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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

Une première fois

Publié le 9 Octobre 2015 par Luc dans Nerveux vieillard

Nous étions conviés à une conférence, et j’avais été désigné pour représenter l’entreprise à cette occasion. Encore à l’extérieur de la grande salle, alors que j’attendais assis dans un large hall à une petite table ronde munie de deux tabourets circulaires, je constatai la présence de S. Sans un geste de ma part, elle vint s’asseoir en face de moi, le visage long et triste, les yeux vibrants, la bouche ourlée et magnifique. Je moquai gentiment son humeur maussade, espérant ainsi la dérider alors que nous nous levions. Elle me saisit alors au col de sa main droite, fermement mais sans serrer cependant, dans une fausse strangulation dont j‘aurais pu me dégager sans difficulté. Etrangement, je n’agis pas de cette sorte, et de la même manière qu’elle feignait de me prendre par le colbaque, je faisais semblant de me débattre en apposant ma main gauche sur son avant-bras pour le caresser plutôt que le meurtrir, puis ma main droite dans son dos, traçant un vertige renonçant au tambourin.

L’ambiance de séduction singeant la violence d’une altercation était devenue torride dans le silence. Je m’apprêtai à faire plier son bras tendu sans tension pour l’embrasser à pleine bouche lorsque je retins mon geste. Il m’avait semblé percevoir dans la lumière de son regard une étincelle renonciatrice, un vice du consentement. Nous nous défîmes l’un de l’autre et nous dirigeâmes sans un mot vers la salle conférence.

 

Il n’y avait pas encore grand monde dans les rangs très serrés de bancs en bois avec pupitres, ce qui facilita notre progression, S. une rangée au-dessus de moi. A peine avais-je pris place que S. reprit le sac et l’imperméable sombre qu’elle venait de poser et sortit en trombe par une porte latérale. Son visage respirait à nouveau une infinie tristesse, une grande contrition. Inquiet, je me jetai à sa poursuite et la retrouvai sitôt la porte franchie, dans un coin du grand hall sans tables et plus sombre que celui où nous nous étions assis peu auparavant. Elle était en proie à un malaise immense. Ses lèvres pâles, à peine teintées de rose désormais, tremblaient dans le même mouvement que son regard enfiévré. Je m’approchai et sans un mot lui fis comprendre mon inquiétude. Elle détourna son visage en fermant les yeux, dans un hochement capital de dénégation. Durant ce quart de rotation, nos mains se touchèrent par maladresse et émotion, et l’équilibre de la compassion, de la tristesse paralysante fut rompu.

 

Nos lèvres étaient déjà unies lorsque nous tombâmes à la renverse sur la pile de tapis de gymnastique en mousse de polyéthylène houssés. Notre étreinte était magnifique, intense dans les larmes et le bonheur d’enfin connaître ce moment que nous tentions à toute force d’éviter, que nous refusions, pour lequel nous patientions depuis six ans. Nous allions, cela était lumineux, au devant de notre plus grande joie et de notre plus grande peur, celle de balayer nos constructions respectives par notre fureur amoureuse.

 

Cette éternité aussi brûlante que chaste bien qu’au paroxysme de l’excitation des sens, prit bientôt fin. Je soulevai la jeune femme, un bras sous les épaules, un autre sous les genoux repliés. En me penchant au-dessus d’elle dans un souvenir irrésistible d’« Autant en emporte le vent », tandis que son dos se courbait un peu plus vers le sol, ma main située sous ses cuisses alla caresser par petits à-coups ses fesses à travers ses étroits pantalons de fin tissu satiné. Sans la quitter des yeux et avec une infinie tendresse, je flattai son sexe, ses lèvres avec mon pouce au travers de la fine étoffe. Elle ferma encore les yeux et tourna la tête, partageant à l’évidence ma folie de désir et ma peur absolue.

