Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise (1.81)

Publié le 16 Juillet 2009 par Luc in L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise

8

 

Transition personnelle

 

  Quelle énormité ! Avoir passé l’hiver dans des efforts insensés pour se retrouver sous le soleil dans une agonie pitoyable, à un article subalterne de la mort. Comme habituellement, je suis sans rage mais faible de nerfs. Mon inertie m’agace plus encore ; je me condamne à tout perdre en n’agissant pas : amis, conquêtes et argent. Putain d’argent, que je déteste tant, mais que je couve tendrement sous mon aile délicate de cygne débile. Je ne peux même pas pousser aujourd’hui ce long cri plaintif qui fit la gloire du volatile… En ferais-je autant, la voix éraillée et nasillarde, le crâne déplumé et blanc à l’instar de la bête congénère, que je parviendrais tout juste à faire rire quelques passants, ou à me prendre des volées de plombs par des chasseurs arrivés bien mal à propos, me prenant pour un colvert quand je ne suis qu’un col blanc.

  Je sais pertinemment que Nijinski ou Noureïev n’iront pas danser ma mort devant un parterre de robes, de fleurs et de mauvais parfums… Bah ! Il me reste Baryschnikov !

  Mais surtout pas Angelin Prejlocaj, lorsqu’il parla… lui que j’aimais pour ses origines yougoslaves, kosovares ou albanaises, qu’en sais-je et qu’importe, et s’est mis à déblatérer son orientalisme bêlant ; la tragédie de ses stupides NLE (near life experiments lorsque je ne connaissais pour ma part que les NDE, death instead of life), le dégagement de soi, en corps et esprit. Il a gravi le Kilimandjaro… Au mauvais goût consommé du pseudo-boudhisme lâche et renonciateur, il ajoute un faux retour à la nature, l’Afrique, dans sa sauvagerie primaire et ignorante, sa crasse inculte, sa démence irraisonnée et repoussante. Tentant d’habiller sa faiblesse en force détachée et sa perte en victoire, il jouait de sa voix douce sur le tremolo de l’émotion facile pour les esprits simples. Rien n’y a fait : la seule lévitation qu’il ait réussie fut celle de ma haine. Tu ne seras jamais Nijinski. Tu ne seras jamais Noureïev… Peut-être à peine Patrick Dupont.

  … Et avec tout ça, plus de fric que je ne saurais en jamais avoir sous mon aile. Quoiqu’il en soit, je n’aspire pas aux feux de la rampe… Il me faudrait me vaincre, et j’ai trop de dépit pour me lancer dans un labeur aussi acharné.

  J’en viens parfois à me dire que seul l’argent fait l’heur, soit-il bon ou mal, et que la décision ou l’effet de quiconque escompterait imprimer aux événements, est inconséquent. Seul l’argent modifie le cours des choses et donne pouvoir à la décision. Seul l’argent influence la vie.

 

Nous vivons une époque moderne…

Nullum res sine aura.

 

  Je pourrais multiplier à loisir les expressions, mais la vérité ne doit pas se situer bien loin de ce constat. Pour autant, cela ne résout pas la question de la gentillesse de cette secrétaire, seule irrésolution dans cette entreprise. Je me souviens maintenant. Soudain, quelques mots prononcés difficilement mirent à mal les maigres fondations de ma tentative de reconstruction. Je ne saurai exprimer les sentiments contradictoires qui provoquèrent le remous, en se nouant les uns aux autres, serrés à l’extrême autour du fuseau de ma conscience.

  Cela ressenti, plus que filer, je me défilai. Bien des images se présentèrent à nouveau devant mes yeux tandis que nos atermoiements assourdissaient la conversation de silence. Je me vis courir, luttant contre le chronomètre comme pour sauver ma peau. Je me rappelai avant mon séminaire, amoureux et trompé (une époque étrange pendant laquelle je jouissais d’une certaine popularité…).

  Puis le besoin de fortification, fondement unique de ces sept dernières années (encore un chiffre biblique que je voulais récuser pour elle), se ressentit plus lourdement. Ma voix se vrilla de résonances froides et métalliques, lorsque l’eau et l’huile bouillantes, la chaux vive, se déversaient longuement à l’intérieur de mon corps, par les mâchicoulis du téléphone haï. Je refusai le feu. La douleur n’est qu’une illusion. Comment réfuter désormais la théorie toute panglossienne de l’enchaînement de cause à effet ? Les événements de cette semaine abondent en son sens, même si fonder une théorie sur l’observation des phénomènes ou l’expérimentation peut sembler aléatoire.

  J’étais parti (500 environ) ce lundi, plein d’espoir, pour me retrouver (10.000 au moins) mardi, de manière hallucinante et inquiétante, enferré dans une gentillesse inféconde. L’angoisse gagnait.

  Le mercredi, je me rappelai ces dures phrases de la veille au soir, menaçant mon édifice. L’angoisse devenait raisonnablement envisagée.

  Le jeudi, je crachai sur les concessions à faire à la bienséance de la vie en société. L’angoisse était acquise et commençait de produire effet. Ce même jeudi au soir, le gaz était coupé, me contraignant à la douche glacée. L’angoisse organisait le faîte de son règne apologétique.

