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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

R117 Tornade sur la falaise de l'île d'Arz

Publié le 18 Janvier 2013 par Luc in Année de fuite (du 18-5 au 31-12-12)

La nuit est claire en ce mois d’août à l’île d’Arz, et le vent qui rafraîchit l’atmosphère vient lui-même à fraîchir sensiblement, force quatre ou cinq peut-être. Sur la plage de la Falaise, la mer forcit à son tour et de petits rouleaux se forment peu à peu, attirant une nuée de jeunes gens sortis pour l’occasion de leurs tentes et caravanes. Ils bondissent par-dessus le muret de granit, haut d’une cinquantaine de centimètres côté chemin surélevé et de deux mètres côté plage. Ils atterrissent souplement sur le sable jaune et s’assoient en devisant pour regarder les vagues.

 

Celles-ci, au fur et à mesure des minutes, deviennent de plus en plus grosses, puis impressionnantes. Les jeunes gens se lèvent et se dirigent vers la mer bruyante, semblent se laisser un instant rattraper par les rouleaux avant de fuir vivement en riant. Le jeu continue durant quelques vagues, alors que le vent se met à souffler de plus en plus fort. Une vague franchit toute la plage et vient s’écraser contre le muret de granit. Même quelque peu à bout de souffle en arrivant sur la pierre, le phénomène est rarissime, car je connais bien le coin depuis une quarantaine d’années. Je m’alarme tout en me rapprochant du muret, dans les rires de moins en moins nombreux des jeunes gens.

 

Je ne fais plus qu’entendre la mer ; je la vois maintenant, éclairée par la lune vivante et piquée des rais d’étoiles infiniment nombreuses, l’écume bouillonnante prenant le relais de la noire et calme étendue. Puis au loin, derrière Drennec Vras, la vague. Elle traverse la baie de la Falaise, engloutit la plage dans son ensemble et passe deux ou trois mètres au dessus du muret protecteur, qui s’il réussit à casser la base de la vague, ne parvient pas à contenir sa chute furieuse sur le chemin goudronné, dans un fracas de cymbales et de timbales. Les rires ont tout à fait cessé.

 

La vague abattue, je suis demeure étrangement sec, m’étant reculé derrière une haie compacte de tamaris fous. Je marche d’un pas alerte vers l’entrée dévastée du camping, et sortant de mon abri boisé, je réalise la puissance du vent fantasque s’étant engouffré dans le Golfe à la suite de la vague majeure. Me dirigeant vers l’intérieur de l’enceinte de vacances afin de constater les dégâts occasionnés par les eaux, mes pieds quittent un peu plus le sol à chaque pas. En arrivant à proximité du grand platane, parfaitement incongru ici, situé derrière le portail d’entrée éventré, je suis déjà à un mètre au dessus du sol, sur un coussin d’air. Ma propulsion verticale s’accélère sans violence, je n’ai pas spécialement peur mais l’altitude devient abstruse dans un silence inquiétant.

 

Je suis sourd dans la queue de la tornade. Je ne le comprends que maintenant. Je dois me sortir de là. Je rate deux ou trois branches du platane mais réussis finalement à accrocher de la main gauche le plus haut de ses rameaux, juste avant ma disparition définitive dans le souffle de la nuit claire et étoilée. Je tire de toutes mes forces en craignant à chaque instant la rupture de ce précaire tuteur… qui ne cède pas. M’extirpant du sillage réacteur, je tourne autour du rameau dénudé, glisse tête la première sur une longue branche, puis exécute un rétablissement en demi-tour sur l’avant-bras placé en poulie autour d’une grosse et basse branche coupée, avant que d’atterrir les genoux fléchis dans l’herbe humide et grasse.

 

La terre meuble me rappelle agréablement à la gravité. Je me dirige vers un groupe de vacanciers à qui je veux narrer mon conte, extraordinaire sans qu’il soit besoin de l’enjoliver.

 

- Chilaouet holl’ta chilaouet eur bamad zo neve bevet ! -

 

Ils paraissent n’en avoir cure, concentrés qu’ils sont sur leur objectif unique : évacuer le camp dans la peur tandis que l’eau monte insensiblement sous nos pieds. Je suis un petit groupe sur le chemin goudronné, la D206, l’avenue Charles de Gaulle, et en arrivant au bourg, nous avons de l’eau à la taille. Les lumières orangées se reflètent sur la surface moirée. Je suis contraint de passer de balcon en balcon, de ces villas tellement plus resserrées que dans mes souvenirs. Les dernières encablures de l’avenue, fortement pentues, me permettent enfin de marcher à pied sec. La place entre Revirio et la Grande Rue comporte désormais un rond-point doté d’une grande fontaine lumineuse trouant la nuit sur le macadam luisant.

 

- Deomp de'i ! Da Bariz… -

 

Je vois Erwann traverser seul en sautant d’un pied sur l’autre, au-dessus d’un passage piéton jaune, une rue à la largeur invraisemblable en ce lieu. Je me mets en colère du fait qu’on a laissé un enfant traverser seul la route, en l’absence complète de voitures, en pleine nuit claire et étoilée, dans la lumière orange des réverbères, sur le monticule rocheux qui reste de l’île d’Arz.

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G
<br /> cette ile laisse des traces de bonheur .. quoi de plus normal pour un site exceptionnel narré par un écrivain pour le moins imaginatif et super doué !<br /> <br /> <br /> bises<br />
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L
<br /> <br /> Le compliment me fait rosir ! Merci de ta fidélité !<br /> <br /> <br /> <br />