 

 

En deux mots, nous convînmes de nous rendre chez elle. Une fois arrivés, après nous être déchaussés, je lui fis part de mon besoin de soulager un besoin naturel, et elle m’indiqua la direction de la salle de bains d’un geste gracile de sa main fine et osseuse. Je vaquais à mon occupation, vêtu d’un jean sombre et d’un tee-shirt kaki lorsqu’une désagréable sensation olfactive m’interrogea sur mon odeur corporelle du moment. Je craignais que mon tee-shirt puât la sueur, du fait de la longue journée, de l’étreinte, de la peur… Cela m’importait peu, mais il aurait fallu que je prisse une douche. J’en étais à ces considérations pragmatiques tant qu’angoissées quand le doute vint à me tenailler de plus belle quant à ce que j’étais en train de faire. J’achevai rapidement ma vidange dans le soulagement inquiet et tirai la chasse d’eau quand soudain, derrière moi, s’ouvrit la porte de la salle de bains.

 

C’était la première fois que je la voyais ainsi. S. venait d’entrer nue dans la pièce sans frapper. Elle était plus pâle de peau que je ne l’aurais soupçonné ; sa main gauche cachait son pubis, entre les doigts un peu écartés de laquelle je pus voir quelques rares traces de repousse. Elle alla directement à la baignoire et tira lestement un rideau de douche légèrement translucide. Je m’approchai de la porte pour sortir de la salle de bains mais m’arrêtai en face de la baignoire. Je ne pouvais plus bouger en voyant sa silhouette à la taille fine et aux hanches peu marquées se découper dans la lumière de la fenêtre située derrière elle. Un courant d’air venant de la porte me permit de regarder au premier rang les épousailles de ses formes avec le rideau de douche venu se coller à elle par un miracle de la physique. Elle réprima un frisson mais ses tétons aux corolles brunies saillaient du PVC, ses seins, son ventre et ses cuisses venaient d’être sculptés dans la matière. Elle se dégagea de l’étreinte glacée mais le rideau revint aussitôt à la charge, évidemment mécontent d’être ainsi éconduit. Je décidai d’intervenir et l’écartai en le faisant coulisser sur ses anneaux jusqu’à ce qu’il se collât sur les carreaux de la cloison.

 

S. ne fut qu’à demi-surprise de mon acte, mais afin de protéger sa pudeur presque dénuée de toute pilosité, elle pivota et offrit à mon regard rougi son profil savonneux. Tête baissée, ses lèvres pourpres désormais arboraient cette moue boudeuse qui me faisait fondre. Je voyais ses deux petits seins, un peu tombants semblait-il dans la clarté qui aurait pu lui être cruelle si elle n’avait si belle, et qui surplombaient un ventre gonflé par une respiration saccadée, le stress d’une situation incontrôlable. Je descendis encore ma main qui n’avait guère tardé à se confondre avec mon regard. La fesse était bien dessinée, malgré une partie inférieure un peu molle, tandis que le pubis mousseux échappait à mes yeux explosés. Je me contentais de le frôler avec grâce, enlevant un peu de savon avant de suivre le galbe fuselé de cuisses musclées.

 

Je la tirai alors stupidement vers moi, de nouveau travaillé par le désir fou et succombant à la concupiscence. Je voulais de nouveau la soulever à la Red Butler et l’emmener ainsi vers une chambre à coucher dont j’ignorais où elle se trouvait, ou prendre une douche avec elle, ce que je n’avais pas osé lui demander de vive voix, ou encore la déposer, là, à même le tapis de sol de la salle de bains, afin qu’enfin nous fissions l’amour, consommassions notre péché d’adultère refoulé depuis si longtemps que nous ne pouvions même plus nous l’avouer distinctement… Je la tirai stupidement vers moi, d’un geste brusque ressemblant plus à une tentative, et je chutai moi-même en arrière.

 

Le temps s’arrêta à cet instant. Je n’entendis plus l’eau goutter sur la céramique. Je voyais encore S. nue et magnifique, un bras en bandeau sur ses seins et une main sur son pubis. Elle n’avait pas bougé de son auréole de lumière et présentait dès lors un air éploré. Je n’avais pas mal. J’avais dû tomber le crâne sur quelque chose. J’avais mal à la tête finalement. Un liquide semblait se répandre de moi mais pas précisément de l’endroit que j’imaginais quelques secondes auparavant. Je n’avais pas fauté. Je mourais ou quoi ?! J’étais resté fidèle. Je mourais en regardant l’objet à jamais inassouvi de mon désir qui resterait un fantasme, comme la beauté du monde.