  Parvenu seul au vendredi matin, je m’interroge sur ce qui adviendra tout à l’heure. La jolie secrétaire au fessier accueillant m’a proposé de faire ma lessive, étant également en panne de lave-linge. J’en ai été surpris. Tout ceci est tellement inattendu dans ce milieu…

  J’ai été confronté à la gentillesse, sans y être préparé, sans être capable, contrairement à l’accoutumée, d’y déceler une arrière-pensée. Cela me gêne atrocement puisque n’entrant dans aucun schéma existant de mon système de pensée. Ce sourire qu’on m’a opposé me laisse donc dans l’effroi de l’ignorance, de l’inconnu.

  J’aspire la fumée de ma cigarette à m’en brûler les lèvres, pour tenter de ne pas chercher à comprendre le pourquoi, ou le comment du désintéressement, de l’engagement dans une cause, de la charité… de la gentillesse.

  Non, il faut demeurer conscient que seul l’argent préside aux destinées de Mlle P.M.E., et non la gentillesse ni la philanthropie. Dès lors, comment se cacher de cette image vénéneuse d’une grande mort puant le pognon ?

  Je me vois, là, accroupi au fond d’une pièce sobrement mais dispendieusement décorée, entouré de filles nues magnifiques, ou de représentations sur papier glacé de filles nues magnifiques. Mais je n’ai pas l’esprit à la galéjade. Je tiens une arme entre mes mains de dégoût. Cette arme fut mon sexe, c’est maintenant un assemblage de pièces métalliques.

  Je me demande où apposer le canon, l’œil noir incident. Dans la bouche, comme Kirilov, pour imaginer une fraction de seconde durant, lorsque l’obscurité sera obtenue, les éclairs de feu fusant hors de mes yeux, nez et oreilles ? Sous la mâchoire, tendue et fièrement lancée vers l’avenir, pour envoyer un dernier coup de tête mussolinien à mon pitoyable entourage ? Entre les deux yeux, fasciné que j’ai toujours été par l’Inde autant que par les scènes de cinéma où un simple cercle non auréolé de brûlures noircies de poudre fait figure de fin romantique sur le front, sans sang, sans crâne éclaté ? Ou encore sur la tempe, une petite roulette russe, à l’ancienne ?

  Pourquoi pas sur le cœur, qui demeure l’endroit le pus romantique après le sexe de Jeanne Moreau dans « Les valseuses », qui reste le point du « Feu follet » de Drieu la Rochelle, Maurice Ronet et Louis Malle… Tiens, je viens de remarquer que tous ces gens sont morts… Peut-être pas Jeanne Moreau, mais à la voir, cela revient au même, tout comme Depardieu d’ailleurs. Tant de passé, Dewaere, Nino Ferrer et les autres, c’est normal… je n’arrive plus à me décider… Alors, alors médiocre et sans passion, je remets indifférent à plus tard ma fin grandiose entourée de filles nues magnifiques, d’argent, de gloire, ou de représentations sur papier glacé de filles nues magnifiques, d’argent et de gloire…

  L’agacement croît et l’impatience me tenaille les entrailles. Je l’ai vu cet homme, quelque part cause de tout à son sens et de rien selon le mien, à l’exception, justement, de ce malaise. Lors de la réception de départ d’une des sœurs bibliothécaires, le Père supérieur est arrivé au milieu des rires et d’un début de détente. Alors le temps et les plaisanteries se sont arrêtés. J’avais rarement remarqué une telle capacité à refroidir les ardeurs, à jeter une chape de plomb glaciale sur une assemblée, par l’unique fait de son entrée dans la pièce commune. Un lourd silence y a succédé, puis il a parlé, se croyant le centre de toutes les attentions (ce qu’il était de fait, en raison de son anachronisme total dans la situation) admiratives (abasourdies devant l’étrange serait plus juste, en vérité) des personnes présentes.

  Il a lancé le sujet sur les fonctionnaires à noyer, poétisant sur leurs cadavres descendant mollement au fil du Rhône, regrettant le temps des rois ( !), et souhaitant un gigantesque incendie purificateur ou une crue dévastatrice pour débarrasser le monde de cette engeance.

  Ahuri devant tant de bêtise, je n’ai pourtant pas osé articuler la moindre protestation, non plus que hasarder la moquerie qui eût été de mise (Cache ta joie, bonhomme !). J’ai préféré partir… loin de ça…

  Je souris… C’est la panne sèche… de bile, que je n’arrive plus à répandre alentours. Je dégorgeais bien pourtant, ces derniers jours, mais il faut bien se dire que tout a une fin. La torpeur a bloqué mes traits quand je marchais d’un pas flou ce matin. Je sentais que la douleur pouvait me prendre à la foulée suivante ; il n’en fut rien, mais la seule possibilité de sa survenance m’y rendait attentif. L’hésitation demeurait le maître-mot, et le sol lui-même semblait se dérober sous mes pieds. Alors, cancanant et claudiquant, j’avançais en me brisant les poumons de cristal sur la fraîcheur excessive de l’endroit, à peine réchauffés par l’inspiration de fumées… incolores et de diverses origines. Je deviens malléable, corvéable à merci, peut-être à outrance… Qui sait ? Il n’est pas interdit de rêver.

  Il va encore falloir être bel et bon, ressortir de l’aseptisé, afficher peau nette, œil vif et voix virile assurée, entrecoupée de ces rires de complaisance… Mais je suis encombré, glauque et craintif…

Commenter cet article