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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

Miracles

Publié le 8 Septembre 2009 par Luc dans Marseille (du 2-4-97 à février 1998)

Tant de rêves sont passés devant mes yeux meurtris par les battements nerveux, tant de rêves que j’aurais écrits et décrits, que j’ai laissé s’évanouir dans ma mémoire inerte, peu aidée par une main molle. Si n’étaient que les rêves…

 

Toutes les idées se sont également jouées de moi, trop pressé, occupé pour leur donner du temps. Tiens ! Une larme coule. Fatigue ou chagrin, qu’importe ! Je songe simplement à tous ces appels qui ne sont pas venus, au désintérêt que j’inspire de toute part depuis ma désintégration dans la vie sociale.

 

Quel bonheur donc ! Il faut savoir profiter de ce soir de solitude involontaire pour se proposer à nouveau de sombrer corps et biens, sans espoir et sans haine. Seul le matériel reste et le pragmatique ne suffit plus. Tant de solitude que les rêves n’arrivent plus sur le papier, comme par miracle.

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L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise (2.21)

Publié le 4 Septembre 2009 par Luc dans L'Eglentreprise ou la religion de l'entreprise

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  Cette fois, il y était. L’arrivée dans l’encombrée Marseille fut tellement rapide qu’il n’eût pas même le temps de s’imprégner de ses odeurs fétides, de la bruyante inconséquence de ses habitants, de la laideur de ses femmes et de l’hypocrisie hâbleuse de ses hommes. Ainsi, dans le triste constat, fait du sommet de la monstruosité architecturale qu’est la Bonne Mère, d’une ville sans charme ni culture autre que l’abrutissant Olympique, notre catéchiste n’allait pas tarder à savoir la conception marseillaise de l’Eglentreprise.


  La façade extérieure de l’édifice sis sur le côté d’une grande place où figuraient la Préfecture et l’Hôtel de Police, laissait raisonnablement à confirmer la prochaine introduction dans des sphères supérieures à tout ce qu’il avait pu connaître auparavant. Ce n’était certes pas la fameuse abbaye de L’Oréal, temple du luxe salutaire et espoir de vie pour les alentours, où vivent les pauvres habitants de Clichy : la demeure spirituelle du Père Régional n’était pas assez grande ni luxueuse. Ce n’était pas non plus la cathédrale impériale de TF1, cylindre de verre et de métal en bord de Seine, preuve de l’éclatante supériorité de la Vraie Foi sur toutes les autres, mais que d’odieux hérétiques arriérés, des pauvres probablement, avaient osé surnommer « la boîte à cons » : le lieu où le catéchumène allait exercer ses talents (d’or s’entend) s’avérait plus traditionnel, un immeuble bourgeois de la fin du dix-neuvième siècle à la vaste façade.


  Il entra, précédé du Père Régional, et fut immédiatement surpris de la vétusté de l’intérieur du lieu de culte. Il se rappela soudain le voyage d’études accompli à Saint Petersbourg, lors de sa dernière année en faculté de théologie relativement à un mémoire de divinité comparée entre la vraie Religion et la très suspecte (pour cause de socialisme, une grave pathologie mais heureusement rarissime du fait de sa maîtrise depuis le Pape Friedman 2 appuyé par le solide bon sens de la théologienne Sœur Ironlady, et de son éradication progressive sous la papauté de Von Hayek 1er) et mal nommée orthodoxie.


  Sœur Ironlady ! Alias, chacun l’avait reconnue, Maggie non pas Messer mais bien Thatcher, davantage disciple du pope Milton que de Brecht, ce qui n’empêcha pas un marseillais de bonne famille, avec cet accent parfaitement ridicule qu’ont toutes les personnes qui l’air très entendu prononcent en s’écoutant parler des aberrations redoutables, de faire part au jeune homme de son admiration pour les travaux concertés de Ronald Reagan et de la dame de fer : libéralisation à tout crin, privatisations en masse, liquidation des bijoux de famille de l’Etat et… paupérisation des classes défavorisées (laquelle avait, au sens de l’aspirant à la grande entreprise, au moins eu pour mérite de faire naître le génial cinéma social britannique dans les années 90), perte de la notion de service au profit de celle de rentabilité en matière d’équipements collectifs (faute de pouvoir les qualifier désormais de publics). Au vu des évolutions parallèles des deux pays en cause, on pouvait s’étonner du succès américain rapporté à l’échec patent subi par le Royaume Uni. Pour le jeune homme, la différence unique consistait dans le fait que confrontés à des difficultés conjoncturelles ou non, les USA pouvaient faire marcher la planche à billets et réinjecter dans l’économie les bucks, soutenant ainsi la consommation et la production, dans un schéma étrangement keynésien (ce honteux socialiste !) d’aides publiques à peine masquées, lorsque les économistes américains avaient en quelque sorte imposé à l’Europe un schéma concurrentiel soumettant au contrôle strict de la CJCE, voire prohibant les distorsions de concurrence (ententes, abus de position dominante et aides publiques) par les Etats membres ! Mais ces manœuvres s’exerçaient sans nécessairement faire déprécier le dollar, alors qu’une pratique similaire en Angleterre eût abouti à la transformation de la livre sterling en monnaie de singe. De la même façon, la main-mise des USA sur l’économie mondiale rendait inattaquable leur monstrueux déficit budgétaire structurel. Qu’importait la dette lorsque l’on était maître des échanges !