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Retrouvailles

Publié le 8 Octobre 2015 par Luc dans Nerveux vieillard

Je pénétrai le hall où devait se dérouler l’assemblée. La lumière était faible dans l’atmosphère troglodyte ; elle éclairait les murs et colonnes de rugueuse pierre de Rognes en faisant s’allonger les ombres de manière démesurée. Au détour d’un pan de mur, je me retrouvai face à face avec un petit groupe uniformément vêtu de noir, tout comme moi d’ailleurs. Je reconnus immédiatement le visage lunaire et impassible de la mère folle de Sylvie F., qui me fixa intensément, dont je ne me rappelais plus si je devais l’embrasser ou lui serrer la main. Je ne choisis aucun des deux termes de l’alternative et me contentai d’un hochement de tête respectueux. J’imaginais plus que ressentais la haine qu’elle pouvait me porter, ce contre quoi je ne pouvais en tout état de cause rien.

 

Bien vite, je devinai que l’autre femme vêtue de noir qui était adossée au pan de mur, en retrait et dans la pénombre, ne pouvait être que Sylvie, dont le visage se découpa bientôt dans la lumière orangée. Soit qu’elle portât des talons, soit qu’elle eût grandi, peu importait : elle dominait désormais sa mère d’une bonne tête et nous faisions donc sensiblement la même taille. Constant ma présence, ce qui avait justifié sa sortie de l’obscurité, je constatai immédiatement, avec amertume, tout l’effet que mon arrivée inattendue provoquait en elle : son visage se raidit avant de laisser libre cours à sa tristesse. Ses traits s’allongèrent puis s’affaissèrent en un rictus de souffrance. Ses yeux brillaient de désespoir, et elle sanglota plutôt que n’articula la définitive sentence : « C’est un cauchemar… ».

 

Celui-ci se rapportait évidemment à ma présence en ces lieux, moi le traître imbécile autant qu’égoïste, peu porté à l’écoute, orgueilleux et craintif qui souventes fois refusai de m’investir dans une relation de peur qu’elle ne fût vouée à l’échec et transformât une amitié en néant, alors qu’il ne s’agissait pas d’amitié mais bien d’amour. Elle détourna son visage en fermant ses yeux bleus, dans un mouvement saccadé de sa chevelure blonde. L’âge lui réussissait bien, m’avouai-je, avant que de tenter de la sortir de cette situation de faiblesse publique.

 

Je m’approchai rapidement et lui murmurai pour lui proposer de poursuivre, d’entamer plutôt, notre discussion dehors, tandis que je ne savais rien de ce que j’aurais à lui dire de plus que mon hébétude et mon parfait respect pour elle. Elle baissa un peu plus la tête et je sentis sur ma nuque le regard glacial de sa mère qui devait arborer ce toujours identique visage contrit. Il ne s’agissait alors plus d’un cauchemar mais d’une réalité fixe et immobile.

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Une mosquée sur les quais de Seine

Publié le 6 Octobre 2015 par Luc dans Nerveux vieillard

Encore une corvée… Aller faire des courses dans un grand centre commercial sur plusieurs niveaux, aux boutiques plus répétitives finalement que décorées. En bas du premier lacet de la montée pour véhicules automobiles, je reconnais nettement L., la femme de mon ami C., en petite robe courte à fleurs et à fines bretelles, d’un vert printanier. Elle semble assez désorientée. J’arrête ma voiture, baisse la vitre passager et la hèle. Quelques mots sont suffisants pour qu’elle comprenne qu’il serait mieux de faire la montée ensemble puisqu’elle sait à l’évidence où je dois aller pour trouver la course dont je suis chargé.

