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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

La faiblesse de la puissance

Publié le 17 Mai 2013 par Luc in Ecrivain raté (du 4-1 au 27-8-13)

Un océan montagneux de glace m’entourait. La placidité habituelle de ce type de paysage n’était pas de rigueur ce jour-là : il s’agissait d’une mer en mouvement, sauvage, qui craquait de tous côtés. Mon appareil volant noir, ressemblant à un ULM muni de deux longs patins, parfaitement adapté à la neige, remontait doucement une côte glacée quand un tremblement de mer blanche bouleversa complètement l’environnement, des creux et des vagues rugissantes à l’écume neigeuse me circonscrivirent, formant un anneau profond et véhément autour de moi. Ma machine n’était pas assez puissante pour remonter la pente désormais à plus de quarante degrés. Sur le rebord de ce que j’étais bien contraint d’appeler un cratère, un Yéti aussi blanc qu’inquiet tentait de m’indiquer comment m’en sortir, en mimant des génuflexions de droite et de gauche, de ridicules petits patins jaunes sous ses grands pieds joints. Tirer des bords pour remonter ? Moi je voulais bien mais le faible moteur de mon véhicule ne l’entendait as de cette oreille, ni d’ailleurs n’entendait plus rien du tout et renonçait à l’ascension, résigné et las dans une descente inexorable. Je mis pied à glace et ma machine, libérée de mon poids, s’envola sans difficulté vers le Yéti incrédule.

 

J’allais donc me noyer dans cet enfer neigeux, car au fond du cratère, c’était bien de l’eau que je voyais, d’un bleu vert profond ne m’inspirant aucune confiance. Au moment même où mes pieds allaient s’enfoncer dans l’onde, passa au-dessus de ma tête dans un sifflement un objet ressemblant fort à une lance, mais qui à son premier contact avec l’eau se développa instantanément en une corolle d’au moins cent mètres carrés, d’une couleur sensiblement similaire à celle de la mer. Je me jetai à son bord sans réfléchir plus avant, comme un naufragé tombant sur une magnifique pièce de bois flottant au gré des courants. La corolle s’avéra assez spongieuse d’aspect, ainsi que l’indiquaient les traces profondes de mes pas sur sa surface, mais parfaitement étanche.

 

Au sec sur son sol mouvant, je repensai à la veille au soir, lorsque je m’étais garé non loin de la paroisse Saint Potin, à Lyon dans le 6ème et que des amis asiatiques m’avaient emmené dans le nouvel et immense centre commercial de douze étages construit sur la place Edgar Quinet, et que l’un d’eux me commentait dans un langage incompréhensible, avec forces gestes d’enthousiasme, alors que nous nous tenions au centre du rez-de-chaussée, l’aménagement de tous les étages, ce qui avait provoqué mon vertige instantané. J’avais conduit comme un fou pendant un temps indéterminé tout autour du parc de la Tête d’Or et je m’étais retrouvé au petit matin dans la déserte étendue arctique, de manière irreprésentable.

 

Je marchais sans but et toujours en rond sur la corolle de sauvetage, m’approchai parfois du bord tandis que les hurlements du Yéti là-haut, toujours en vue bien qu’éloigné, me signifiaient un danger immédiat. Une ombre passa sous la corolle : un monstre marin, c’était évident, et il avait faim. Je le vis grignoter le bord de mon support, et je fus très étonné de sa taille, une quarantaine de centimètres au maximum, une face de corlazo et une couleur de gobie. Sa puissance était néanmoins évidente : happant un rebord de la corolle, il réussissait à en emmener une partie en profondeur, et elle se repliait sous la pression comme un parapluie. Je n’évitais le pépin qu’en me réfugiant loin du lieu de traction. Le poisson finissait toujours par lâcher prise avant que je ne tombasse à la baille.

 

Fatigué de ce jeu et toujours dérivant, je dus me résoudre à combattre. Prestement, je suivis l’ombre sous-marine jusqu’à ce que l’ennemi émergeât pour engager un nouvel assaut contre ma spongieuse nef. Je le chopai par le colbaque dans la ferme intention de lui faire un sort à ma manière. Son contact était gelé, sa peau sombre sans écailles semblait de pierre et il pesait tout autant. Me fussé-je coltiné à une enclume que je n’eusse rien ressenti d’autre, mais je le secouais comme un prunier tandis qu’à l’aide de sa puissante musculature il tentait de m’emmener par le fond. A chaque instant j’avais peur de me couper les mains sur des nageoires que je devinais tranchantes et empoisonnées. Ce ne fut pas le cas. Nous recommençâmes plusieurs fois nos luttes vaines. J’étais atterré par la stupidité du poisson, qui renouvelait ses attaques déjà échouées à de nombreuses reprises (suçotements des bords de la corolle, coups de tête sous sa surface…). J’étais tout autant effondré de sa puissance invincible.

 

J’ai toujours été atterré, que ce fût en mer, dans un temps de la consommation ou n’importe ou ailleurs et dans n’importe quel temps, par la stupidité de la puissance.

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