  Jamais le marseillais englué dans son milieu bourgeois ne comprit ce que le jeune homme voulait lui signifier, obstiné jusqu’à l’occlusion sur son ivresse admirative de la puissance américaine, laquelle induisait évidemment l’inanité du fonctionnariat et du service public, l’inutilité d’un contrôle poussé de l’Etat sur les grands moyens de production, le fait que la pauvreté était un choix de vie purement personnel, que le chômage était dû à l’extension sans mesure de la masse des fainéants, la nécessaire suppression des minima sociaux… Alors il en passa, et préféra ne pas poursuivre l’absurde listage de peur de tomber malade avant d’en avoir terminé. Mieux valait revivre Saint Petersbourg…

  La ville de Pierre le Grand avait été restaurée de manière très efficace, en apparence du moins, car derrière les façades fraîchement repeintes se trouvaient des cours intérieures d’une pauvreté extrême. La vieille Lada rouillait sans paix sous les fenêtres dont les carreaux brisés ou fêlés ne tenaient plus que par la grâce de larges bandes de ruban adhésif. Le sol de pierre bosselée ou de terre battue charriait l’eau d’une pluie polluée et quelques rats trouvaient là à s’ébattre dans leur milieu naturel. En détournant la tête de Лермонтовский улица, de l’affreux Совиетская гостиница, on faisait de nouveau front aux boutiques de luxe de la Perspective Nevski et aux noires Волга officielles roulant à vive allure.


  Ainsi en était-il pour le nouvellement recruté, s’agissant du cadre de ses fonctions de Catéchiste des Consciences des Ouailles (ou en abrégé, le CACOU, poste spécifique à l’archevêché de Marseille), c’est à dire responsable régional des ressources humaines dans la société des mécréants, des agnostiques et autres relapses de ne pas avoir cru en la Vraie Foi, le divin libéralisme.

  De fait, les locaux de labeur, bien loin de la sérénité et de la fraîcheur propice à la méditation d’un monastère, s’avéraient n’être que les anciennes pièces d’un hôtel plutôt particulier que Dieu. La cellule qui lui était attribuée se trouvait directement sous le toit, et il constata rapidement, sous les premiers rayons du soleil printanier, que l’isolation était défaillante sinon absente, et que l’endroit s’avérait très modestement équipé d’un meuble de travail, de deux étagères et d’un terminal de paie. C’est alors que l’abominable et démoniaque épreuve commença…

 

- Venez mon jeune ami, je vais vous faire faire le tour des bureaux
et vous présenter vos coreligionnaires
. -

 

  … lança le Père Régional avec enthousiasme. Il imagina les deux rangs de disciples, infinis, entre lesquels il allait devoir marcher à la suite du Père Régional, torse nu, les mains attachées, toutes mains en sa vue munies de verges. Il sentit alors son dos brûlé, lacéré de coups, zébré des frappes sèches des triques, alors qu’il se considérerait en devoir de continuer d’avancer, droit et en silence, les traits livides et la mâchoire tendue, les muscles bandés sur l’effort de ne pas hurler de douleur. L’ombre du couchant se dessinerait au loin, dans le sel des larmes intérieures, l’air empli de poussière, les nuages montant et descendant au rythme régulier des pas et des coups de verges. Alors se crisper sur le devoir, alors se faire violence pour ne pas céder aux appels illusoires de la faiblesse, de l’apostasie. La méfiance et le mépris des regards, adroitement cachés sous cette fausse convivialité des pays du Geyred, le frappèrent durement, mais tel que sa qualité et son défaut premiers, l’orgueil, l’avaient construit, il marcha droit, prononça quelques paroles aimables à tous, et constata avec désespoir que son costume et sa cravate sombres, les mêmes qu’il avait revêtus lors de son entrée dans le monde de l’Eglentreprise quelque temps plus tôt, tranchaient avec acuité par rapport aux tenues vestimentaires bien plus claires et décontractées qu’il pouvait observer. Une première marque d’exclusion dans le comportement qu’il allait devoir rectifier sans délai, songea-t-il.