 

Je finis par garer la voiture dans un dégagement jaunâtre situé pile poil à côté de la sortie piétonnière. Lors de notre courte marche, alors que nous sommes aspirés littéralement par le chauffage climatisé de l’intérieur du centre commercial gigantesque, L. se plaint ostensiblement, confirmant en cela ma première impression de son malaise en bas de la montée. Elle est d’une tristesse désemparée qui me touche, ce qu’elle sent immédiatement. Elle place sur main sur mon dos chemisé, qu’une intense chaleur enveloppe alors. Elle se saisit ensuite de ma main droite alors que nous arrivons au comptoir derrière lequel s’impatiente une vendeuse mal aimable. C’est invraisemblable. Je ressens une forme de désir pour elle qui en éprouve à mon égard. Céder ? Consommer, là sans réfléchir ? Ce serait trop facile. Je lui demande la cause du trouble : C. est-il un taiseux casse-pieds ?

Elle pouffe, ricane plutôt, pleurant à moitié. Et je l’entends répondre amèrement qu’il casse des pieds aux genoux mais pas plus haut. Je comprends par là un manque de relations intimes, ce qui se situe après les genoux étant les cuisses puis le sexe, à l’évidence. Je compatis devant son visage gris dont les commissures descendent vers le sol tandis que se gonflent les narines sous les sourcils désormais froncés. Je sais que les larmes vont incessamment couler, alors je préfère partir, impavide, sans avoir trahi.

 

Plutôt que de reprendre ma voiture garée gratuitement, je prends l’ascenseur, parviens au rez-de-chaussée, sors de l’immeuble, longe une courte portion d’avenue et me retrouve sur les quais de Seine. Ayant ralenti ma marche pour profiter de la belle journée, je progresse calmement tout au bord de la berge. Soudain, je crois avoir vu deux jambes au fond de l’eau vert-jaune, sur le fond sablonneux. C’en sont. Je ne connais aucune illusion d’optique végétale ou animale avec des chaussures. Je me prépare à me déshabiller pour aller chercher le corps, et c’est alors, posant ma veste sur le goudron, que je vois un autre noyé entre deux eaux, en position presque assise.

Les malheureux ! Probablement des étudiants ayant trop forcé la dose hier soir et qui se sont entraînés par imprudence dans une mort stupide… sauf que la bouche du second macchabée s’ouvre, laisse échapper une bulle d’air. Son visage est fin, ses cheveux blonds soigneusement coiffés sur le côté ; ses yeux devraient être bleus, sans doute, ce qui irait admirablement bien avec sa barbe entretenue de deux jours et son costard beige près du corps, et aussi son air pénétré, vraiment étrange.

 

Faisant deux pas de plus, la lumière change et me permet de constater que des dizaines d’autres jeunes gens sont là, sous l’eau verte de la Seine, agrippées aux parois du quai, regardant le ciel pâle et ensoleillé à partir de l’eau jaunissante. Je relève notamment une jeune fille brune, frisée, au look fin seventies, carrément en position de piété sous-marine grâce à deux anneaux d’amarrages submergés qu’elle tient dans chacune de ses mains.

 

Eberlué, je ramasse ma veste, la renfile tout en m’étonnant de la durée de leurs apnées et me heurte bientôt à la porte d’une rotonde que je n’avais pas remarquée tellement mes yeux étaient absorbés par le spectacle aquatique. J’ouvre et entre. Les inscriptions nombreuses à l’intérieur ne laissent place à aucun doute : une mosquée. Des bandes de tissu et de papier, larges d’environ vingt centimètres partent de tous côtés, du plafond au sol, de mur en mur ; elles sont écrites en arabe et joliment décoré de liserés complexes de toutes les couleurs. Je n’y comprends goutte. Des photos figurant sur certaines des bandes ont été reproduites sous forme d’affiches et placardées sur les poteaux de la mosquée de bord de Seine. Elles représentent toutes un imam de la cinquantaine, ainsi qu’en atteste son visage ridé et un peu bouffi, ses lunettes à la monture sécurité sociale seventies (encore !), bien que sa barbe fut encore bien châtain foncé sans trace de sel. Sa position rappellerait un peu celle de Bonaparte sur le Pont d’Arcole par Gros, sauf qu’en lieu et place d’assaut victorieux, les yeux un poil paniqués de l’imam font en moi changer l’appel de la foi, du combat au profit de celui du repli. Autant dire que son visage aux yeux marron bornés, plutôt qu’à l’exemple à suivre au Djihad, fait plutôt penser à une fuite, la retraite de Russie.

