Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

R41 Legio, familia nostra et... rugby

Publié le 20 Juin 2012 par Luc in Colère (du 8-1 au 29-5-07)

Il s’agit sûrement d’une grande réunion de famille, organisée dans un imposant mas méridional. La façade de calcaire aux tons sablonneux s’ombrait agréablement par les frondaisons de vieux et majestueux platanes. Mon regard descendant vers la terrasse, je constatai la présence de mes deux grands-pères, morts respectivement depuis vingt-deux et vingt-six ans.

 

Je ne m’arrête pas à ce détail, mais plutôt à un autre : Gustave porte un béret bleu de la FORPRONU et Maurice un béret vert de la légion, tous deux d’une taille disproportionnée, à la manière d’une crêpe de chasseur alpin passée à l’amidon. Je note également que Maurice a bien grandi depuis sa mort, puisqu’il domine désormais Gustave d’une bonne tête lorsqu’ils s’avéraient de hauteur semblable de leur vivant.

 

Gustave, tiens ! Il parle haut, invite à la fête, harangue, hurle presque, dévoilant son beau sourire trop régulier pour être réel. Il est comme fou, tel que je ne le vis jamais. Maurice perd quant à lui ses yeux bleus délavés dans le ciel de Provence, impavide.

 

Le verbe altier de Gustave vient attirer l’attention des occupants du second étage du mas, qui se pressent à la large fenêtre. Leszek, Zbiszek et Maczek constatant la présence d’un béret vert se réjouissent des amitiés légionnaires. La scène de fraternité qui s’ensuit ne me fait pas oublier le bruit que je réprouve, un peu comme Maurice, demeurant impassible face à l’hommage, l’œil glacial.

 

Nous passons à table. Celle-ci, lourde et immense, est richement garnie, à un point tel qu’on ne pourrait même plus y déposer un paquet de cigarettes. Mes deux grands-pères s’assoient dans le silence cette fois. Mon regard se porte à l’autre bout de la table, où préside Jean-Pierre Coffe. Afin de complaire à l’assistance, je m’engage dans une brève imitation de la célébrité :

 

- « Non mais alors bon sang de bonsoir j’espère qu’on ne va pas manger de la merde ! » -

 

… à l’hilarité générale, qui me rassure.

 

On m’invite alors à déguster une moule géante, trente bons centimètres de longueur, à la coquille déjà ouverte qui me permet de voir l’animal ocre. J’ai toujours détesté les fruits de mer, mais m’exécute quand même. Je ne ressens pas le dégoût prévu, mais n’en éprouve cependant aucun plaisir. Toujours à mon souci de comique, je me lève prestement de table et porte la main à la bouche, singeant le haut le cœur.

Cette seconde imitation était peut-être un sophisme trop parfait, puisque la nausée me prend réellement lorsque le contact caoutchouteux de la chair du bivalve vient amuser ma luette. Je penche mon visage vers un grand verre et commence à vomir.

 

J’ai les yeux clos lorsque je perçois le son du vomissement dans le verre. Des tintements secs et sans écho ni lueur cristalline, très inhabituels s’agissant en principe d’un magma peu ou prou liquide, me font rouvrir des yeux lourds. Ce qui s’écoule de ma bouche se constitue de graviers et de goudron, ou de bile noire, et non mes dents et du sang comme j’avais pu le présupposer. Après un dernier hoquet, je lève le verre en pleine lumière. Rien ne me permet alors de modifier mon appréciation sur la composition de son contenu. Je me saisis d’un caillou, le rapproche de mes yeux : il s’agit bel et bien d’un gravier, sombre aux reflets légèrement mordorés, sans aucune particularité notable.

 

Dépité, je le replace dans le verre et rentre à l’intérieur du mas.

 

Il fait plus frais, dans ce vaste salon tout de bois meublé. Une table vide, des bancs, puis à droite un salon de cuir grossier, une bibliothèque peut-être, et puis… Valérie, qui passe là, se dirigeant de sa chambre vers l’extérieur, murmurant deux mots gentils à mon égard avant de s’éclipser sans plus d’explications sur sa présence dans un contexte présumé familial.

 

Je me dirige alors vers le canapé qu’occupe Anne, m’y affale à son côté, et la chaleur devient douce. Elle m’avertit qu’elle ne va pas tarder à aller bosser. Je déplore mais me résigne. Au bout de quelques minutes, elle accomplit son devoir et s’éloigne à son tour.

 

Je me retrouve seul sur le canapé devant la télévision, que j’allume, tombant sur une émission sportive. Le thème présentement abordé est la seconde défaite de l’équipe de France de rugby lors de ce tournoi des Cinq Nations, contre une surprenante Ecosse cette fois (après avoir été défaits par l’Irlande deux semaines auparavant). Pourtant la France a marqué un essai durant ce match, qu’un commentateur sans visage nous propose de revoir.

 

Mêlée écossaise en bord de touche dans les vingt-deux mètres tricolores. La poussée de notre pack est désordonnée mais puissante ; la mêlée perd de sa cohésion et s’ouvre, le ballon en est expulsé vers la ligne de touche. Alors surgit du côté bleu, il n’est pas hors-jeu, un petit troisième ligne aile qui réussit, dans un geste ressemblant à celui d’un ailier de football qui viendrait à centrer du poteau de corner, à botter le ballon très loin dans la diagonale opposée.

 

Ce troisième ligne aile n’est autre que moi.

 

La contre-attaque commence : le demi de mêlée bleu, un malgache, court et rattrape habilement le ballon sauteur. Je cours après lui afin de l’assister et le protéger jusqu’à ce que le ballon soit déposé dans l’embut adverse. Très fair-play, reconnaissant le caractère crucial de mon action lors de la mêlée, il m’adresse une bonne passe afin que je marque l’essai.

 

Je m’y emploie résolument : je prends les escaliers mécaniques situés à ma gauche, sur deux niveaux, et tournant à gauche encore, j’aboutis à la chambre du malgache, très vaste, à dominante beige clair, dotée d’un lit immense et désert. J’ouvre la baie vitrée située à gauche en entrant et arrive directement dans l’embut d’un terrain de rugby en stabilisé. J’aplatis l’essai du bout des doigts et reviens calmement par les escalators.

 

Des escalators noirs de suie qui grincent comme des graviers de bile noire chutant au fond d’un verre.

Commenter cet article