  Tout d’abord l’atroce Mère contrôleur de gestion (dite COGEN) des résidences locatives intégrées, et par conséquent début et fin de tout, la base du monde spirituel, lui souhaita la bienvenue. Les succinctes descriptions des fonctions respectives du nouveau CACOU et de la Mère COGEN furent expédiées par le PR, et un lourd silence s’ensuivit, lequel ne laissa d’inquiéter l’aspirant. Il pensait à tort que ne relevait pas de son rôle de nouvel arrivant la mission d’assurer la communication avec ses coreligionnaires lorsque celle-ci, feu fragile et nécessaire, se trouvait péricliter. Il pensait à tort que son humble silence était une marque de respect quand la véritable réception de son message indiquait un manque de personnalité évident ou une froideur n’invitant guère à la confidence ou l’ambiance amicale. Il pensait à tort que ses compétences durement acquises et son absence totale de pensées nuisibles à autrui le dispensaient de vêtir le masque affable de la séduction. Il pensait à tort, à quelque chose qui n’avait rien à voir avec le danger : retournant son visage vers la COGEN et rassemblant ses souvenirs, il observa qu’il existait un physique, un génotype presque, de la comptable. Généralement, cette femme comptable s’avérait, quel que soit son âge réel, petite, grosse et foncièrement laide. Peut-être pouvait-on tenter d’expliquer ce physique cubique par le fait que l’on n'avait jamais trouvé mieux qu’un cube pour être posé sur une chaise à ne rien faire, ou au contraire garder l’équilibre en cas d’activités confuses. Il était convaincu qu’une comptable détestait voir son rythme modifié par un élément extérieur, fût-il le patron, d’où cette propension absolue à râler, en minaudant naturellement, à critiquer toutes décisions en l’absence des décisionnaires, à faire preuve d’un fatalisme hypocrite, à s’agiter en tous sens en surestimant jusqu’à l’absurde sa charge de travail et son rôle dans l’entreprise.

  En un mot, les comptables (hommes et femmes réunis cette fois), compte tenu de leurs portes d’entrée en matière de communication et de leurs stratégies d’apprentissage toutes orientées vers le faire, étaient pour le jeune homme le contraire des artistes et des créateurs (sans « c » majuscule pour ne pas risquer l’accusation de polythéisme ou de paganisme).

  S’abstrayant du physique de son interlocutrice, il songea aussi que son titre était un très piètre jeu de mot avec le mot macédonien кожен, signifiant « en (ou de) cuir ». Il envisagea une possibilité : peut-être la peau tannée des contrôleurs de gestion facilitait-elle la glissée insensible de l’opprobre des plans sociaux boursiers ?


  Le temps de cet instant suspendu, il fit le compte des intitulés de postes : CACOU, PR, COGEN… et déplora en son for intérieur l’emploi excessif des sigles et acronymes non pas seulement dans l’armée, dans laquelle il était érigé en principe (EVAT, FOMECBLOT, RAS, CIJAS, etc.), mais également dans l’entreprise moderne (RH, DG, DR, DJ, ce dernier n’ayant rien à voir avec un sympathique animateur de soirées étudiantes, puisqu’il s’agissait tout bêtement d’un directeur juridique, bien moins drôle… etc.). Il considérait que l’emploi de sigles ou d’acronymes complexes, tout comme les politiques RH se voulant évoluées, l’armée même s’y étant intéressée avec la PPO, euh pardon, la pédagogie participative par objectifs, créait artificiellement une identité commune aux salariés grâce à une forme de métalangage qui leur serait propre, et qui leur offrait parfois l’occasion de moquer gentiment ab irato la hiérarchie, sans toutefois remettre en cause l’entreprise en elle-même.

  Celle-ci, pour les tenants du libéralisme, devait relever du concept, du sacré, et n’aurait ainsi su être réduite à un sigle. Cette évolution de ses maîtres invitait le jeune homme à ainsi expliquer le mouvement consistant dans la disparition des raisons sociales des grosses entreprises s’incarnant naguère dans un sigle, au profit de dénominations très conceptuelles : Vivendi, La Poste…

  En tout état de cause, les rapprochements constatés entre l’armée et l’entreprise, chacune convergeant vers l’autre (sigles ou théorie du management, discipline commune…), ne pouvaient que le laisser rêveur (pour ne pas parler de cauchemar).

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Nil admirare

Publié le 3 Septembre 2009 par Luc dans Jours décisifs (du 6-1 au 5-3-97)

            Le réveil me frappe quand j'avais pensé

            Que la matinée continuerait de s'alanguir,

            De s'étirer indéfiniment...

            Je maîtrise sans difficultés

            Les mouvements confus de mes intestins,

            Quelque peu troublé cependant par une idée de vacances.

 

            Bien des heures ont passé depuis cette impression

            Ereintante d'un printemps aux saveurs trop tôt écloses.

            Il y a quelque chose de prématuré dans cette nature douce,

            Qui bourgeonnerait presque si l'on n'y prenait gare.

 

            Quoiqu'il en soit... cela ne me touche en rien.

            Je vais continuer un bonhomme de plus en plus inquiet

            De chemin, en me souciant encore

            Des voies perpendiculaires que j'ai dépassées,

            Et le regretter amèrement.

            Avancer dans l'erreur avec certitude. Vae victis.

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