 

Tout ce qui se dégage de cet endroit me dérange et m’écœure : une position évidemment victimaire, de la lamentation sur les discriminations supputées dont les fidèles font l’objet… et dire que ces zigues ont semble-t-il réussi à endoctriner, convertir tous ces jeunes gens. Apostats de merde aux grands yeux tout écarquillés sur la lumière d’Allah vue de sous une eau jaune-vert.

 

Je sors par l’autre entrée de la mosquée et rentre bien vite chez moi, avec en poche ma fiole de Ravintsara discrètement achetée à la vendeuse désagréable pendant les jérémiades de L. Arrivé devant le portail d’entrée de mon immeuble, je l’ouvre dans un signe électrique sans intérêt autre que d’agacer le locataire pourvu d’oreilles normales et m’engage dans l’escalier de briques. J’insère ma clé dans la porte de l’appartement, qui pivote sur la gauche. Je m’aperçois alors que sur le sol de toutes les pièces à l’irréprochable béton ciré anthracite, il y a des petites sculptures d’argile gris-vert, encore luisantes d’eau, entre colombins et coquillages pour leurs formes. Quel bordel que de les éviter ! On finit tout de même par m’expliquer qu’il s’agit d’un usage ancestral de l’immeuble. Une fois par an, la copropriété compose des sculptures d’argile par centaines que bien évidemment on ne peut pas faire sécher dans l’escalier sans violer le règlement prescrivant que les voies d’entrée et de sortie soient toujours dégagées. Alors l’usage veut que l’on choisisse un appartement pour ce faire, le temps de séchage n’excédant guère quelques jours.

 

Je me résous à ne pas lutter contre les usages anciens de notre nouveau lieu d’habitation, quitte pour ce faire à devoir mettre de côté mes propres coutumes ancestrales qui eussent probablement remis en cause la bonhomie du moment. Je me dirige donc vers la chambre les mâchoires crispées. La coupole de cette pièce en croisées d’ogives culminant à au moins quinze mètres de hauteur m’a toujours plu. Le lit présent à notre arrivée état d’ailleurs doté de la même démesure puisqu’une bonne dizaine de personnes pouvaient y tenir sans difficulté. Crevé par cette journée absurde, je décide m’allonger au côté droit d’A., un inconnu costumé ne tardant guère à en faire de même sur ma propre droite. La grue de chantier de la pièce vient disposer un autre corps dans notre lit, enfin, précisément sur moi dont la présence était peut-être inopinée à ce moment. Ce corps est celui de P., chaude et immobile, vêtue d’une combinaison de vol relatif. Elle ne cherche pas à bouger, manifestement satisfaite de la maladresse mécanique.

Le souvenir de mon désir pour elle est sans délai remplacé par la somme de mon absence de désir pour elle, et je me trémousse pour la faire verser sur ma droite. Hum, ça y est, mais il n’y a plus assez de place pour s’allonger véritablement sur le dos. Nos peaux se touchent donc, trop pour l’innocence. P. est enclavée à quarante-cinq degrés dans l’alignement d’inconnu(e)s peuplant le lit conjugal, le visage vers moi, bloqué dans le même angle qu’elle.

 

Ma main gauche va aller chercher la salvation dans la main droite d’A., que je trouve gantée de laine noire mais qui réussit à se saisir de mes doigts dans un rassurant onguent d’amour persistant.

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Le sous-marin de l'autoroute

Publié le 5 Octobre 2015 par Luc dans Nerveux vieillard

Réveillé en pleine nuit, à peine deux heures après m’être endormi d’ailleurs, par des brûlures d’estomac que je croyais oubliées, j’avais dû patienter jusqu’à l’aube pour repartir de ce damné hôtel après une indigeste journée de séminaire.

