Mon père se tient à mon côté durant la tempête qui écume la campagne avoisinante. Nous sortons sur la terrasse, regarder les vagues déferler dans la forêt. Certaines montent au-dessus de la cime des vieux chênes, et nous nous avouons que ça cogne ce soir. Puis l’une d’elles recouvre soudain une bonne moitié de ciel. Elle s’élève, dans un grondement que j’essaie de produire tellement son silence réel m’angoisse, en un triangle bleuté jusqu’à la voûte étoilée.
Mon père réagit et suggère de rentrer à la maison en veillant à calfeutrer la porte fenêtre en petit bois, verre léger. L’absurdité du rempart ne m’a même pas frappé.
Après avoir paru hésiter une seconde, la crête de la vague se résigne à affaler. L’eau monte rapidement dans la maison sans que j’éprouve quelque sensation d’humidité. Je vois alors pour la dernière fois la tête de mon père qui disparaît. Mon propre visage approche du plafond et des poutres : la situation n’est plus tenable, il faut sortir. De nouveau sur la terrasse sans savoir comment, je suis mu par l’onde qui ne me mouille pas, presque irréelle, dans une température ambiante... J’aperçois alors un éperon rocheux surélevé. Je m’y hisse, pensant avec certitude y trouver le salut. Un brin d’escalade et je bondis hors de l’eau. Mais celle-ci continue de monter, sans nulle cesse. Un petit arbre décharné sur le plateau désolé demeure donc ma seule issue. J’y grimpe sans difficulté, mais observant ma main de prise dans une clarté sublunaire, des petits insectes de métal stridulant dans le silence ma lacèrent la peau, dénervent, décapsulent les articulations. Des insectes gris et argentés, d’un aspect intermédiaire entre la blatte et la reine-fourmi, mécanisent ma planche de salut.
Je conçois sans la ressentir l’onde calme et mouvante qui doit baigner mes pieds maintenant et je ne peux retirer ma main de cette jointure de branchages, ni des insectes de métal grignotant le soutien, le rattachement. Ou bien encore l’eau s’est retirée aussi vite qu’elle est venue, le triangle se renversant déconfit, la pointe vers le sol, vers les nappes phréatiques... Ce qui n’empêche pas ma main d’être dévorée petit à petit dans le gargouillis des élytres grises, luminescentes sous les étoiles.