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Hontes

Souffrances, amour, désespoir, moquerie, musique et philosophie... La vie, quoi !

R124 Saint Valentin guerrière

Publié le 19 Novembre 2013 par Luc in Ecrivain raté (du 4-1 au 27-8-13)

 

Je suis un équipier de char. Notre AMX 10-RC est tombé en panne sur la place ensoleillée et déserte d’un village de pêcheurs surplombant la mer. Je descends du tank et me dirige vers les maisons resserrées dont le dernier étage affleure la place, mais dont la construction est adossée à la falaise au pied de laquelle se trouve la plage. La dénivellation naturelle n’est pas plus haute que quatre ou cinq mètres, moins de deux étages en tout cas. L’atmosphère est marine, ainsi qu’en attestent les filets séchant entre les toits des maisons. Je m’approche encore, et entre deux maisons bleues aux volets blancs, écartant un petit filet droit émeraude aux bouchons marron, corrodés par le sel et l’iode, je vois la plage jaune.

 

Je me prépare à prendre l’échelle de sous-marinier qui me mènera au sable, quand à l’angle extrême gauche de ma vision, je décèle le bout d’un canon. Je m’aplatis en silence, chouffe, rampe un peu sur ma droite pour dégager ma vue vers la gauche, obturée jusque là par l’une des maisons, et constate en grimaçant la présence sur la plage d’un T 90 MS stationné parallèlement à la mer. Je me retourne et dois me rendre à l’évidence : notre AMX en surplomb, sur la place du village, deviendra parfaitement visible par son commandant de char si le Vladimir n’avance que de deux ou trois mètres. Inutile de préciser l’issue du combat entre deux tanks de catégorie si différente, dont le plus faible est de surcroît en rade.

 

Si fait. J’entends le moteur démarrer, faire progresser le char de cinq mètres et se mettre au point mort. C’est alors le bruit hydropneumatique de la tourelle que je perçois : le canon se tourne en direction de l’intervalle situé entre les deux maisons, là où je suis posté. Je me retire sur ma gauche et me colle au mur, dans un angle sombre. Le canon camouflé du Vladimir s’allonge alors de la dizaine de mètres qui lui manque. Son orifice est à présent à cinquante centimètres de mon visage. Il se contorsionne comme un ver de terre en reniflant l’air. Sa forme molle mais a priori aveugle se tourne vers moi qui tente de me fondre un peu plus dans le mur écaillé. J’entends sa respiration tandis qu’il exécute des mouvements concentriques entre les deux parties de mur formant l’angle où je me suis réfugié. A plusieurs reprises, je dois changer vivement de position pour éviter qu’il me touche. Accroupi quand son œil noir balaye le haut de l’angle, à droite quand il est à gauche, puis à gauche en enjambant son corps quand il se dirige à droite. Je sais toutefois que le jeu ne peut durer indéfiniment.

A chaque changement de position, j’observe la plage, afin de voir si l’un des servants regarde en notre direction. C’est toujours le cas, sauf une fois, où je vois le personnel se diriger vers le corps du char. Je profite de l’instant présent, bondit par-dessus le canon ondulant comme un épi de blé sous la brise d’été, sans même l’effleurer et me précipite sur l’échelle de sous-marinier, cale mes pieds et mes mains sur l’extérieur, puis me laisse glisser jusqu’à la plage en freinant sur la fin de la descente avec les caoutchoucs de mes bottes de saut. Dans un appentis sombre juste à ma droite, je me débarrasse rapidement de tout ce qui pourrait rappeler mon appartenance militaire et me retrouve en short et tee-shirt, pieds nus, marchant sur la plage comme le ferait un habitant du village. Nul ne prête attention à moi lorsque mes pas m’entraînent vers la partie droite de la plage, se terminant au loin en un croissant boisé de pins parasols.

 

Un groupe de jeunes filles à la peau tannée par le trop plein de soleil devise gaiement, et je m’avise de la concomitance de deux informations : la coque orange d’un petit bateau hoquète doucement sous les faibles vagues et la plus âgée du groupe de fille tient entre ses mains deux rames de bois. Je m’approche d’elle et sollicite avec autorité qu’elle me les cède. Finalement je n’en prends qu’une, court vers le bateau, le pousse à l’eau, monte à bord et me mets à ramer puissamment.

Ca y est ! Je me suis échappé, sans coup férir. Après un temps indéterminé de navigation, je parviens enfin dans une baie connue. Je tire le bateau sur la plage et ôte le sable de mes pieds grâce à un jet d’eau situé sur le long caillebotis commençant sa course enterré sous le sable puis émergeant progressivement jusqu’à la terrasse d’une grande villa blanche, largement ouverte à la vision de la mer par la grâce du verre et des structures métalliques. J’essuie consciencieusement mes jambes avec une serviette déposée là comme par un fait exprès, pousse la porte moustiquaire et entre dans la villa par la cuisine acajou, note désuète un peu étrange au regard de la modernité du cadre. Passant un couloir aéré par un lourd ventilateur tropical situé au plafond, je débouche sur le salon, où les canapés écrus sont tellement larges et démunis de dossiers que l’on dirait des lits. Sur l’un d’eux devisent Valérie et Emilie, que je m’étonne de trouver ici. Leur présence paisible contraste avec mon syndrome post-traumatique lié à la guerre que je viens de quitter.

 

Je les rejoins sur le canapé lit, les premiers orangés du soleil en fin de course commençant de baigner l’intérieur de la pièce silencieuse. Il est tout d’abord question de vieux souvenirs avec Valérie, un tennis à La Torse notamment. Elle n’est vêtue que d’un caraco noir assez ample et d’un short rouge complètement délavé par le sel et la chaleur, tandis qu’Emilie porte un tee-shirt blanc près du corps et un jean slim léger. Je m’allonge totalement, la largeur du canapé permettant bien que quatre ou cinq personnes en fassent de même. Valérie, tout en continuant à parler avec décontraction, vient alors se mettre à califourchon sur moi, la longue mèche supérieure de ses cheveux coupés courts s’agitant au même rythme que la fine étoffe de son caraco sous lequel elle ne porte manifestement aucun soutien-gorge. La conversation continue sans plus de gêne lorsque peu à peu elle baisse subrepticement mon short et se dresse un sexe en érection qui n’est manifestement pas le mien : trop large, trop plat, donnant une impression de virilité surfaite, quasi pornographique, comme une confusion entre le Moi et l’idéal du Moi. L’objet m’interpelle néanmoins, mais Valérie ne paraît en avoir cure et finit par se relever, partant en se déhanchant élégamment vers la baie vitrée qu’elle ouvre pour sortir respirer l’air paisible d’une fin de journée estivale.

 

Je me retourne alors sur ma gauche, toujours encombré de l’étrange objet vivant, et regarde Emilie, allongée, les bras croisés derrière la tête blonde, les yeux bleus rêveurs dans le plafond, qui ne m’accorde pas un regard, et c’est bien. Ma main l’appelle avec désespérance, caresse la toile bleue de sa cuisse gauche, repense aux moments dont j’aurais voulu que jamais ils ne se reproduisissent, procède à un éternel retour à l’envers, et l’objet ridicule, absurde, finit par me quitter. Je vais retourner à la guerre, et c’est bien.

 

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