 

Lazzeri était au volant du véhicule pour nous ramener à bon port, au siège, à mon bureau, mon havre de tranquillité solitaire. Il parlait quand je restais muet, en ne conduisant que de la main gauche, son tempérament méridional l’incitant à appuyer ses propos avec des gestes du bras droit. La route était encore obscure et nous croisâmes soudainement un jogger vêtu de sombre sans catadioptres ou lignes fluorescentes. Etait-il complètement fou de courir nuitamment dans une telle tenue sur le bord d’une route sans accotements ? Je pestai encore contre sa face subméditerranéenne aux yeux écarquillés par l’effort quand je vis dans le halo des phares un autre Maghrébin courir sur l’étroit bas-côté. Ses joues maigres entouraient une moustache noire ; ses yeux étaient hébétés, effarés, dans une forme de folie sous l’épaisse masse de ses cheveux frisés en couronne insensée. Je crus même voir ses dents, seul point de lumière dans sa tenue uniformément noire. Mais où étions-nous ?! Qu’étaient ces joggers inconscients ? Il ne s’écoula pas vingt secondes avant que Lazzeri ne dût donner un coup de volant vers la gauche pour éviter un troisième larron coureur d’origine supersaharienne qui cavalait quant à lui largement sur la chaussée. Nous soufflâmes d’un bel élan, nous félicitant d’avoir évité un accident.

 

Lazzeri enfonça le champignon dans la montée qui suivait, et la route désormais sans arbres s’illumina des premiers rayons du soleil. En haut de la côte, dans une grande courbe à droite, nous constatâmes un début de bouchon. A coup sûr l’un des autres lapins matutinaux s’était fait heurté par une voiture. Déjà qu’il faut être malade pour courir et casser genoux puis colonne vertébrale, seuls des drogués pouvaient participer à ces raids nocturnes sans autre intérêt que la souffrance et le shoot d’endorphine y afférent consécutivement. Ce n’était pas le cas : en plein milieu de la deux voies située en bordure d’une rivière à gauche, dont le courant était manifestement puissant dans le sens inverse de celui de la circulation automobile, une forme oblongue, argentée, gris Mercedes dépassait du bitume. Cet objet lisse et métallique, phallanstique et fantallique, devait bien faire deux à trois mètres de haut. Une voiture avait dérapé et fait un tête-à-queue, probablement au moment où l’objet avait chuté ou était sorti de goudron, et l’avait heurté, la réduisant à l’état de demi-épave quand l’objet n’avait pas eu une égratignure. Deux femmes israéliennes en manteaux de fourrure étaient appuyées sur les portières du véhicule accidenté, choquées.

 

Une grue était déjà sur les lieux. Son crochet placé sur l’anneau de l’objet oblong, elle commença à treuiller ce dernier, qui s’avéra d’une longueur et surtout d’une structure insoupçonnée. La grue éleva dans l’air non ce qui aurait pu ressembler à un gros obus, mais bien un navire, ou mieux encore un sous-marin de surface ainsi qu’en attesta la cabine aux armatures noires et rouges qui apparut bientôt à nos yeux ébahis. La grue tourna très vite et largua sa charge dans la rivière voisine dont l’impétueux courant entraîna rapidement hors du champ de nos regards le fin navire argenté.

 

Je proposai aux deux accidentées, bien en chair constatais-je à mesure que je m’approchais, de les véhiculer jusqu’à l’endroit de leur choix. Elles ne parlaient pas français. J’articulai un insuffisamment échauffé « Do you want to come with us? We’ll bring you back where you want. ». Elles acceptèrent soulagées. Je les conduisis jusqu’à la voiture et ouvris la portière arrière droite. Ce ne fut qu’alors que je constatai la présence de la jeune assistante asiatique de Lazzeri, assise derrière ce dernier. La corpulence de nos deux nouvelles passagères rapportée à la catégorie B de notre véhicule de location ainsi qu’à ma propre morphologie ne laissait guère de place au doute : il fallait qu’une des deux Juives allât s’assoir devant tandis que je prendrais l’inconfortable demi-place du milieu sur la banquette arrière. Je me retournai vers les deux Sémites et demandai tout haut : « Who’s the towlest ? », en rectifiant sans délai mon erreur d’accent, « Who’s the tallest ? ». Celle des deux qui était rousse et moustachue, aux joues légèrement pendantes, les yeux globuleux et la bouche trop rouge en triste demi-lune se déclara positivement en grognant et, me bousculant à moitié, alla s’installer sur le siège passager.

