par la Gestalt de « responsabilité » est vide de sens : le
thérapeute est sensé accompagner le sujet vers la prise de conscience de ce qui lui arrive, c’est à dire vers la responsabilité de ce qu’il éprouve hic et nunc, et dans toutes ses
composantes (affect, émotions, sentiments…), ce qui lui permettrait via l’awareness d’identifier ses besoins et désirs, « d’entrer en contact avec l’énergie
immobilisée » (!), le tout noué avec le ruban de la tarte à la crème que sont la créativité, la théorie du champ (le fameux bruissement d’aile d’un papillon peut changer la face du
monde…), le processus du self (qui serait, j’en ris encore, « une manière d'être au monde à la frontière contact organisme-environnement dans le champ
complexe ici présent » et « un ajustement créateur dans un champ organisme-environnement »). Au-delà de l’alambic torturé que
constituent ces syntagmes Canada-Dry car asémantiques, ne relève-t-il pas de l’évidence que la responsabilité est acquise dès lors que l’on s’est représenté ce qu’on éprouve et non lors de cette
sensation elle-même ? L’ici et maintenant n’a à ma connaissance (transcendantale bien sûr…) jamais fondé aucune théorie philosophique…
De cet amas verbeux, que retenir ? Une psychothérapie à base de massages plus ou moins
sensuels ? Mais enfin ma bonne dame, il y a des maisons pour cela ! Une suite au débit accéléré de lieux communs sans nom jouant sur la naïveté et l’attirance pour l’Orient ou toute
autre forme de pensée s’essayant au mieux-être (voir les cache-misère que sont pêle-mêle les associations caritatives, les religions, les sectes telles que la Gestalt ou certains organismes de
formation professionnelle),qu’éprouvent en général tous les occidentaux ne sachant pas ou plus s’orienter dans la pensée ? Il y a de cela avec certitude.
Douter de la force de l’intuition pure au profit d’un babil moderniste et kinesthésique est définitivement
indigne… Vae victis.