 

Je tentai quant à moi de m’infiltrer sur la place du milieu mais ma progression était gênée par deux choses : le passage de la transmission entre les sièges avant et la banquette arrière, ainsi que la poussée inamicale que je subissais de la part de la deuxième accidentée dans mon dos. La jeune Asiatique tenta de surélever sa position pour faire en sorte de me dégager suffisamment de place pour disposer mes gambettes, mais pour ce faire, il me fallait passer la tête devant elle pour mieux rebrousser chemin une fois mes jambes placées. La femme encore hors de la voiture me poussa encore et je me raccrochai à la robe rouge de l’assistante, en sentant derrière mes paumes la fermeté extraordinaire de ses seins menus. A peine le temps de profiter de cette sensation, une ultime bourrade sur mon séant acheva de déstabiliser mon précaire équilibre et je tombai à plat-dos sur la banquette, entraînant dans ma chute la jeune Asiatique tombant quant à elle à plat-ventre sur moi. Elle m’embrassa à pleine bouche et redressant son visage, elle me dit : « Je t’aime plus que tu ne m’aimes ».

 

Je ne protestai pas. C’était la pure vérité. Son rouge à lèvres trop voyant et trop étalé avait le goût de la pourriture. Son visage fin et agréable avait achevé de se muer en faciès simiesque, aux petits yeux gonflés, le nez court et épaté, la bouche de poisson, les joues trop pleines. Son rouge à lèvres sentait l’orange chimique, et moi je balançai un grand coup de pied dans la cage thoracique de l’autre qui ne cessait de pousser pour rentrer dans la voiture, ce qui n’avait pour conséquence que de prolonger le contact avec la jeune fille. Je ne comprenais plus comment se relevant elle redevenait jolie et naturelle, mais que s’affalant sur moi elle n’était plus que vulgaire et puante. Et mon mal à l’estomac reprit sans tarder dans une farandole acide.

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Un interdit absolu : écrire sur le vivant

Publié le 2 Octobre 2015 par Luc dans Nerveux vieillard

Les matins se suivent et s’enfoncent désagréablement dans le même ruminement. Je grogne de demi-douleurs hypogastriques, de petits renflements abdominaux, de mini-céphalées parfaitement anodines, de sinus un peu encombrés, de bronches sifflant légèrement, une articulation un poil douloureuse au gros orteil droit.

 

Evidemment, si je me laissais aller, j’imaginerais un cancer de l’intestin, un dérèglement hormonal expliquant ma subite obésité, un début d’AVC, une infection galopante qui va se propager des voies respiratoires aux tympans et au cerveau, un autre cancer mais des poumons cette fois, et naturellement une crise de goutte liée à des abus répétés générant une faiblesse hépatique, puis une hépatomégalie pour aboutir tout naturellement à la cirrhose qui m’emportera, sous réserve naturellement que les varices de mon œsophage n’explosent pas, accélérant mon trépas prévu dans une noyade sanglante.

 

Décidément, le malaise s’empare de mes matinées tandis que les soirs se déroulent confortablement, nos visages souriants orangés par les reflets du feu et de luminaires astucieusement disposés, devisant de tout et de rien avec engagement, passion et humour, amour donc, dans un bien-être palpable mais toujours mû de la tension qu’il pourrait s’achever d’un coup, comme ça, attrait subitement par une séduction exogène. Bien sûr cette merveille intérieure s’entretient, pas comme une plante, auquel cas vu la verdeur de ma main je l’aurais perdue depuis bien longtemps, mais plutôt comme une idée, une création à mûrir.

 

C’est bien pourquoi je ne veux pas écrire sur ce sujet, puisque comme le pensaient fort justement les savants druides, une fois écrites, les choses échappent aux cycles de la vie, elles deviennent mortes, comme le latin et le grec. Et c’est bien pourquoi je préfère me concentrer, écrire sur mes maladies peut-être pas imaginaires et ma mauvaise humeur matinale… qui vient de disparaître au moment où je termine cette ligne.

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